Photo retrouvée au hasard de rangements... Photo un peu troublée...
Deux garçons devant une tente, deux louveteaux qui sourient à l'objectif, deux frères dont les genoux se touchent et qui semblent proches.
Il ne faut pas croire ce que racontent les images. Les frères ne s'entendent pas. Il y a le premier, le brun, le loup, celui qui a reçu tous les dons des bonnes fées. Il y a le cadet le blond, celui qui rêve d'être ailleurs, dans une autre famille, dans un autre temps.
C'est moi. Je me rappelle. J'ai tout haï de cette époque. Les tentes et la promiscuité, les fourmis qu'il fallait balayer sur le tapis de sol, les jeux de piste interminables et idiots, les tinettes à creuser dans la terre, les ordres et les prières. Déjà je ne savais pas nouer mon foulard, déjà je savais que je ne serais jamais soldat. Combien d'années après j'ai la même haine intacte de tout ce qui ressemble à un enrégimentement.
Image de solitude et de tristesse. Je me regarde et je sais qu'à ce moment précis, j'aurais aimé quiconque m'aurait pris dans ses bras.
Autre image quelques années plus tôt.
Raphaël Mischkind, photographe déjà connu et ami de mon père est invité à la maison. Il offre de photographier un des quatre enfants en guise de remerciement. C'est Loup qui est proposé par mon père mais c'est moi que choisit le photographe. Il a eu tort, l'aîné a plus de caractère et par l'intensité de son regard exalte le talent du photographe ou du peintre.
Photo posée, photo artificielle d'un gosse pour catalogue. On m'habille d'une chemise blanche, on me coiffe comme un angelot de guimauve.
Bien des années plus tard... à Berck, place de l'Entonnoir. Les trois frères accompagnent leur grand-mère au retour de la plage.
Nous avons les même sandales bizarres.
Je revois le grand sac de cuir vert. Ma grand-mère, Manguite, en sortait les fruits et les biscuits qu'elle nous donnait après le bain. Il y avait quand elle l'ouvrait une odeur de prune chaude. Je revois son collier de perles oblongues et nacrées. Son amour était rude mais rassurant. Je l'ai aimée plus que ma mère.
Loup porte le cerf volant. C'est le privilège de l'aîné.
La communion solennelle.
J'ai le souvenir d'un jour de peur.
J'avais peur d'être ridicule, étant le seul garçon à ne pas porter de pantalon.
J'avais peur d'être foudroyé au moment de recevoir l'hostie tant je me sentais indigne. Je cachais tous mes désirs et toutes mes révoltes. Je croyais alors que Dieu les voyait et les condamnait.
Sur cette photo, ne restent vivants que ma mère et moi. Ces adultes vêtus de noir qui marchent d'un pas décidé semblent porter les couleurs du deuil et accompagner un convoi funéraire.
Dans le jardin du boulevard Vauban, chez les grands-parents. Loup et moi sommes deux gros poupons.
Nous entendions-nous alors? Sentions-nous couler dans nos veines le même sang?
Loup a réussi son suicide et j'ai loupé le mien. Nous n'avons jamais parlé, nous ne sommes jamais connus. Restent les photos illusoires.
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Liens:
Jean Loup Wacrenier. Le crucifié.
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