Il ne reste à Montmartre que deux des trente moulins qui pendant des siècles ont battu des ailes dans le
ciel. Leur histoire est singulière autant que celle de la famille de meuniers à laquelle ils ont appartenu : les Debray.
Avant d'esgourder leur goualante, je ne résiste pas au plaisir de citer quelques uns des moulins en
activité au XVIIIème siècle : Le Moulin de la Fontaine-Saint-Denis, le Moulin-des-Prés, le Moulin-Vieux, le Moulin-Neuf, le Moulin de la Béquille, le Moulin du Vin, le
Moulin-Paradis, la Turlure, la Lancette, la Poivrière, la Grande-Tour, la Vieille-Tour, la Petite-Tour...et les deux rescapés que l'on peut voir aujourd'hui rue Lepic : le Radet et le Blute-Fin,
plus connu depuis un certain temps sous le nom de Moulin de la Galette.
Le Radet, à l'angle des rues Lepic et
Girardon.
Mais revenons à nos Debray. Ils étaient meuniers de père en fils sur la Butte depuis le Moyen-Âge et ils assuraient la charge de "meuniers des Dames de Montmartre", religieuses auxquelles appartenaient quelques moulins. Elles les perdirent dans la tourmente révolutionnaire comme elles perdirent la tête, à l'image du Saint Patron de la butte décapité quelques siècles plus tôt. Les debray achetèrent les moulins où ils travaillaient lorsqu'ils furent vendus comme biens nationaux. Les deux survivants qui ornent toujours la Butte devint donc leur propriété.
Le Moulin de la Galette.
En mars 1814, les Russes s'emparent de Montmartre. Les quatre frères Debray ne l'entendent pas de cette
oreille et se battent comme des lions. Trois d'entre eux sont tués. Le quatrième se réfugie avec son fils dans son moulin où ont été installées des pièces de canon. Il veut venger ses
frères et se bat avec une colère très efficace, causant la mort de plusieurs cosaques. Mais le combat est inégal. Il est saisi brutalement et massacré dans les règles russes de l'art tandis que
son jeune fils est transpercé par une lance ennemie.
Le corps du dernier frère est découpé en morceaux, quatre quartiers pour être précis, qui sont attachés aux ailes de son moulin que ses
bouchers s'amusent à faire tourner. Pendant la nuit, la veuve du meunier viendra détacher les restes sanglants de son mari pour les enfouir près de l'église Saint-Pierre. Plus tard un petit
monument funéraire surmonté d'un moulin de pierre rendra hommage au valeureux combattant (vous ne pourrez lui rendre visite qu'un seul jour par an, le cimetière paroissial où reposent avec
Debray, Bougainville et Pigalle n'ouvrant ses portes qu'à la Toussaint).
Le fils mal embroché survivra mais ne pourra jamais avaler que du lait alors que sur la butte on aimait tant le petit vin de la Goutte d'Or. Les accros de la dive
bouteille n'ont jamais pensé à ce moyen radical de se libérer de la dépendance pinardière.
C'est pourtant ce fils condamné au lait qui très amateur de jolies danseuses et lui même danseur émérite transformera son moulin en bal populaire. La famille Debray ne gardera que le
Blute-Fin qui deviendra en 1895 Moulin de la Galette et qui sera très fréquenté par les peintres. Il inspirera Renoir, Toulouse-Lautrec et Picasso... Le Radet que nous voyons ci-dessus étant en
très mauvais état et menaçant de s'écrouler, les debray cédent à la mobilisation des montmartrois qui veulent le sauvegarder et l'offrent à la Société du Vieux Montmartre qui le
restaure.
Le Moulin de la Galette est en fait le dernier rescapé en état de marche. Malheureusement il ne se visite pas et on ne peut que lui faire un grand signe en ouvrant les bras. Mais prenez garde de ne pas vous envoler...Il se passe de drôles de choses à l'ombre des moulins !
liens: le Château des Brouillards à Montmartre
Montmartre. La Goulue et Toulouse Lautrec.
Montmartre: Jane Avril, Toulouse Lautrec.