Elle descend en ligne droite entre le boulevard Marguerite de Rochechouart au niveau de la place d'Anvers et la Gare du Nord où elle cède la place à Napoléon III (ancienne place de Roubaix) avant de reprendre son chemin sur une cinquantaine de mètres jusqu'à la rue d'Alsace.
La numérotation voudrait qu'on dise plutôt qu'elle monte de la rue d'Alsace jusqu'au boulevard de Rochechouart mais comme nous avons Montmartre pour épicentre, nous la parcourrons en commençant par les derniers numéros, près du square d'Anvers.
Nous pouvons la diviser en trois parties pour raconter sa création.
La plus ancienne partie court sur plus de 500 mètres entre la Gare du Nord (faubourg Saint-Denis) et le faubourg Poissonnière.
Son plan de lotissement est tracé en 1827 sur les terrains de l'Enclos Saint-Lazare.
Il faudrait des centaines de pages pour retracer l'histoire de ce clos qui remonte au XIIème siècle quand il fallut isoler les lépreux dans des bâtiments entourés de murs (sous la protection de Saint Lazare). Au XVIIème siècle c'est là que St Vincent de Paul créa les Filles de la Mission et recueillit les orphelins. C'est un des lieux les plus chargés d'histoire de Paris.
La rue nouvellement créée prend le nom des Abattoirs de Montmartre situés plus haut pour remplacer les nombreuses "tueries" insalubres. Elle gardera ce nom jusqu'en 1847 pour prendre celui de Dunkerque. Plusieurs rues du quartier rendront hommage à des villes du nord de même que sur la façade de la gare, des statues de pierre les représenteront telles des déesses antiques.
La rue était prolongée à l'est par une impasse "le cul de sac Saint-Lazare" qui devint "impasse des Abattoirs" puisqu'elle prolongeait la rue du même nom.
Enfin quand Dunkerque remplaça 'les Abattoirs", l'impasse transformée en rue, fit partie de la nouvelle rue.
La dernière partie va de la rue du Faubourg Poissonnière au boulevard Marguerite de Rochechouart.
C'était à l'origine la rue Neuve du Delta qui portait ce nom à cause du jardin d'attractions sur lequel elle avait été lotie en 1839.
Ce grand jardin attirait de nombreux parisiens émerveillés par les spectacles de feux d'artifice de Ruggieri. Il avait remplacé les "Promenades Egyptiennes" ou avaient été inaugurées les ancêtres des montagnes russes. C'est à la suite de nombreux accidents que les Promenades Egyptiennes avaient cédé la place au jardin du Delta.
La Place du Delta, la rue de Rochechouart
La rue du Delta voisine et la place du même nom en perpétuent la mémoire.
La rue Neuve du Delta fut réunie en 1854 à la rue de Dunkerque et prit son nom. Et voilà! Nous avons notre rue en son entier sur 1km 100.
Nous commençons notre balade par la fin de la rue, comme nous l'avons dit, là où elle est montmartroise. Elle débouche sur la place d'Anvers, devant le boulevard Marguerite de Rochechouart, à deux pas du square d'Anvers.
Le Café des Oiseaux côté impair nous invite à prendre un peu de hauteur afin d'éviter les ordures qui s'entassent depuis près de trois semaines. Mes photos éviteront donc les rez-de-chaussée nauséabonds et grouillants de rats! Un seul exemple suffira (suffi- rat)
84 rue de Dunkerque. Entrée de l'espace de réunions de l'hôtel "Le Régent"
Le café des Oiseaux est cité dans l'Amour Fou de Breton.
Le boulevard, le square d'Anvers et à gauche la rue de Dunkerque et le café des oiseaux.
C'est là que l'artiste rare, peintre de talent, Jacqueline Lamba, lui donne rendez-vous, pour, après deux heures de conversation, déambuler dans les rues d'un Paris nocturne et magique.
Le cirque (Jacqueline lamba)
Jacqueline Lamba et Breton
Cette femme "scandaleusement belle" sera la 2ème femme de Breton et la mère de leur fille Aube. Elle est à peine mentionnée hélas dans l'exposition que le musée de Montmartre consacre jusqu'en septembre 2023 aux femmes surréalistes.
La partie de rue qui va jusqu'au croisement avec l'avenue Trudaine possède de beaux immeubles haussmanniens construits en même temps que l'avenue. Ils sont comme il se doit, de même hauteur (6 étages) avec décoration de moulures et de corniches avec balcon à l'étage noble (2ème) et balcon filant au 6ème.
