Elle est connue dans le monde entier, photographiée, mitraillée, avec ou sans selfies, elle voyage sur tous les continents, faussement modeste, fièrement humble.... La Maison Rose!
Et pourtant, celle qui revendique autant de clichés que le Taj Mahal n'est rien qu'une petite maison, retapée, restaurée, peinte, repeinte, dans ce qui fut un village sans prétention sur le versant nord d'une Butte qui se croyait protégée des tentacules urbaines.
Avant de retracer son histoire, c'est avec ceux qui plantèrent devant elle leur chevalet qu'il convient de la découvrir. Ses peintres ne savaient pas que la simple maison aurait un jour, grâce à eux, le statut de Joconde montmartroise.
Le plus connu de ses admirateurs fut bien sûr Utrillo.
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Notre Maurice, fils d'une mère aussi talentueuse que lui, sinon plus, la peignit bien des fois alors qu'il habitait à cent mètres d'elle, rue Cortot.
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Il eut le loisir de la représenter telle qu'elle était, maison de village, sans originalité sinon celle d'être située en face de la maison de Bruant, au carrefour entre les rues de l'Abreuvoir, des Saules et Cortot. Il l'immortalisa avant qu'elle ne s'appelât "la maison rose". Elle avait alors les mêmes murs crayeux que ses consoeurs villageoises.
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L'aspect simple et naïf des toiles ainsi que l'image d'un Paris villageois et pittoresque eurent l'heur de plaire. La maison sous le ciel gris ou bleu, sous le soleil ou sous la neige devint l'un des sujets de prédilection du peintre.
On ne compte plus les artistes qui prirent la suite d'Utrillo. Parmi eux, Elysée Maclet, montmartrois de coeur et de pinceau.
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Parmi les plus connus figure bien sûr Bernard Buffet qui géométrisa Montmartre...
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Et parmi les modernes, j'aime cette esquisse de Jean-François Rabasse avec cette tache rose dans un univers fluide sans rien en elle qui pèse ou qui pose.
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Et maintenant, essayons de mieux connaître cette petite maison construite vers 1810 dans le village qui était encore un village avec ses fermes et ses moulins. La maison commence son histoire officielle avec son achat par un peintre catalan qui tombe sous son charme et l'aménage. Nous sommes en 1903.
Il s'agit de Ramon Pichot qui fit très vite partie de la bande des Catalans de Montmartre dont Picasso était la vedette.
Ce peintre qui au début de sa carrière était influencé par l'impressionnisme trouve sur la Butte, au contact de ses compatriotes une autre inspiration et un autre talent qui justifieraient une redécouverte.
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Scène de cabaret (Ramon Pichot)
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Il épouse en 1908 Laure Germaine, danseuse au Moulin Rouge, modèle de plusieurs peintres dont Casagémas, fou amoureux d'elle, qui se suicida alors qu'il qu'il partageait avec Picasso son atelier de la rue Gabrielle.
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Portrait de Germaine (Picasso)
C'est elle qui, charmée par les maisons colorées de Catalogne où elle se rendit avec son mari, émit le désir d'ouvrir un restaurant et de peindre en rose l'établissement.
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La maison sans nom, maintes fois photographiée sur les cartes postales, maintes fois peinte quand elle était crayeuse, se métamorphosa alors en "maison rose" pour l'éternité montmartroise!
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L'endroit est apprécié des peintres et poètes. Bruant y vient en voisin avant de choisir un grand appartement dans l'opulent immeuble de la rue Christiani, proche des Galeries Dufayel.
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Ramon Pichot meurt en 1925 et Germaine se retrouve seule pour s'occuper de la Maison Rose. Les temps sont difficiles car dans ces années de spéculation, la Butte est la proie des promoteurs qui n'hésitent pas à racheter les vieilles maisons, les détruire et élever à leur place des immeubles lourdingues
"Des maisons d'six étages....Ascenseur et chauffage....Ont r'couvert les anciens talus.... Le P'tit Louis réaliste est dev'nu garagiste.... Et Bruant a maint'nant sa rue...
Voyez ce qu'il advint de la maison de Mimi Pinson, de celle de Berlioz! De tant et tant d'autres! Bien sûr la Maison rose comme ses voisines fut menacée et on se demande comment Gabrielle put résister aux sirènes des spéculateurs.
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Nathalitay
Parce qu'elle a refusé de disparaître la Maison Rose!
Autour d'elle d'autres maisons plus luxueuses, plus hautes, ont été élevées. La petite maison est restée là et c'est peut-être pour cette raison qu'elle est plus qu'une image de Montmartre, plus qu'un cliché : un symbole de la résistance montmartroise, pot de terre contre pot de fer, mais parfois victorieuse.
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Non loin de là, sur le terrain où devaient s'élever trois immeubles de 7 étages, sensible à la mobilisation des habitants parmi lesquels le moins virulent n'est pas Poulbot, la ville rachète le terrain où seront plantées les vignes, en souvenir du glorieux passé viticole de la Butte.
Gabrielle meurt en 1948 et n'a pas un long voyage à faire pour rejoindre le petit cimetière Saint-Vincent où Ramon l'attend sans impatience depuis des années.
La maison est rachetée par Béatrice Miolano. Elle continue d'être fréquentée par des artistes, des écrivains qui aiment son trottoir ensoleillé.
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Dalida en 1970. Le Maison Rose est alors blanche!
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Aznavour en 1960, voisin du restaurant puisqu'il habita rue Saint Rustique
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Audrey Hepburn? Hélas non mais le mannequin de Givenchy qui lui sert de modèle (Jacky)
La suite de l'histoire n'est pas palpitante. La maison célèbrissime poursuit sa carrière de star.. Après quelques années elle passe de gérance en gérance, change de couleur, oublie son glorieux passé.
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Finalement, c'est la petite fille de Béatrice Moliano, Laurence qui en 2017 redonne au restaurant son aspect d'antan.
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Les touristes sont au rendez-vous, les amoureux de Montmartre sont rassurés, la Butte n'est pas près de perdre une de ses dernières maison, un témoignage modeste au fond, une image immortalisée par Utrillo... chantée par Aznavour ... au temps où Montmartre accrochait ses lilas jusque sous nos fenêtres.
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Aznavour rue Cortot près de la Maison rose.
"Quand on descendait de la Butte où je vivais à mes débuts...Nous y avions un point de chute accroché à un coin de rue... On l'appelait la maison rose, rose bonbon décolorée... Comme une maison de poupée..."
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Aznavour et les gosses de Montmartre, rue Poulbot
Quand il revenait sur la Butte, il ne manquait pas de s'y rendre et et de faire mentir sa chanson qui prétendait que "Montmartre semblait triste et les lilas étaient morts."