C'est une courte artère qui va de la rue Blanche à la rue de Vintimille.
Elle a été tracée au milieu du XIXème siècle sur les jardins du Nouveau Tivoli (3ème du nom) apprécié pour ses montagnes russes, son labyrinthe et son tir aux pigeons vivants importé d'Angleterre.
On avance le chiffre de 300 000 pigeons tués pour amuser les bourgeois.
(Photo airedalesareafailure. wordpress.com)
Le massacre cessa en 1842 quand le jardin fut vendu pour qu'y soient construites les rues de Calais, Douai, Vintimille, Ballu et la place Adolphe Max dans un quartier que les artistes avaient mis à la mode et qui fut surnommé sans modestie "la Nouvelle Athènes".
La rue longue de 153 mètres (et large de 12) rappelle l'attachement du pays à la bonne ville de Calais qui après avoir été anglaise pendant deux siècles fut reprise à l'ennemi par les armées royales sous le commandement de François de Guise en 1558.
La rue s'ouvre avec à l'angle rue Blanche, un restaurant côté impair et un hôtel côté pair. Mais l'immeuble le plus "glorieux" est situé au 4
Dans ce bâtiment construit en 1856 a vécu pendant 13 ans, jusqu'à sa mort, un des plus grands musiciens français : Hector Berlioz.
Nous l'avons déjà rencontré sur la Butte, rue du Mont-Cenis (alors appelée rue Saint-Denis) où il avait loué une maison campagnarde et où il emménagea avec sa jeune femme Harriet Smithson. Ils aimèrent Montmartre, village paisible à l'écart de l'agitation parisienne; leur fils Louis y naquit et c'est là que fut composé "Harold en Italie".
En 1836 il fallut se résoudre à regagner Paris à cause de la fatigue des interminables transports entre la capitale et le village.
Harriet reviendra vivre rue Saint-Vincent en 1848 jusqu'à sa mort et son inhumation dans le vieux cimetière Saint-Vincent (ses restes seront transférés plus tard au cimetière Montmartre dans le caveau de Berlioz).
Quand il vient habiter rue de Calais, le compositeur vit avec l'autre femme de sa vie, Marie Recio. Il déménage du 17 rue de Vintimille où il n'est resté que quelques mois et qu'il quitte à cause d'un loyer soudain augmenté. Toute sa vie Berlioz aura lutté pour trouver des logements au loyer abordable.
Il habite au 4ème étage de l'immeuble qui trop vite construit va nécessiter de sérieuses consolidations. Il sera obligé de descendre avec armes et bagages au 2ème pendant le temps des travaux.
"Notre maison était sur le point de s'écrouler tant elle était mal bâtie".
Pendant ces travaux, Marie Recio qui supporte mal le bruit et les poussières part chez une amie à Saint-Germain en Laye. C'est là qu'elle meurt, le 13 juin 1862.
Berlioz ne se remet pas de la disparition de celle qu'il avait épousée 20 ans plus tôt et qui au début, avant d'être conseillée et formée dans l'art du chant, "miaulait comme une douzaine de chats."
"Le coup a été affreux (…) Je ne sais comment je vais achever ma vie isolée"
Le 4 rue de Calais n'aura pas été bénéfique, affectivement parlant. L'appartement n'est pas assez vaste pour que le fils de Berlioz, Louis, ait une chambre lorsqu'il lui rend visite entre deux expéditions. Louis qui au début avait voulu fuir ce père habité par l'amour exclusif de la musique, devenu marin puis capitaine, meurt de la fièvre jaune à la Havane. Et c'est rue de Calais que son père apprend sa mort alors que depuis quelques années leurs rapports s'étaient harmonisés et que Louis lui écrivait ces mots prémonitoires :
"Tu es mon Dieu, tu es tout ce qu'il est possible à l'homme de cœur et d'intelligence d'aimer. Il me semble que nos existences sont liées, elles sont les torons d'une corde, si l'un se brise, l'autre se brisera. Ils ne peuvent exister l'un sans l'autre, ils forment un tout."
Nous sommes en 1867, deux ans avant la mort de Berlioz.
Si les années de la rue de Calais furent terribles, elles furent aussi fécondes. Berlioz y écrit ses dernières œuvres dont l'ampleur impressionne : Les Troyens, Béatrice et Bénédict.
Il rédige Les Grotesques et la musique, A travers chants.
Il met un point final à ses Mémoires.
Il meurt le 8 mars 1869. Son service funèbre est organisé dans l'église de la Trinité inaugurée deux ans plus tôt.
Il est enterré au cimetière Montmartre (voisin lui aussi) où ses deux femmes passent avec lui leur éternité oublieuse.
Berlioz suffit au renom et à la gloire de la rue de Calais. On reste impressionné et ému devant le modeste logement du 4ème étage où le musicien des tempêtes, des révoltes, des tendresses vécut treize années.
Nous ne quittons pas le 4 où un autre musicien habita quelques années après Berlioz. Il s'agit d'Antonin Marmontel (1850-1907), bien oublié aujourd'hui. Il fut pourtant connu pour ses pièces pour piano et pour son enseignement au Conservatoire de Paris.
