Les lettres noires comme des coups de poing, des coups de gueule, ont fait leur apparition sur les murs de Montmartre un peu avant le grand confinement.
Elles ne restent pas longtemps en place, vite arrachées, vite recouvertes de tags, vite oubliées...
Mais avec acharnement elles reviennent comme une herbe qu'on voudrait déraciner et qui s'entête à renaître...
C'est à Marseille qu'elles ont pour la première fois fait parler les murs. C'était en août 2019.
Marguerite Stern, féministe radicale des Femen en est à l'origine. Lorsqu'elle apprend qu'une jeune femme corse, après avoir porté plainte par cinq fois à la police, a été assassinée, elle transforme sa rage en lettres noires peintes sur des feuilles A4.
La nuit tombée elle les colle sur les murs. Le mouvement est lancé.
Dans un squat d'artiste du 14ème arrondissement, des femmes alignent les lettres pour en faire des phrases dénonciatrices, des cris.
"Elle le quitte, il la tue" revient souvent. C'est la première raison donnée par les assassins. Comme si leur "possession" leur "bien" leur échappait, remettant en cause leur statut de maître, de mâle dominant...
Quand la ville peu à peu s'endort, les volontaires vont avec les seaux de colle, les pinceaux et les feuilles afficher les lettres noires en essayant de ne pas être vues et verbalisées.
L'action des femmes de ce collectif est pourtant plus respectueuse de l'environnement que bien des tags laids et pollueurs. Les feuilles s'arrachent, se décollent sans abîmer leur support. C'est du moins ce que les "colleuses" espèrent. Souvent là où une lettre a été arrachée, apparaît une autre lettre, peinte cette fois directement sur le mur. La belle idée de départ est difficile à réaliser tant est rapide et acharnée la réaction de ceux qui se sentent agressés par ces dazibaos.
Il y a aujourd'hui plus de cent femmes engagées dans le combat des lettres noires. Les hommes, d'après ce que je sais, ne sont pas admis. Je le regrette. Il me semble que ces combats se gagnent par l'union de tous.
Parfois les messages excluent les hommes comme s'ils étaient forcément les ennemis.
"Ni dieu, ni mec, ni patron" me semble être de ceux-là, inspiré par le devise anarchiste dont une des plus belles figures, Louise Michel luttait à égalité avec les hommes.
Mais là, j'entre dans un autre débat sur certains mouvements féministes ouvertement lesbiens et pour lesquels tout mâle est suspect.
Je préfère n'en pas parler et tirer mon chapeau que je n'ai pas à ces combattantes de la nuit qui jettent à la figure de tous ces faire-part de deuil, ces lettres noires qui claquent comme des drapeaux.