L'abbaye de Fontevraud réserve bien des rencontres et des étonnements.
La salle capitulaire fait partie de ces surprises qui vous marquent, comme vous marque une rencontre inattendue avec quelqu'un que vous n'oublierez
pas....
Eléonore de Bourbon
(1575-1611)
L'abbaye vivait sous le gouvernement des femmes. Les abbesses étaient obéies des moniales et des moines qui y priaient. L'une d'elle, Louise de Bourbon passa commande en 1534,
à un peintre angevin, Thomas Pot, de fresques destinées à orner les murs de la salle du Chapître. Elles devaient rappeler, en cette période troublée par les luttes religieuses, la prééminence du
catholicisme et la place primordiale de la femme.
Cette place est rappelée par les portraits des abbesses devant les scènes de la Passion.
Seules Renée et louise de Bourbon ont été peintes par Thomas Pot. Les autres ont été rajoutées, génération après génération, jusqu'au couperet de la Révolution et la dernière
abbesse. (Julie d'Antin, arrière-arrière petite fille de la Montespan qui s'enfuit, en septembre 1792, déguisée en paysanne.)
Dans ces peintures, les femmes jouent le beau rôle... elles accompagnent le Christ, participent à ses souffrances... alors que les soldats et les traîtres ne sauraient être que
des mâles!
Marie madeleine de Rochechouart (1645-1704),"la reine des abbesses". Soeur de Mme de Montespan et grande érudite, elle était connue pour sa beauté et sa culture. Elle a
traduit, entre autres, les trois premiers livres de l'Iliade, et en collaboration avec Racine, le Banquet de Platon.
Louise Françoise de Rochechouart (1664-1742) nièce de mme de
Montespan.
L'abbesse agenouillée, à droite, est plus intéressée par le spectateur qui la regarde que par le lavement de pieds qu'elle doit juger un peu prosaïque!
La trahison
Le style du peintre apparaît ici avec force. Les corps sont allongés, les visages individualisés, les yeux en amande...
Un style maniériste dit-on, tout à fait à la mode du XVIème siècle et de l'Ecole de Fontainebleau. Un mélange de sinuosité et de rigueur, de formes fluides et de visages
réalistes.
Le Christ est immobile devant judas qui l'embrasse et cherche à poser ses lèvres sur les siennes.
Tout autour, on entend un remuement d'armes et de rumeurs.
Un soldat au panache blanc (allusion aux troupes prostestantes) saisit vigoureusement la tunique de l'homme dénoncé par le baiser.
Alors que le cercle de la violence se resserre autour de lui, le Christ reste droit, visage élevé au-dessus de la brutalité et de la trahison comme une hostie.
Judas s'est coiffé et parfumé comme un mignon d'Henri III. Il se précipite, corps et visage tendus vers celui qui a compris et détourne les yeux.
La crucifixion
Sur fond de Jérusalem Renaissance, le Christ est élevé sur la croix. A ses pieds, Jean et les Saintes femmes sont présents, au
plus près de la douleur.
Madeleine entoure le bois de la croix, délicatement, comme si elle craignait d'ajouter à la souffrance du Christ.
Ses mains jouent de la harpe, caresse légère, à peine un effleurement.
A l'arrière plan, le peintre a eu l'audace de représenter la croix couchée, celle sur laquelle des soldats minuscules clouent l'homme immense.
Le corps démesuré, les bras démesurés s'étendent pour recouvrir le monde...
Pour ramasser toutes les douleurs du monde...
Etonnante scène.
Audace de la composition.
Etirement des corps livides qui évoque le Gréco.
Descente de la croix.
Les femmes sont toujours présentes ainsi que Nicomède et Joseph d'Arimathie.
Madeleine se penche pour embrasser les pieds décloués.
Lent glissement du corps vers le sol, vers les bras de ceux qui l'aiment.
La nuit est tombée sur la terre et dans les coeurs : "C'était presque midi et il y eut des ténèbres sur la terre".
La mise au tombeau
Sur le cadavre, se penchent Jean et les femmes.
Comme pour descendre avec lui dans le tombeau.
Comme pour se laisser envelopper dans le même linceul.
Il en est ainsi à chaque enterrement.
Résurrection
Mais il faut croire à la victoire de l' amour.
L'amour c'est la résurrection, c'est la tunique rouge et le temps des cerises...
C'est le disparu qui revient comme dans nos rêves, entouré de lumière et de chaleur.
Les soldats peuvent s'enfuir. ils sont vaincus. La force brutale est vaincue.
Ascension
Au moment de nous quitter de nouveau, le Christ s'en va comme une fusée...
Nous ne voyons plus que ses pieds, comme s'il nous rappelait que c'est à nous désormais de continuer le chemin, de péleriner jusqu'au bout de la route, vers notre Cap
Canaveral, vers notre Kourou!
Mort de la vierge
Et quand Marie arrive au bout de la route, elle s'endort. Elle attend que son fils vienne la porter comme elle l'a elle-même porté.
En quittant la salle capitulaire et ses fresques, Nicole et moi, nous nous sommes arrêtés au chevet de l'abbatiale, et main dans la main, on s'est dit qu'on avait
décollé avec elle et qu'on avait fait un voyage qu'on n'oublierait pas de si tôt.
Lien Oléron. Eglise de
Saint-Georges.
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