Sarah Bernhardt avait un tigre, couleur noir et or...
Il montait la garde dans son hôtel particulier et impressionnait les visiteurs...
La diva avait une passion pour les fauves et les félins, à la manière de son époque où rares étaient ceux qui se préoccupaient de la souffrance animale. N'est pas Louise Michel qui veut!
Elle posséda, à certaines périodes de sa vie, une arche de Noé composée de caméléons, de singes, de pumas, de crocodiles.
Animaux dont elle se défaisait dès qu'ils devenaient encombrants.
Elle acheta même à Mr Cross un lionceau qu'elle exposa dans une cage dans son hôtel. Au bout d'une semaine la puanteur était telle que le lionceau fut renvoyé à son vendeur.
Et son tigre?
Eh bien il entra chez elle et y resta des années malgré sa belle taille : 88 cm de haut, 1 m35 de long.
Son âge exact, nul ne le sait vraiment. Il a vu le jour entre le début du XVIIIème siècle et la première moitié du XIXème, au Japon, pendant l'époque Edo.
Il a été acheté par Siegfried Bing, célèbre vendeur d'art japonais qui participa à la mode japonisante dans la création française. Sarah en fit l'acquisition dans son magasin de la rue Chauchat "Fantaisies Japonaises" où il était exposé et faisait l'admiration de tous les amateurs.
Il lui en coûta 6000 francs, environ 25000 euros!
Il est exceptionnel et mérite bien ce prix! De laque et d'or, il semble avoir été surpris et, queue dressée, se mettre en position d'attaque, les yeux (de verre) exorbités.
Réaliste et fantastique à la fois, il impressionne et fascine….
La patte avant droite porte une encoche qui laisse penser que manque une partie de la sculpture. Peut-être une proie maintenue au sol...
Il se sentait bien chez Sarah, ne dérangeait personne, n'avait d'odeur que celle de l'encens qu'on faisait brûler devant lui...
Bref, il jouait son rôle décoratif à merveille jusqu'au jour où...
Nous sommes en 1895, Sarah joue dans une pièce de Victorien Sardou, "Théodora". Elle connaît toujours le succès mais ses dépenses folles menacent son équilibre financier.
Il faut trouver au plus vite de quoi apaiser les créanciers dont la meute ne recule pas devant la gueule menaçante du tigre.
Si l'on en croit Edmond de Goncourt, elle écrit à Cernuschi pour lui proposer d'acquérir l'animal :
" Je suis pauvre comme mon aïeul Job. Voulez-vous m'acheter 3000 francs un tigre que j'ai payé 6000 francs chez Bing? … Mais j'ai besoin d'argent tout de suite… Je m'adresse à vous, parce que mon tigre est superbe et japonais."
Et voilà comment , bradé à la moitié de sa valeur, le magnifique félin rejoint la collection Cernuschi.
Il y est à l'honneur mais il garde quelque chose du prestige de son ancienne maîtresse car dans sa vitrine, son curriculum vitae rappelle qu'il fut "LE TIGRE DE SARAH BERNHARDT".