L'affiche laisse espérer de belles découvertes et un voyage dans un mouvement foisonnant et briseur de frontières. Un voyage au féminin car les mâles surréalistes sont si connus et reconnus qu'on imagine mal une exposition ayant pour titre "Le Surréalisme au masculin".
Nous pouvions penser qu'enfin une injustice serait désignée et que nous allions remettre les montres, qu'elles soient molles ou non, à l'heure.
Hélas il faut bien le dire, si le parcours est pédagogique et ne manque pas de panneaux explicatifs un tantinet rébarbatifs, l'éclatement, la dispersion sont au rendez-vous.
La matière était trop riche et la cinquantaine d'artistes retenues trop nombreuses pour que la rencontre avec elles puisse vraiment se faire.
Précisons que l'exigüité du musée est peu adaptée aux grandes expositions (bizarrement la plus grande salle, celle du rez-de-chaussée est consacrée à une autre exposition).
Les grandes œuvres féminines, les chefs d'œuvre reconnus sont absents. Question de format sans doute et de budget peut-être.
Nous trouverons beaucoup de petits cadres, petites photos, petits dessins.... et peu de grandes toiles. Nous sommes prévenus il est vrai dès le palier. Je cite ce passage affiché dès l'accueil car il marque les limites, modestes, que se sont fixées les organisateurs :
"Conçue comme une hypothèse plutôt que comme une démonstration (là j'ajoute "hélas"), cette exposition propose un inventaire non exhaustif d'une cinquantaine d'artistes ou poètes dont les créations datées des années 30 aux années 2000 excèdent la date de dissolution officielle du groupe surréaliste (1969) (Là je rajoute "hélas"). Cette exposition tente de cerner ce que fut la part féminine du surréalisme et se veut une invitation à poursuivre les recherches sur un sujet infiniment complexe et varié.
Tout est dit. Sujet complexe certes mais qui n'est guère clarifié tant sont nombreuses les pistes suggérées et jamais approfondies. Sujet varié certes qui aurait mérité un élagage plus qu'un embroussaillage (néologisme assumé).
J'ai retenu de ma visite quelques œuvres pour vous donner envie peut-être d'aller au musée de Montmartre. De me contredire peut-être. De toutes les façons, on ne perd jamais sont temps quand on se rend dans ce lieu magique, veillé par la grande Suzanne Valadon.
Jacqueline Lamba. "La femme blonde" 1930. Artiste connue mère de la petite Aube qu'elle eut avec Breton, elle est liée à notre quartier puisqu'elle se produisit rue Marguerite de Rochechouart, en naïade, ou plutôt "ondine". Rappel de l'Amour Fou et du "Ici l'on dîne".
"L'art, la poésie, c'est le précipité de la beauté dans l'émotion." (J. Lamba)
Paule Vézelay. Paysage, three horses. 1929. Un peu Dufy, un peu Chagall, mais tout à fait Paule Vézelay!
"Je suis certaine que les formes dans mes œuvres non figuratives, sont inventées et ne trouvent pas leur genèse dans des formes naturelles". (Paule Vézelay)
Jane Graverol. Hautes herbes. 1946.
Référence claire au Douanier Rousseau et au rêve de Yadwiga. Le sommeil est attente de toutes les surprises, de tous les voyages.
Le sacre du printemps (1960)
C'est le tableau qui a été choisi pour l'affiche de l'exposition. C'est un choix judicieux qui promet beaucoup au risque de la déception. Ici le surréalisme prend tout son sens, tremplin vers l'imaginaire, trouble du désir.... Le sein dénudé, le bec agressif, le rouge de la chemise... Chacun pourra divaguer, naviguer selon ses fantasmes! N'oublions pas que le Sacre du Printemps de Stravinsky met en scène le sacrifice d'une jeune fille offerte aux dieux.
Jane Graverol. Ni titre ni date. Ce livre surnage dans l'océan qui cerne un piédestal survivant du désastre qui a anéanti la civilisation.
Le livre seul, menacé, vulnérable est encore vivant.
"Être surréaliste est un état que l'on porte en soi ou non. Sans théorie, je possédais ce qui me fondait à eux." (Jane Graverol)
Valentine Hugo. Le Toucan. 1937.
Valentine Hugo est présente avec ce toucan-serrure et avec un dessin qui illustre le rêve qu'elle fit le 21 décembre 1929.
Elle a épousé l'arrière petit fils de Victor Hugo mais tous ceux qui étudient le surréalisme savent qu'elle a eu une liaison avec Eluard d'après Gala et avec Breton.
"Je peux dire que Paul Eluard et André Breton que j'ai admirés dans leurs œuvres depuis toujours et pour toujours m'ont sauvée du désespoir." (Valentine Hugo)
Ce qui ne l'empêcha pas de quitter le surréalisme en 1937!
Une belle surprise avec cette toile, une des rares de cette importance dans l'exposition : "Couple d'oiseaux anthropomorphes" de Suzanne Van Damme (1946).
Elle est belge comme de nombreux surréalistes mais vient à Paris où elle vit plusieurs années à Montmartre. On aurait aimé voir quelques toiles de cette importance de Léonor Fini par exemple qui n'a droit qu'à une aquarelle de petit format alors qu'elle est sans doute la surréaliste la plus emblématique du rêve, de la poésie, de la sensualité!
Léonor Fini. L'homme entre deux âges et deux maîtresses. 1961
On se consolera peut-être avec le beau tableau de Leonora Carrington, "Sans titre" (1929), d'un imaginaire proche de celui de Léonor Fini. La même élégance, la même étrangeté, la même poésie. J'allais dire le même œuf!
"Je n'ai pas eu le temps d'être la muse de qui que ce soit... J'étais trop occupée à me rebeller contre ma famille et à apprendre à être une artiste." (Léonora Carringtam)
Mimi Parent est une des artiste les plus présentes dans l'exposition. Une grande broderie (cliché de l'occupation féminine) reprend le thème de l'oiseau et de la femme (cliché de la peinture mythologique).
Mimi Parent. "Léda". 1997
Bien que très tardive, cette "boîte" correspond bien à l'élan surréaliste qui entraînait et fusionnait les arts jusque là séparés, peinture, sculpture, poésie....
"La fête reprendra, mais spontanément; la braise est là, il suffira d'un jour de grand vent." (Mimi Parent)
Rachel Baes. "La première leçon" 1951
Avec Rachel Baes, la jeune fille-enfant habillée comme une poupée est enfermée dans une pièce sans issue, les mains liées. Sexualité, violence, viol, innocence pas si innocente...
"Je n'aime pas l'hypocrisie, je n'aime pas les hypocrites. C'est peut-être pour ça que je peins des petites filles un peu hypocrites. (Rachel Baes)
L'exposition se termine avec une ouverture sur l'après surréalisme et la fécondité du mouvement. Une toile de Toyen nous attend dans la dernière salle. Toyen! Sans doute la plus grande peintre surréaliste! Une formidable exposition lui a été consacrée au Musée d'Art Moderne, vaste, claire, sans pathos, une exposition idéale qui permettait une vraie rencontre.
Toyen "En proie à leurs regards". 1957
Nous quittons l'exposition pas franchement convaincante avec une légère frustration et beaucoup de questions.
Mais.... mais... Que ne l'avais-je remarqué? L'affiche annonçait la couleur! Je n'avais pas vu le point d'interrogation qui suivait le titre. Un immense point d'interrogation!
Tout est dit!