Parmi les plus originaux, généreux, révoltés et fraternels poètes qui fréquentèrent notre Butte, voilà sans doute l'un des plus authentiques : Gaston Couté!
Je me rappelle comment ma voisine de la rue Paul Albert chantait ses textes, accompagnée à l'accordéon par Léonardi. J'ouvrais mes fenêtres pour mieux l'entendre et pour voyager dans le Montmartre à la fois misérable et étincelant du début du XXème siècle.
/image%2F0931735%2F20221108%2Fob_f1ef1e_morelli-coute.jpg)
La voix intense, à fleur de blessure, forte et près de la brisure de Morelli me révélait des textes qu'à ma grande honte j'ignorais comme ce "jour de lessive", ce désir fou de sortir de la boue pour retrouver la pureté de l'enfance. Le poème est une métaphore. Le jeune désenchanté revient chez sa mère un jour de lessive :
Je suis parti ce matin même,
Encor soûl de la nuit mais pris
Comme d’écœurement suprême,
Crachant mes adieux à Paris…
Et me voilà, ma bonne femme,
Oui, foutu comme quatre sous…
Mon linge est sale aussi mon âme…
Me voilà chez nous !
Ma pauvre mère est en lessive…
Maman, Maman,
Maman, ton mauvais gâs arrive
Au bon moment !…
Tout comme le linge confie
Sa honte à la douceur de l’eau,
Quand je t’aurai conté ma vie
Malheureuse d’affreux salaud,
Ainsi qu’on rince à la fontaine
Le linge au sortir du cuvier,
Mère, arrose mon âme en peine
D’un peu de pitié !
Et, lorsque tu viendras étendre
Le linge d’iris parfumé,
Tout blanc parmi la blancheur tendre
De la haie où fleurit le Mai,
Je veux voir mon âme, encor pure
En dépit de son long sommeil
Dans la douleur et dans l’ordure,
Revivre au Soleil !…
Mais avant de désirer ardemment ce retour impossible vers l'enfance, Gaston Couté a rêvé de Paris depuis Meung sur Loire où Villon fut emprisonné, où Jean de Meung écrivit le Roman de la Rose et où son père était un riche meunier. Déjà la poésie et déjà les moulins (fussent-ils à eau).
/image%2F0931735%2F20221109%2Fob_7a1cc8_moulin-a-eau-meung.jpg)
Moulin à Meung sur Loire
Il n'aime pas l'école même s'il ne manque pas de dons qui se révèlent déjà. Il la quitte pour devenir commis à la recette des impôts d'Orléans. Il est difficile de l'imaginer dans un tel poste! Il compense en écrivant dans le Progrès du Loiret et en publiant des poèmes, parfois en parler beauceron. Encouragé par des critiques flatteuses, il décide d'aller à Paris. Il a 18 ans.
/image%2F0931735%2F20221115%2Fob_7e8e6c_coute-photo-dinant.jpeg)
Le Paris des poètes, des maudits, des révoltés, c'est Montmartre bien sûr! Et c'est à Montmartre qu'il débarque pour partager la vie difficile des artistes.
/image%2F0931735%2F20221115%2Fob_89724b_place-du-tertre.jpg)
Il va y mener la vie de bohème et loger au jour le jour dans des hôtels borgnes ou à la belle étoile. Parfois il est hébergé dans les cabarets où il commence à dire ses poèmes.
Le décor de céramique qui a survécu sur la façade de l'Âne Rouge
Il est accepté à l'Âne Rouge avenue Trudaine où, paraît-il, il n'est payé qu'en nature avec un café-crème quotidien. La légende de l'anarchiste miséreux est sans doute "embellie" par ce détail et il y a de fortes présomptions que selon l'habitude du cabaret il ait été payé de boissons plus fortes et de quelque relief de repas.
Sur la droite "Souvenirs" le 84 où était le Chat Noir et sur la gauche, le 88, immeuble moderne où était Al Tartane.
On le retrouve au 88 boulevard de Rochechouart, aux soirées chantantes du modeste cabaret Al Tartane (la tartine) presque voisin du premier Chat Noir (au 84) où il dit ses poèmes devant un public qui commence à le reconnaître.