Son père, pianiste lui aussi est un peu plus connu par les élèves célèbres qui suivirent son enseignement : Bizet, d'Indy… et une fillette d'une dizaine d'années que son père allait immortaliser après qu'elle se fut noyée dans la Seine : Léopoldine Hugo.
Les immeubles de ce début de rue sont typiques de l'architecture du milieu du XIXème siècle, non pas celle de la haute bourgeoisie de style haussmannien opulent et inventif mais de celle de propriétaires soucieux de rentabiliser leur placement.
Le 5
Le 7
Le 9 est un peu plus inventif bien qu'il reprenne les codes de l'époque romantique. Il est orné de macarons peu inspirés mais décoratifs!
Le 11 a abrité une chanteuse qui fut célèbre à la Belle Epoque : Anna Thibaud (1867-1948). Elle avait commencé par un répertoire grivois comme on l'aimait alors avant de reprendre les succès d'Yvette Guilbert et de créer des chansons plus sentimentales.
Si sa grande période s'achève avec la guerre en 1914, elle n'en continua pas moins à se produire jusqu'à 70 ans. Certaines mauvaises langues (ou mauvaises oreilles) prétendent que son succès était dû à ses décolletés plongeants et aux clins d'œil coquins dont elle agrémentait ses romances.
Un de ses plus grands succès fut la chanson "Quand les lilas refleuriront" qui sera reprise sans discontinuité jusqu'à Tino Rossi, Guy Béart, Marie Laforêt….
"Quand les lilas refleuriront
Parfumant l'air de leur haleine,
Combien d'amoureux mentiront.
Quand les lilas refleuriront
Pour tous les baisers qui s'égrènent
Que de blessures saigneront…"
Toujours au 11, avant de déménager pour le boulevard Pereire, vécut Robert Planquette (1848-1903) qui est connu pour avoir écrit la célèbre marche le Régiment de Sambre et Meuse et pour de nombreuses opérettes presque toutes oubliées, à l'exception de Rip et surtout des Cloches de Corneville qui eurent en leur temps une carrière mondiale.
Les Cloches ne lui portèrent pas chance car c'est en revenant d'une répétition de cette opérette qu'il prit froid et mourut!
Le 12 est un hôtel particulier harmonieux que nous regardons afin d'avoir le courage de découvrir, en face le 13-15...
Le 13 -15! La catastrophe architecturale de la rue de Calais.
Plus laid, plus indigent, plus agressif tu meurs! Et dire qu'il n'est pas le seul de son espèce à avoir métastasé dans les vieux quartiers de Paris!
Au 16 se trouve l'ancien hôtel d'Auguste Perdonnet (1801-1867) qui fut ingénieur. Il participa à la réalisation de la ligne Paris-Saint Germain, au viaduc de Meudon. Nadar l'a photographié. Son cliché fait penser au tableau de Mr Bertin par Ingres. Même pose satisfaite, même sérieux autoritaire!
Les 18 et 20 sont élégants et originaux tandis que le 19 plus opulent est un hôtel particulier.
Sur la façade du 21 une plaque rappelle que la première église de la Trinité construite par l'abbé Modelonde, premier curé de la paroisse, y était implantée. Elle était en bois polychrome et elle resta en service jusqu'à l'inauguration en 1867 de la nouvelle église voulue par Haussmann et construite sur les plans de Théodore Ballu (dont l'hôtel particulier est non loin de là, rue Ballu).
Les 22-26 qui terminent la rue abritèrent le Comité Central des Œuvres Sociales EDF-GDF créées par Marcel Paul. C'est un ensemble vigoureux, destiné à inspirer confiance dans la santé financière de ces entreprises. Il était en réfection quand je l'ai photographié, néanmoins il est possible d'en avoir une idée!
Les locaux furent occupés en 1951 quand l'organisation présidée par Marcel Paul fut dissoute par le gouvernement de René Pleven. Les salariés occupèrent alors les bâtiments avant d'être évacués manu militari par la police.
Au 4ème étage du 26, Edouard Vuillard eut son atelier avant de l'installer à quelques mètres de là, rue de Vintimille, à l'angle avec la place Adolphe Max.
Et maintenant nous quittons la rue de Calais pour découvrir quelques arbres, peut-être rescapés de l'ancien Tivoli. Le square porte le nom du grand homme de la rue de Calais, Hector Berlioz.
Une statue le représente, debout, tête levée vers le ciel …
Elle remplace l'originale due à Alfred Lenoir (auteur entre autres du monument à César Franck, square Rousseau, de la France de Charlemagne du pont Alexandre III et des médaillons des Goncourt au cimetière Montmartre). Elle fut enlevée par les Allemands sous le régime de Vichy pour être envoyée à la fonte comme des dizaines de ses consoeurs!
Statue de Berlioz par Alfred Lenoir.
On voit que la statue moderne a renoncé au très haut piédestal de l'ancienne. Est-ce pour rendre justice au musicien qui avait écrit :"Il faut collectionner les pierres qu'on vous jette, c'est le début d'un piédestal"?