Le 85
Nous pouvons voir sur la façade du 83 le nom de l'architecte et la date de construction : De Lalande. 1870.
Cet architecte est très en vogue sous le 2nd Empire et on lui doit plusieurs théâtres, notamment le théâtre de la Renaissance qui a survécu au vandalisme des années Pompidou.
C'est à lui que l'on doit le beaux immeubles du début (côté pair) de l'avenue Trudaine.
Une ancienne photo rappelle qu'il y eut au 83, un restaurant depuis longtemps disparu.
Il y eut au 87 un hôtel du nom de Reina. Sans les cartes anciennes nous n'en saurions plus rien.
Une curiosité sur l'immeuble à pan coupé du 76, c'est qu'il affiche deux numéros, l'un sur la rue de Dunkerque (76) et l'autre sur la rue Gérando (9).
La rue, hélas, n'a pas abrité beaucoup de peintres dans un quartier qu'ils avaient pourtant investi. Revenons donc vite au 91 où vécut et mourut Alexis Kalaeff.
Ce peintre né en 1902 en Russie se réfugie à Paris en 1926 où il suit les cours d'Othon Friesz. Il est classé parmi les Expressionnistes bien que son oeuvre présentât bien des facettes.
Préparation pour le bal masqué
Il peignit des paysages, des scènes de cirque (il fréquentait en voisin le Médrano)... des scènes religieuses. Ce dernier aspect révèle son âme torturée qui fait de la passion du Christ l'image même de la condition humaine.
L'accusé
Après la mort de son grand amour, sa femme Claudine, il se suicide dans cet immeuble du 91. Il a 79 ans. J'aurais aimé le connaître.
Nous aurions bu un verre au Café des Oiseaux et j'aurais pu lui dire que je l'admirais.
Femme au flambeau
Nous arrivons au croisement avec la rue Marguerite de Rochechouart. La rue descend en droite ligne plein est.
Le 57 est un des rares immeubles à porter, gravé dans la pierre, le nom de son architecte : F. Ratier 1872.
Je n'ai rien trouvé sur cet architecte qui serait le bienvenu pendant ces grèves, pour contrer la gent des muridés qui prolifère dans nos poubelles!
Cette section qui va jusqu'à la rue du Faubourg Poissonnière (38 côté pair et 51 côté impair) n'a pas grand chose à nous raconter. Nous y rencontrerons quelques immeubles haussmanniens..
Le 54
Nous trouverons cependant un intérêt historique à un groupe d'immeubles semblables , les 46-48-50 qui ont été construits par la Compagnie d'Assurances "La Confiance" en 1880.
Les Assurances en effet investissaient dans l'immobilier et le bon rapport financier des locations. Nos immeubles de la rue de Dunkerque font partie d'un vaste ensemble qui donne en partie sur la rue du Faubourg Poissonnière. Adieu au style haussmannien... les façades de pierres sont simples et sans décors.
Ce qui n'est pas le cas du bel immeuble fin de siècle du 44
Jetons un œil sur le 43.
43
Sa belle façade de 1930 développe ses baies vitrées derrière lesquelles il y eut le siège des Editions des frères Offenstadt. Les quatre frères s'étaient spécialisés dans la presse enfantine et leurs journaux connaissaient une grande diffusion. Parmi leurs valeurs les plus sûres et les plus impertinentes figuraient le Pieds Nickelés qui amusaient petits et grands.
Sous le régime de Vichy, ils subirent les lois antijuives et furent spoliés. Maurice mourut en 1943 à Nice où il s'était réfugié, Nathan mourut au camp de Drancy. Les frères rescapés ne retrouvèrent leurs biens qu'en 1946 mais ne parvinrent pas à reconquérir le marché de la presse pour jeunes où régnaient Spirou, Tintin et autre Mickey.
Aujourd'hui se trouve dans cet immeuble le siège de La France Insoumise. Peut-être les Pieds Nickelés inspirent-ils leurs membres ?
Cette partie montmartroise de la rue de Dunkerque, s'arrête avec le 9ème arrondissement au croisement avec le Faubourg Poissonnière (n°51 et n°38). De l'autre côté, nous serons dans le 10ème arrondissement. Nous arpenterons une prochaine fois la deuxième partie, la plus ancienne, qui va vers la Gare du Nord, ce palais des voyages voulu par Napoléon III.
Croisement avec le Faubourg Poissonnière vers Gare du Nord.