Il apprécie les escaliers de la Butte qui lui permettent, jour après jour, de pratiquer un exercice de forçat : gravir les marches, un sac pesant sur les épaules, le dos courbé le pas alerte. C'est qu'il s'agit de perdre les quelques centimètres de sa petite taille qui, si modeste fût-elle, ne lui permettait pas d'échapper au service militaire et à la conscription. N'étaient exemptés que les hommes mesurant 1m54 ou moins. Or notre pacifiste engagé mesurait 1m56.
Des gâteux qu’on dit immortels,
Des louftingues en redingote
L’adorent au pied des autels
De leur ligue de patriotes :
Des écrivassiers de mon cul
En touchants mélos d’ambigu
Ou romances pour maisons closes
Nous chantent cette horrible chose :
La Guerre !
Oui mais, si nous avions la guerre,
Devant le feu, qui donc filerait comme un pet ?
Voyons les cabots de la guerre,
Foutez-nous la Paix ! .
/image%2F0931735%2F20221116%2Fob_aaf14c_botrel-carte.jpg)
C'est Théodore Botrel qui ,l'un des premiers, reconnaît son talent et lui offre de participer à sa revue "La Bonne Chanson". Sans doute est-il séduit par la poésie franche, marquée par son terroir, de Couté. Plus sans doute que par ses idées libertaires et par son engagement avec les dreyfusards alors que Botrel fait partie des patriotes anti-dreyfusards.
Mais Couté ne pouvait qu'attirer l'attention d'un autre poète, bien plus proche de lui par ses idées, Jehan-Rictus. Comme lui, Rictus qui aime employer le langage populaire et patoisant est révolté par les injustices sociales et le conformisme qui écrase et nivelle. On peut dire qu'il est son frère en poésie et l'on peut trouver chez l'un et l'autre les mêmes thèmes.
Extrait du Christ en bois de Couté
« Mais, toué qu’les curés ont planté
Et qui trôn’ cheu les gens d’justice,
T’es ren !… qu’un mann’quin au sarvice
Des rich’s qui t’mett’nt au coin d’leu’s biens
Pour fair’ peur au moignieaux du ch’min
/image%2F0931735%2F20221118%2Fob_5d8e82_8-chansons-illustrees-sur-des-poemes-d.jpg)
Extrait du Revenant de Rictus
Avoue-le va... t’ es impuissant,
Tu clos tes châss’s, t’ as pas d’ scrupules,
Tu protèg’s avec l’ mêm’ sang-froid
L’ sommeil des Bons et des Crapules.
Et quand on perd quéqu’un qu’on aime,
Tu décor’s, mais tu consol’s pas.
Rictus l'admire et écrit de lui qu'il est "un adolescent de génie qui a des dons extraordinaires".
Il lui facilite l'accès aux cabarets montmartrois : Les Quat'z'arts boulevard de Clichy, les Funambules, la Truie qui file rue Fontaine et bien sûr le mythique Lapin Agile.
/image%2F0931735%2F20221116%2Fob_807b11_lapin-agile-hiver.jpg)
Couté impressionne mais n'est pas impressionné par les disputes et les querelles artistiques. Il juge élitiste et coupé des réalités le débat sur le cubisme par exemple. En revanche il ne manque pas de provoquer l'intérêt des habitués du Lapin. Il se lie d'amitié avec Carco, Mac Orlan, Dorgelès.
/image%2F0931735%2F20221118%2Fob_a2ad96_a-gathering-at-the-lapin-agile-in-mont.jpg)
Mac Orlan est convaincu que ce jeune provincial est habité par le feu dévorant de la révolte poétique comme le fut, arrivant à Montmartre, Rimbaud. "Son renom grandira tout d'un coup un jour quelconque de l'avenir!"
Mais le gars ne cherchait pas à plaire et à briller. Les artistes devenus célèbres qui l'ont connu ont fort peu parlé de lui, comme s'il était marginal parmi les marginaux, trop marqué par son goût pour le patois beauceron, trop engagé, trop violent par ses textes, trop révolutionnaire.... Bref il arrivait sur la Butte avec une trentaine d'années de retard, il avait manqué la Commune et son idéal libertaire.
