Pour la 2ème année la Commanderie accueille un peintre que nous avions découvert l'an dernier et qui nous avait impressionné par la précision de sa touche et l'ampleur de son imagination.
La première toile qui attire notre regard et nous invite au silence et au voyage semble droit venue du romantisme allemand par son étrangeté et sa poésie.
"La vie ne vient pas à nous".
Ce qui frappe tout d'abord c'est l'atmosphère de la toile. Celle d'un rêve ou d'un cauchemar avec ces trouées de lumière dans un ciel de plomb. Les couleurs, la précision, la composition nous disent que nous sommes en présence d'un peintre qui a sans doute été, comme tous les artistes en devenir, à l'école de grands devanciers, mais qui a dépassé le stade de l'imitation.
Libre à nous d'interpréter cette vision. Devons-nous, à la seule force de la volonté, naviguer sur une eau épaisse et nocturne pour accoster enfin sur une île où grandit l'arbre de vie et où une possible rencontre nous attend?
Mêmes teintes de gris et de miroir dans ce paysage romantique de montagnes, de lac, de château qui se confond avec les roches. "Peu de choses en somme". Tel est le titre de cet immense panorama sans autre trace d'humanité que ce château déserté. Mais en y regardant de plus près, on distingue une petite silhouette en marche. Peu de chose mais pourtant un vivant qui chemine dans l'implacable immensité du paysage.
Retour de la couleur et du ciel avec cette grande toile "D'une relation compliquée". On pense bien sûr au Petit Prince et au lent apprivoisement nécessaire pour devenir amis et solidaires. Pourquoi ce titre? S'agit-il de la relation de l'homme avec la nature? Cette nature qui est là, éclatante, quand les monuments construits par l'homme sont en ruines? Quand l'homme fier de sa force combat les animaux sauvages?
C'est cette vision qui apparaît dans le ciel d'azur. Une vision qui semble appartenir à un autre monde que celui de l'enfant et du renard. J'aurais tendance à récupérer cette allégorie pour y voir l'espoir d'un monde réconcilié avec la nature tandis que subsiste, menaçant et prêt à repartir en guerre, le désir qui se croit viril de dominer et détruire.
Un arbre dont les feuilles attestent qu'il n'est pas mort, au bord d'un monde englouti où quelques sommets émergent des brumes...
C'est ce tableau que le peintre a choisi pour l'affiche de son exposition
"Ils étaient là".
Un tissu rouge est resté accroché à l'arbre, seule trace d'un moment heureux peut-être, d'une rencontre... Dérisoire souvenir, comme le sont les ruines, de la vie qui se croyait immortelle. Voilà un tableau qui illustrerait les poèmes de Supervielle.
C'est beau "D'avoir senti la vie, Hâtive et mal aimée, Et de l'avoir enfermée, Dans cette poésie".
"La fin du cycle".
Magnifique toile, symphonie d'ombres et de lumières, d'éléments qui sont ceux d'une genèse où tout sera possible. Violence et fragilité, et toujours, perdue dans l'immensité, une silhouette, seule, témoin de la fin du monde et du renouveau. Toile romantique s'il en est. J'aime cet arbre tombé au dessus du gouffre et qui, s'il va mourir, va également permettre le passage d'une rive à l'autre.
D'autres toiles, si elles montrent la même maîtrise technique, se rapprochent du surréalisme. La sphère mystérieuse comme la pierre noire de 2001 de Kubrick, se déplace dans un monde minéral où les ruines elles mêmes sont falaises.
L'arbre si présent dans l'univers du peintre se tient debout comme une sentinelle. On ne sait quelle promesse de vie tient dans l'astre solitaire qui passe dans cet univers pétrifié comme passait la mince silhouette de "Peu de choses en somme" et comme était en attente celle de "La vie ne vient pas à nous".
Quelques dessins sont exposés dont celui que je préfère (je ne cherche pas à être objectif!)
Attente
L'exposition de Gabriel Froget se termine le 29 avril et je regrette d'avoir été absent et de n'avoir pu en rendre compte plus tôt.
Mais ce n'est que partie remise car je suis intimement persuadé que ce peintre ne s'arrêtera pas en si bon chemin. Son art maîtrisé va s'incarner dans des œuvres qui ne seront qu'à lui. Les influences s'estomperont pour laisser place au monde qui est le sien où lumières et ombres s'affrontent et où l'on sent la solitude et l'inquiétude combattues par un désir puissant de vie et de rencontre.