Apparemment il aurait existé une place Ravignan à Montmartre si l'on en croit les clichés et cartes postales que l'on retrouve en abondance.
Et, mystère montmartrois, il en aurait existé non pas UNE mais DEUX!
La première aurait été la continuation de la rue Ravignan qui après quelques marches s'élargit devant le Bateau-Lavoir avant de reprendre son cours jusqu'à sa jonction avec la rue Gabrielle.
Elle faisait partie en réalité de la RUE Ravignan qui s'élargit sur une quarantaine de mètres après les quelques marches. Elle n'a jamais porté officiellement le nom de place, n'en déplaise aux nombreux clichés qui la présentent sous ce nom. Utrillo qui comme l'on sait, peignait souvent en reproduisant des cartes postales, a lui aussi appelé "place Ravignan" certaines de ses œuvres.
Place Ravignan (Utrillo)
Ce qui est certain c'est que dès 1911, elle est détachée de la rue Ravignan pour devenir la place Emile Goudeau. Il n'empêche que de nombreux Montmartrois ont continué de lui donner un nom qu'elle n'avait jamais porté.
La rue Ravignan dépossédée de cet espace arboré continue son chemin vers les hauteurs comme une rivière qui disparaît soudain en s'enfonçant sous terre pour rejaillir, plus vigoureuse encore un peu plus loin.
Rue Ravignan après la place Emile Goudeau (à droite rue Berthe, à gauche rue d'Orchampt)
C'est au niveau de la rue Berthe que s'accomplit cette résurgence.
Mais elle ignore notre chère rue Ravignan qu'elle va de nouveau être amputée, un peu plus loin, un peu plus haut. Cette nouvelle spoliation se fera à sa rencontre avec la rue Gabrielle.
C'est en effet à cet endroit qu'elle finit aujourd'hui sa course, rencontrant le petit immeuble où Picasso eut un atelier et où mourut son ami Casagemas.
Naguère, la rue Ravignan ne s'arrêtait pas en si bon chemin, elle tournait quasiment à angle droit et poursuivait plein nord jusqu'à la rue Norvins. Seul son côté pair était bâti, du numéro 22bis au numéro 34. L'autre côté donnant sur un terrain devenu vague et inconstructible depuis que la guinguette "La Tour de Montmartre" avait été engloutie par un fontis.
Avant la création de la place Clément. On voit que l'endroit était appelé "Place Ravignan" et parfois "rue Ravignan".
Exit la rue Ravignan et ses derniers numéros (transformés en numéros 2 à 12) lorsque fut créée par un décret de décembre 1905 (effectif en 1906) la place Jean Baptiste Clément.
Cette place est un triangle dont le côté nord est la partie extrême de la rue Lepic dont les numéros 97 à 101 sont devenus les numéros 7 à 11 de la place
Arrière plan, la rue Lepic et le Réservoir.
Le côté ouest était formé par une vieille rue, trop courte pour subsister, qui allait de la rue Ravignan à la rue Lepic.
Il s'agit de la rue Feuchère dont les numéros 1 à 3 subsistèrent, augmentés d'un 5, sur la nouvelle place.
Ancienne rue Feuchère (aujourd'hui place J.B. Clément)
Souvenons-nous un instant de cette modeste rue du haut Montmartre qui honorait le sculpteur Jean-Jacques Feuchère (1807-1852).
La rue Feuchère à gauche (un des rares clichés où elle est mentionnée)
Beaucoup de rues de Montmartre rendent hommage à des sculpteurs ou des graveurs, à commencer par Pigalle en passant par Pilon, Houdon, Coustou, Androuet, Girardon etc...
Jean-Jacques Feuchère malgré sa courte vie fut très sollicité et nous passons souvent à Paris devant ses sculptures ou bas reliefs en ignorant leur auteur...
Le passage du pont d'Iéna sur l'Arc de Triomphe (Feuchère)
La liste serait trop longue mais contentons nous de mentionner son Bossuet de la Fontaine Saint-Sulpice, son cavalier arabe du pont d'Iéna, sa prise du pont d'Iéna de l'Arc de Triomphe, sa "Loi" place du Palais Bourbon, ses statues de la fontaine nord de la place de la Concorde...
Et voilà! Cette place Ravignan, comme celle située plus bas, N'A DONC JAMAIS EU D'EXISTENCE OFFICIELLE sinon dans la langue montmartroise qui donnait à ce terrain vierge le nom de la rue qui le bordait, le vieux chemin qui depuis des temps anciens montait, en courbes capricieuses jusqu'au cœur du village
Notre enquête s'achève sur ce constat qui évitera peut-être des recherches aux collectionneurs de cartes anciennes, dont certains sont des amis.
Place Jean Baptiste Clément (Utrillo)
Nous quittons ce lieu haut perché avec notre Jean Baptiste (sans trait d'union, comme il le voulait pour se différencier de son père Jean-Baptiste Clément), communard, homme au grand cœur, Montmartrois d'âme et de corps puisqu'il eut non moins que 12 adresses sur la Butte, poète bien sûr. Une place où les merles moqueurs s'en donnent à bec joie et où nous revient sur les lèvres la chanson si souvent chantée par nos anciens, chanson qui évoque le printemps éphémère et la couleur des cerises, couleur de la vie et du sang
J’aimerai toujours le temps des cerises:
C’est de ce temps-là que je garde au cœur
Une plaie ouverte!
Et dame Fortune, en m’étant offerte,
Ne pourra jamais fermer ma douleur…
J’aimerai toujours le temps des cerises
Et le souvenir que je garde au cœur!
Un grand merci à Pierre, ancien poulbot de la rue Lepic, d'avoir aiguillonné ma curiosité et de m'avoir transformé en enquêteur occasionnel!
Liens
Peintres, artistes, célébrités de Montmartre.