A l'occasion de la très riche exposition proposée par le musée d'art moderne de Paris, une visite s'imposait dans le cimetière-jardin où Victor Brauner repose.
Sur la tombe blanche, une tête de marbre, réplique d'une de ses sculptures, semble posée sur son propre reflet au ras de l'eau. Est-elle la double réalité, matérielle et spirituelle, de notre vie?
Signe (le vent) 1942-1945
La tête du dessus a les yeux ouverts en grand sur le monde réel où fourmillent les signes que l'on ne voit pas quand on manque d'attention. Il faut être aussi affûté qu'un chat pour détecter le moindre mouvement, le moindre bruit dans la forêt du quotidien.
La tête du dessous a les yeux clos, comme les yeux des statues de Bouddha endormi. Les paupières baissées sont le rideau tombé sur la scène où se joue pendant la nuit des opéras fantastiques.
Le corps de Victor Brauner (1903-1966) après avoir été torturé par un cancer, est venu reposer ici (3ème division, ancien cimetière juif), dix-neuf ans avant que sa femme, Jacqueline Abraham ne l'y rejoigne.
Jacqueline au grand voyage (1946)
Brauner fait partie de ces artistes roumains venus vivre à Paris dans la première moitié du XXème siècle et qui ont contribué au rayonnement de la France : Brancusi, Ionesco, Tristan Tzara, Cioran, Mircea Eliade...
Il arrive à Paris en 1925 et se convertit peu à peu au surréalisme, à l'importance des rêves. C'est de 1931 que date son autoportrait qui va impressionner Breton et les poètes attentifs au mystère des prémonitions.
Il se représente avec un œil crevé dont le sang coule sur la joue. Sept ans plus tard, voulant séparer deux de ses amis au cours d'un rixe violente, il reçoit un éclat de verre dans l'œil et devient borgne. Plusieurs de ses œuvres d'avant cet accident montrent à quel point était présent chez lui ce thème de la vue et de l'œil.
L'œil (1937)
Sa première exposition à Paris est préfacée par André Breton en 1934. Après un retour malheureux en Roumanie où il se détourne du communisme après les procès de Moscou et où il sent monter les menaces fascistes et antisémites (les deux font la paire!), il repart avec dans sa valise de petits tableaux, faciles à montrer et à vendre.
Sur le motif (1937)
Femme fleur (1938)
Il fuit Paris en 1940 pour le sud de la France puis n'obtenant pas de visa pour les Etats-Unis, il se réfugie dans les Hautes Alpes où il vit dans la clandestinité comme d'autres peintres menacé comme lui par Vichy et le nazisme. Son travail est fécond, marqué par son univers onirique...
La femme en chatte (1940)
Souffrance souffrance (1941)
Arc en ciel (1943)
Après la guerre, le peintre s'installe dans l'ancien atelier du douanier Rousseau rue Perrel. Une rue aujourd'hui disparue, dévorée par la gare Montparnasse.
La rencontre du 2bis rue Perrel (1946)
L'univers de Rousseau et celui de Brauner se rencontrent, ce qui ne peut être une simple coïncidence mais une manifestation du "hasard objectif" cher à Breton.
Rencontre avec moi-même aux quatre chats du monde (1946)
Entre 46 et 48 il peint quelques unes de ses toiles les plus étonnantes, les plus colorées, les plus énigmatiques.
Mythologie du poète 2ème naissance 1947
Mythologie du poète 3ème naissance 1947
Solivan (1946)
Le poète en exil (1946)
Pourtant en 1948, il rompt avec le groupe surréaliste, par fidélité à son ami Roberto Matta excommunié par le pape Breton qui l'accuse d'avoir, par sa liaison avec la femme du peintre Arshile Gorki causé le suicide de ce dernier!
Victor Victorach doublé d'angoisse regarde son coeur tremblant (1949)
Victor Victorel coiffé du con le couronné (1949)
Peut-être ne faut-il pas y voir de relation mais c'est alors que l'œuvre de Brauner prend le grand large, plus imaginative, plus onirique que jamais, avec un esprit d'enfance qui s'exprime dans des découpages comme de grands jouets.
Horizon perdu (1965)
L'automoma (1965)
C'est pendant les deux années qui précèdent sa mort qu'il peint ces merveilles de sensualité et de jeu, alors que son cancer lui impose de terribles souffrances.
Tableau à quatre pattes (1969)
Une tendresse particulière pour le "tableau à quatre pattes" que j'ai toujours vu (en affiche hélas!) dans la chambre de ma femme depuis les années de Sorbonne jusqu'à maintenant! Brauner fait partie de la famille!
Nicole et le tableau à quatre pattes
Quelques mois après avoir peint ce tableau, Victor Brauner ferme les yeux comme la statue qui orne sa tombe. Comment imaginer qu'il ne continue pas de rêver dans le monde des mystères?
L'aéroplapla (1969)
Il écrivait à Breton "Je suis le rêve, je suis l'inspiration". Imaginait-il qu'il le serait aussi pour nous qui n'avons pas de gros efforts à fournir pour voir sa tombe blanche partir à quatre pattes et nous emmener faire un tour en aéroplapla dans le ciel de Montmartre?
Pour rencontrer Brauner, ailleurs que dans la troisième division du cimetière, il suffit d'aller lui rendre visite au Musée d'art moderne où jusqu'au 10 janvier 2021 se tient l'exposition qui lui est consacrée.