Des années j'ai assisté à la messe dans l'église du Château d'Oléron. Des années j'ai vu sans le regarder le beau retable de la Vie de Marie et au-dessus de l'autel la grande toile représentant l'Assomption de la Vierge.
J'y suis retourné récemment. J'ai pensé à mon père qui aimait cette église et qui vénérait particulièrement la Vierge. J'ai pensé à mon grand-père que je n'ai pas connu et qui pris dans les barbelés de Verdun sous le feu ennemi, a prié la Vierge. Le ciel est devenu noir, une pluie drue infranchissable est tombée. Les brancardiers ont saisi ce moment suspendu pour le délivrer et l'emmener à l'arrière. Ainsi, dans la famille, cette présence de Marie est-elle comme un élément de mémoire, même si les jeunes générations n'ont plus pour elle qu'indifférence...
Devant cette toile assez médiocre au demeurant, je me suis interrogé sur le dogme de l'Assomption. Il n'en est pas question dans les Ecritures. Ce n'est qu'au VIIème siècle que la fête est instituée par le pape Théodore, même si bien des traditions depuis les origines du christianisme prêtaient à Marie une éternité divine, quoi qu'en pussent penser nos amis de la Réforme
Comme pour tout ce qui touche au coeur du mystère de la vie et de l'amour, il y a une manière simple de comprendre ce dogme. Le corps qui porta le Christ pouvait-il être livré à la dégradation et à la putréfaction? Tout enfant qui pense à sa mère ne peut imaginer qu'elle sera un jour réduite à rien. Il refuse de l'imaginer même s'il ne peut trop longtemps l'ignorer.
Alors, il lui prête vie dans un ailleurs qui est celui de la mémoire et de l'amour. Aimer, c'est ne pas accepter la mort.
Marie donc s'est "endormie" comme le disent si bien les Orthodoxes qui ne parlent pas de mort mais de Dormition. Aucun tableau catholique, si ce n'est peut-être celui du Caravage ne donnera de la mort de Marie une image plus forte et plus amoureuse que celle des icônes : Marie étendue, les yeux clos, sourire léger sur les lèvres, avec au-dessus d'elle, tenant dans ses bras son âme comme un nourrison, le Christ son fils.
Celui qui a été porté devient porteur.
Le tableau du Château a été peint en 1710 par Etienne Garot-Dubuisson (1652-1732) dont nous dirons quelques mots plus tard.
Il est très convenu, très théâtral, voire gesticulatoire. Il se divise en deux parties superposées avec en bas le tombeau ouvert et la bande des apôtres occupés à exprimer leur stupéfaction ou leur émotion comme des acteurs chevronnés de la Comédie Italienne.
Dirigeant le regard du spectateur d'une partie à l'autre, la main levée d'un apôtre permet de contempler dans les cieux, installée sur des sofas de nuages agrémentés d'angelots, Marie, bras ouverts, souriante et épanouie, en route vers les célestes demeures...
Bien que réalisé cinq ans avant la mort de Louis XIV, le tableau annonce déjà, avec leur sensualité et leurs couleurs, les salons de la Régence... les lieux à la mode où l'on commente les dernières nouvelles!...
Certains peuvent s'amuser à reconnaître parmi les douze apôtres tel ou tel.
La liste est connue : Pierre, Jean, André, Jacques le Majeur, Philippe, Barthélémy, Matthieu, Thomas, Jacques le Mineur, Simon le Zélote, Jude Matthias...
On reconnaîtra aisément Pierre sur la droite, ou Jean, sur la gauche, juvénile et un peu féminin penché sur le sarcophage.
Ce qui est le plus réussi dans la toile c'est cet espace vide dans le tombeau.
C'est cette vérité que l'on ne voit qu'avec le coeur : il ne faut pas chercher parmi les morts ceux qui restent vivants...
Pour ne pas être trop injuste avec ce peintre académique, parisien de formation, mort à la Rochelle et dont certaines oeuvres sont conservées dans des églises de Charente Maritime ou de Bordeaux, jetons un oeil sur cette belle toile de Jésus cloué sur la croix (dans l'église Sainte Eulalie de Bordeaux)..
Oeuvre violente et nocturne qui rappelle le grand Philippe de Champaigne et qui parle de tous les hommes humiliés, de toutes les victimes, des bourreaux qui utilisent méthodiquement leurs outils bien entretenus... sans état d'âme...
La souffrance inspire les artistes plus que le bonheur ou la félicité.
La crucifixion parle plus à notre temps que l'Assomption de Marie dans son ciel de Ladurée.
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Liens : église du Château d'Oléron:
Oléron. Eglise du Château. Graffitis du clocher.
Oléron. Eglise Le Château. Vitraux.
Le Château. Oléron. Eglise, un peintre inconnu...
Eglise Notre-Dame Le Château d'Oléron. Le retable.
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