Faut-il parler de clocher ou de campanile pour cette "tour" qui faillit ne pas jaillir dans le ciel de Montmartre?
Les deux mots sont parfois confondus mais la tradition veut qu'on appelle campanile une tour séparée de l'église (comme à Pise) et clocher celle qui fait partie architecturalement de l'édifice.
Au Sacré-Coeur, cette tour n'est pas séparée de la chapelle de la Vierge à laquelle elle s'adosse et pourtant elle paraît prendre ses distances, faire bande à part, opposer sa raideur phallique aux rondeurs sensuelles des coupoles blanches.
Appelons-la clocher-campanile! Bien que le mot campanile, plus léger, plus élégant lui convienne mieux!
Le clocher-campanile du Sacré-Coeur faillit ne jamais sortir de terre!
Après la mort de l'architecte de la basilique, Paul Abadie, il fut question de renoncer pour des raisons financières à élever cette tour qui aujourd'hui est une des belles réussites du monument.
Après des années de tergiversations, Lucien Magne qui est nommé après Rauline architecte en chef de la basilique, propose un nouveau projet, plus ambitieux que celui qui avait été prévu quand la coupole devait être moins élevée (Abadie 1874).
Le clocher-campanile doit tenir compte de cette surélévation et donc monter plus haut que la grande coupole de 83 mètres. Il atteindra donc, croix faitière comprise, 91 mètres.
La première pierre est posée en 1905.
A chaque angle de la loggia veille un ange aux ailes déployées (de 5 mètres de haut) porteur d'un livre de l'Evangile.
Angle Sud-Ouest, l'Evangile de St-Marc avec un lion à visage humain.
Angle Sud-Est l'Evangile de St-Luc avec le taureau
Angle nord-ouest l'Evangile de Matthieu avec un homme.
Angle nord-est l'Evangile de Jean avec l'aigle.
Jean est protégé des pluies qui nettoient la pierre De Souppes et lui permettent de rester blanche sans ravalement. En contrepartie, comme le chevet de l'église, il noircit avec la pollution. Côté sud la façade immaculée, côté nord la basilique encrassée!
Les quatre anges ont été sculptés par Jean Dampt (1854-1945) considéré comme un des représentants talentueux de l'Art Nouveau.
Le chat (Dampt)
Son "Chevalier Raymond et la fée Mélusine" serait selon Verhaeren une oeuvre qui marque une date.
Le chevalier Raymond et la fée Mélusine
Il a bénéficié du mécénat de la comtesse Martine de Béhague qu'il représente dans sa sculpture "la Réflexion".
Il a par ailleurs créé des meubles et des bijoux qu'on peut voir aujourd'hui au musée d'Orsay.
Au-dessus des anges, quatre figures ailées reprenant le symbole des évangélistes ont été sculptées, faisant la transition entre la partie carrée du campanile et la tour ronde qui le coiffe.
Le lion pour Saint-Marc...
L'aigle pour Saint-Jean...
L'homme pour Saint-Matthieu...
Le taureau pour Saint-Luc...
Ces quatre animaux fantastiques aux ailes d'aigle sont dus à Henri Bouchard (1875-1960).
Un sculpteur qu'on a un peu "oublié" après la guerre à cause de son appartenance au groupe Collaboration (Othon Friesz, Paul Belmondo...) et à son voyage avec d'autres artistes à Berlin sur invitation allemande.
Il fut plus perméable que le marbre qu'il sculptait à la propagande nazie et revint enthousiaste en France avec la nostalgie de "la vie presque féérique que le gouvernement du IIIème Reich sait faire à ses artistes qui semblent être là les enfants chéris de la nation."
Malgré cet aspect peu sympathique du personnage, essayons d'être objectif et rendons justice à son grand talent, notamment dans ses sculptures très représentatives de l'Art Déco.
A Paris on peut voir, entre autres, son Apollon Musagète du Palais de Chaillot...
La façade de Saint-Pierre de Chaillot et son monument "aux héros inconnus du Panthéon.
Et maintenant il serait temps de parler de celle pour qui le clocher-campanile a été élevé, la Savoyarde!
Mais elle viendra sonner à vos oreilles dans le prochain article!