C'est ce qu'il y a de plus spectaculaire dans la décoration de la basilique, c'est aussi par sa composition, ses couleurs, sa précision une grande réussite. L'immense mosaïque du chœur attire le regard dès que l'on a franchi la porte de bronze.
Le bleu et l'or dominent et créent une voute poétique où l'on s'attend à voir filer les étoiles.
Il y eut d'âpres discussions pour savoir quel type de décor serait choisi. La fresque ou la mosaïque. La seconde fut choisie pour répondre à la cohérence du monument romano-byzantin voulu par Abadie.
Le projet initial était plus modeste. Abadie aurait souhaité un Christ surmonté d'anges et à ses pieds une procession de pauvres et de riches représentant l'humanité conduite vers la vie éternelle. Sorte d'inversion de la danse macabre où riches, hommes d'église, paysans sont entraînés vers la mort.
Dès 1911 le programme se fait plus ambitieux lorsqu'il est décidé de faire appel à un des peintres les plus en cour auprès des responsables religieux : Luc Olivier Merson (1846-1920) qui est présenté en cette première moitié du XXème siècle comme "le grand artiste chrétien"!
La source (Luc Olivier Merson) étude pour les fresques de l'Opéra Comique.
Il a pourtant commencé sa carrière comme peintre proche du symbolisme. Et peu à peu il s'est spécialisé dans les sujets historiques et religieux. Mais il est aussi auteur de fresques dans le goût fin de siècle, à l'Opéra comique de Paris :
Plafond de l'escalier d'honneur. (Merson)
Parmi ses réalisations marquantes, citons, proche de son travail pour le Sacré-Cœur, la chapelle byzantine de l'Institut Pasteur destinée à recevoir le tombeau de Pasteur et de sa femme.
Il reçoit pour adjoints les Magne père et fils (Lucien architecte de la basilique et Henri-Marcel peintre (1877-1944). Ce dernier est chargé de la maquette et des cartons grandeur nature réalisés à partir des peintures de Merson. Les ateliers du mosaïste René Martin reçoivent les premiers cartons en 1918.
Une des premières études de Merson pour le Christ de la mosaïque.
En 1920 Merson meurt et il est remplacé par son élève Marcel Imbs (1882-1935). On verra que l'élève est fortement influencé par son maître quand il conçoit une mosaïque pour l'arc triomphal de l'église Saint-Jean Baptiste de la Salle!
Les travaux de préparation de la voûte prennent beaucoup de temps car elle doit supporter le poids des tesselles en pâte de verre, plus de 68 tonnes!
Merson qui avait réalisé les dessins de la partie centrale (Christ, Esprit, Dieu) n'a fait qu'ébaucher les parties latérales. Le relais est donc pris par Magne et Imbs. La mosaïque sera terminée en 1923.
Elle couvre une superficie de 474 m2 d'un seul tenant. La seule tête du Christ fait deux mètres de haut!
Le Christ est debout, les bras ouverts, dévoilant son cœur .... Il apparaît dans la mandorle qui rayonne derrière lui et qui a pour épicentre le cœur couronné d'épines. Les bras ouverts évoquent la croix.
Au-dessus du Christ l'Esprit rayonne lui aussi, les ailes ouvertes. Il fait le lien avec la dernière mandorle dont on ne voit qu'une partie et dans laquelle apparaît Dieu, couronné d'or et de gloire.
Autour du Christ, sa mère est debout à sa droite tandis qu'à gauche c'est Saint Michel.
Tous deux sont de même échelle, ils sont les plus grands personnages après le Christ, tandis que plus petits, on voit devant la Vierge le pape Léon XIII et devant Saint-Michel, Jeanne d'Arc et la France portant la couronne.
Léon XIII, Jeanne d'Arc, la France....
Les autres parties de la mosaïque ne sont plus l'oeuvre de Merson bien que s'inspirant pour certaines d'esquisses qu'il avait eu le temps de dessiner. Dans la partie basse, le monde terrestre, dans la partie haute le divin...
A la droite du Christ est représenté le cortège des saints et des bienheureux de l'Eglise universelle :
Les auréoles portent le nom des élus : Pierre, Jean, Paul, Ignace d'Antioche, Agnès, Augustin, Dominique, François d'Assise, Ignace de Loyola, Gertrude, Catherine de Sienne, Rose de Lima, Thérèse d'Avila
A la gauche du Christ ce sont les saints de l'église de France qui cheminent dans le ciel :
Lazare de Marseille, Marie-Madeleine, Marthe, Denis dont l'auréole reste accrochée sur la tête coupée), Martin, Geneviève, Bernard, Louis, François de Sales, Vincent-de-Paul, Marguerite-Marie, Jean-Eudes, Madeleine-Sophie Barrat. Ces trois derniers liés au culte du Sacré-cœur.
Dans la partie inférieure, entre des arcades qui font penser à des décors de Ravenne, on peut voir, sous le cortège des saints de l'église universelle trois scènes qui rappellent ,avec des personnages plus petits, l'institution du culte du Sacré- cœur :
C'est sans doute la partie la plus faible de la mosaïque, réaliste, peu inspirée: Clément VII institue la fête du Sacré-Coeur. Pie IX étend cette fête à toute l'église. Léon XIII consacre le genre humain au Sacré-Coeur.
Sous le cortège des saints de France, les scènes historiques représentent (de droite à gauche) la grande peste de Marseille qui en 1720 poussa les autorités politiques et religieuses à prononcer le voeu qui plaçait la ville sous la protection deu Sacré - cœur.
Louis XVI et la famille royale au Temple. Le roi confie son sort et celui du pays au Sacré-cœur.
Le voeu national par lequel les autorités religieuses, morales, politiques veulent consacrer la France au Sacré-coeur...
Un souci de réalisme habite la composition assez plate : les généraux Soris et de Charrette tiennent la bannière, devant eux se tiennent les initiateurs de la basilique, Legentil et Rohault de Fleury, enfin on reconnaît les trois cardinaux qui ont présidé à la construction : Guibert, Richard et Amette.
Malgré l'évidente influence des mosaiques byzantines, il est vain de comparer cette oeuvre à celles qui ne cessent de nous émerveiller et de nous émouvoir à Ravenne comme à Venise. Cependant il est juste de reconnaître la réussite de cette immense mosaïque qui projette en avant le Christ vêtu de blanc, avec la même efficacité que se projette dans le ciel de Paris la basilique blanche. Le ciel bleu, les vibrations de l'or donnent à l'ensemble une dimension poétique et quasi onirique.