Nous avons rencontré Daniel Iffla Osiris, plus connu sous le nom d'Osiris, dans le quartier de la Nouvelle Athènes, rue La Bruyère où il avait fait construire son hôtel particulier.
Sa tombe au cimetière de Montmartre ne peut passer inaperçue!

Une statue monumentale, réplique du Moïse de Michel Ange domine les sépultures à l'entour.
L'histoire de cette tombe est extraordinaire et mérite d'être contée car nous sommes devant une des plus belles histoires d'amour dont le cimetière garde le témoignage.
Imaginez le cimetière en 1855. Les arbres, les buissons et les herbes folles en occupent une partie. Il est en effet beaucoup plus grand qu'aujourd'hui et les terrains situés à l'ouest s'étendaient à l'emplacement actuel de l'hôpital Bretonneau.

Entrée du cimetière en 1835
De nombreux artistes ou personnages "éminents" y édifient leurs chapelles funéraires. C'est, concurrençant le Père Lachaise, l'endroit à la mode où reposer en paix, comme on dit.
Tombe de Henry Murger auteur des "Scènes de la vie de bohême"
Après avoir assisté à l'enterrement d'une de ses connaissances, un jeune couple remonte le long d'une allée et confiant en un futur de bonheur, envisage sans angoisse le jour où la mort et elle seule les séparera. La jeune femme, Léonie Carlier est chrétienne, le jeune homme Daniel Iffla est juif.

On ne plaisante pas à cette époque avec cette différence qu'on matérialise par un mur qui entoure le cimetière réservé aux Juifs. Léonie s'en émeut. Elle fait promettre à Daniel de choisir l'emplacement le plus proche possible de la partie chrétienne. Si le mur les sépare, ils resteront proches dans la terre où ils seront couchés.
Daniel tente de plaisanter mais devant l'insistance de sa femme il le lui promet.
Passons sur la carrière de Daniel Iffla dans les affaires et sur la fortune considérable qu'il amassa et qu'il légua à des œuvres de bienfaisance et en presque totalité à l'Institut Pasteur (de quoi inspirer peut-être nos évadés fiscaux).

Institut du radium créé grâce au legs d'Osiris
Seul nous intéresse aujourd'hui l'amour qu'il porta à son épouse et qu'elle lui rendait, jour après jour, dans une complicité qui paraissait ne jamais devoir prendre fin.
Un bonheur d'autant plus grand que Léonie attendait avec impatience la naissance de leur enfant dont ils avaient déjà choisi le prénom.

En réalité ce sont des jumeaux que portait Léonie.
Des jumeaux qui n'ouvriraient jamais les yeux car ils moururent en même temps que leur mère le matin de l'accouchement.
Daniel Iffla est inconsolable. Il transforme en sanctuaire la chambre de sa femme. Aucun objet ne sera changé de place, aucun meuble ne sera bougé.

Le corps de Léonie et des jumeaux sont enterrés à Bordeaux, ville d'origine de Daniel, en attendant que soient disponibles dans le cimetière de Montmartre les emplacements qui permettront aux amoureux de rester proches.
Le temps, les années s'écoulent. Daniel reste fidèle à son épouse. Il ne cesse de lutter auprès des administrations pour obtenir la concession qu'il désire et qu'il avait promise à Léonie.
Par chance, les esprits ont évolué (l'affaire Dreyfus n'y est pas étrangère). Le mur qui clôturait le cimetière israélite est tombé. Même si les religieux radicaux ne l'acceptent pas, la loi permet aux époux de religions différentes d'être réunis dans la même tombe.
Osiris fait creuser le caveau familial. Léonie et les jumeaux y sont transférés.
Sur la dalle de marbre, la statue de bronze est posée : Moïse, le prophète reconnu aussi bien par les Juifs que les Chrétiens.
Osiris meurt en 1907. Il rejoint enfin celle qu'il n'a jamais cessé d'aimer.

"J'ai lutté avec mon cœur de mari. Je suis arrivé après trente ans de luttes de toute sorte à occuper définitivement et perpétuellement le terrain qu'elle avait désigné. Je viens de reconnaître ma place. C'est à ses pieds que je dormirai de mon dernier sommeil".
Et voilà…
Qui pense à cet amour immense en passant devant le Moïse de Michel Ange?
Le soleil peut-être qui réchauffe le bronze… les chats sans doute qui aiment se poser sur la dalle de marbre et y dormir en rond… comme des cœurs qui battent.