De plus, le beauceron qui ne s'aimait pas physiquement devait effaroucher les femmes. Il vivait la plupart du temps en solitaire.
Il était une fois un gars si laid, si laid
Et si bête ! qu'aucune fille ne voulait
Lui faire seulement l'aumône d'un sourire
Son adresse principale à Montmartre, la seule qui soit certaine, c'est à l'hôtel Bouscarat, refuge d'artistes fauchés. Il louait là un garni. L'hôtel qui faisait partie du Montmartre légendaire a été détruit et remplacé par un petit immeuble qui enlaidit la place du Tertre.
Ironie du sort, le restaurant qui occupe le rez de chaussée s'appelle aujourd'hui "La Bohème". Couté aurait eu du mal à s'y payer un café-crème!
Une plaque a été apposée sur le mur de briques côté rue du Mont-Cenis. Des touristes de bonne volonté tentent de la lire sans comprendre qui est honoré en ce lieu.
Parmi les autres lieux qu'il fréquenta dans le quartier il y a la Maison du Peuple, impasse Pers, le Progrès Social rue de Clignancourt... Il participa à plusieurs journaux libertaires, "la Barricade" et surtout "La Guerre Sociale" hebdomadaire anti militariste où il publiait chaque semaine une chanson.
/image%2F0931735%2F20221118%2Fob_765d20_la-guerre-sociale-gaston-coutc3a91.jpg)
Son ami le journaliste Victor Méric évoque cet engagement populaire de Couté :
"Il connut, impasse Pers, de prodigieux succès. Il entrait de plain-pied dans la confiance populaire. Ses poèmes colorés, directs, aux images audacieuses et brutales, frappaient les imaginations, allaient au cœur des foules. Xavier Privas devait plus tard l’appeler le Mistral de la Beauce. Et il ajoutait :
N’est-ce pas le sourire aux lèvres et le couplet joyeux à l’esprit que ce paysan philosophe a fustigé l’hypocrisie sociale et cinglé les vices humains ?"
(...) Mais en nos âmes de vingt ans,
Gronde une révolte unanime :
Nous ne voulons pas plus longtemps
Être des tâcherons du crime !
Pourtant, s’il faut encore avant
De jeter nos armes au vent
Lâcher leur décharge terrible,
Nous avons fait choix de nos cibles :
En nos mains de semeurs de blé
Dont on voyait hier voler
Les gestes d’amour sur la plaine,
En nos mains de semeurs de blé
Puisqu’on vous tient, fusils de haine !…
Tuez ! s’il faut tuer demain,
Ceux qui vous ont mis en nos mains !…
Il ne connaîtra pas la terrible boucherie de la première guerre puisqu'il mourra en 1911.
C'est dans son garni de la place du Tertre qu'il traîne une tuberculose aggravée par ses conditions de vie et son goût trop prononcé pour l'absinthe. Il est frappé d'une congestion pulmonaire et transporté à l'hôpital Lariboisière où il meurt le 28 juin 2011.
/image%2F0931735%2F20221118%2Fob_5c89f1_chanson-d-un-gas.png)
Il sera inhumé à Meung sur Loire, dans la ville où Villon quelques siècle plus tôt, écrivait son "Testament" en commençant par ces mots "En l'an trentième de mon âge."
Gaston Couté lui est en l'an trentième et demi de son âge.
Il était une fois un gars si laid, si laid
Et si bête ! qu'aucune fille ne voulait
Lui faire seulement l'aumône d'un sourire ;
Or, d'avoir trop longtemps souffert l'affreux martyre
De ne pas être aimé lorsque chante l'amour,
Le pauvre gars s'en vint à mourir un beau jour...
On l'emmena dormir au fond du cimetière,
Mais, son âme, un Avril, s'échappa de la terre
Et devint une fleur sur sa tombe, une fleur
Qu'une fille cueillit et mit près de son cœur.
/image%2F0931735%2F20221118%2Fob_77630b_coute-montmartre.png)