Voilà que j'arrive une fois de plus après la bataille! L'exposition de peinture à la Commanderie est terminée depuis une semaine.
Le 21ème salon des Artistes Lepic-Abbesses a fermé ses portes le 7 mai!
Cette expo est pourtant ce qui correspond le mieux à l'esprit du Montmartre que nous aimons, celui des rêveurs, des artistes.
Modeste, vivante, talentueuse... elle réunit des peintres qui aiment partager les couleurs de leurs rêves.
Leur professeur, Christian Mangin, peintre lui-même les guide dans leur apprentissage. Il n'a pas la grosse tête et son abord est chaleureux.
J'ai choisi dans cet article quelques oeuvres exposées à la Commanderie et j'ai dû à regret écarter celles qui étaient encadrées sous verre. Mon appareil photo ne supportant pas les reflets et les irisations qui mangent dessins et couleurs.
J'ai donc retenu quelques toiles qui m'ont aussitôt plu. Si j'excepte Gabriel Froget dont j'ai parlé récemment, ce sont des toiles peintes par des femmes. Moi qui aime tant Valadon, je reconnais que ça m'a fait plaisir, cette année où de grandes expositions redécouvrent la fécondité et l'originalité des femmes injustement négligées (Eva Anna Bergmann au MAM, Françoise Petrovitch au musée de la Vie Romantique, les femmes surréalistes au musée de Montmartre....)
Dès l'entrée dans l'octogone néo Renaissance de la Commanderie, c'est le rouge qui attire mon regard. Et si le poète Alain Duault parle de "rouge comme un chat", voulant dire que le chat est si particulier, si beau, si étrange qu'il attire le regard comme le fait la couleur rouge, avec Alice Sauvages, nous pourrions dire "rouge comme un ibis".
L'oiseau rouge s'impose, sur un carrelage bleu près d'une baignoire d'angle qui s'emplit non pas d'eau mais de feuilles vertes. La pièce s'ouvre sur la nature, sur les herbes folles et les fleurs qui tournent comme des moulins à vents. Atmosphère onirique, traversée du miroir bien naturelle quand on s'appelle Alice... et... Sauvages
D'Alice Sauvages encore cette "poupée" seule et fragile devant un vase au décor de tiges-tentacules, tandis que derrière la fragile protection de la verrière passe un oiseau armé d'un bec menaçant. Une scène comme un rêve que l'on livrerait à son analyste.
D'elle enfin ces nuages qui se referment sur le soleil. Ce ne sont pas "les merveilleux nuages" de Baudelaire mais ceux qui font naître la nuit. Il faut vite profiter du dernier soleil qui va toucher l'horizon.
C'est une autre artiste, Stéphanie Mc Corry qui a peint cette "orque". Curieusement, le tableau fait écho à la poupée rousse et à l'oiseau qui vole contre les vitres d'Alice Sauvages. Ici la fillette, protégée par la serre de verre, regarde sans peur l'animal qui semble sourire et prend des allures de dauphin alors qu'il est un un super prédateur, appelé par les Anglais "baleine tueuse". La fillette se sent à l'abri, elle ne craint pas ce "dauphin". Abri illusoire? Rencontre redoutée et espérée peut-être avec l'inconnu? Virginité menacée? Libre à vous de libérer votre imagination devant cette belle toile!
Toujours de Stéphanie Mc Corry "La fête est finie". La jeune fille, une flûte à la main est lasse et pensive sur les divans qui ressemblent à des algues. La boule scintillante qui tournait au plafond est tombée. Des méduses flottent dans leur aquarium. Quelques serpentins survivent sur le sol. Une scène qui, une nouvelle fois, laisse libre cours à notre imagination. Quand peinture et poésie sont indissociables...
"Le Lecteur". Le garçon est happé par sa lecture mieux que par un écran. L'univers des contes et des aventures prend vie autour de lui, avec lui. Il s'envole avec la fusée qu'il chevauche vers les galaxies. C'est "L'enfant et les sortilèges" mais apaisé, sans la violence du conte de Colette!
Deux toiles encore de Stéphanie Mc Corry. "La Cité des artistes", la nuit, sous un éclairage de réverbères qui fait briller les pavés. Paysage urbain qui sans artifices, sans trucages, transmet poésie et vague inquiétude.
"Batiment B" est lui sous un grand ciel bleu, précis, frappé par la lumière. En général à Paris, les bâtiments qui ne sont pas en façade se gagnent en passant des cours sinistre. Ici il revendique fièrement sa lettre B! Le soleil lui donne sa beauté et son assurance.
Avec Claude Vigneau nous découvrons des paysages apparemment plus classiques. Mais c'est oublier dans "Invararay" le ciel tourmenté et son miroir sur lequel le bateau rouge à côte du voilier noir flotte comme flottent les drapeaux.
Et que dire de ce paysage bucolique "Higland cattle" qui rappelle à la fois l'art que l'on dit à tort "naïf" de Rousseau et celui, atttentif et lumineux de Rosa Bonheur.
Place Dullin. Théâtre de l'Atelier
Je ne résiste pas au plaisir de proposer deux toiles qui ne font pas partie de l'expo. Elles sont de Claude Vigneau et montrent notre Montmartre, comme le faisait Utrillo, avec fidélité et aussi, comme lui, sensibilité et poésie.
Rue Norvins
Pour terminer en musique, un dernier tableau de Brigitte Galinon : l'Opéra Garnier avec un relief, une lumière, un charme qui nous font regretter de ne pas voir plus de toiles de cette artiste.
Une belle découverte pour moi que ces peintres de grand talent et cet atelier dirigé par Christian Mangin. J'espère que l'année prochaine je serai plus attentif et présenterai dès le premier jour le 22ème salon des Artistes Lepic-Abbesses!
Je pense, en voyant ces toiles à ce qu'écrivait Janson :
"Il ne faut pas peindre ce qu'on voit, il faut peindre ce qu'on sent. La ligne du dessin doit toujours être un peu la ligne du coeur .. prolongée."