Connaissez-vous Joseph-René Bellot?
Son nom a été donné à un cap, un détroit, une île, une rue de Londres, une rue de Paris et.... un cratère sur la lune!
J'avoue à ma grande (n'exagérons pas) honte que j'ignorais tout de cet illustre personnage.
C'est en visitant le cimetière de Rochefort que je suis tombé sur un des plus étranges et des plus poétiques cénotaphe qu'on puisse rencontrer, celui de cet homme veillé par les ours....
Le gisant protégé par des animaux débonnaires qui portent une chaloupe renversée comme un couvercle de sarcophage, n'est pas le prince d'un conte ni le héros d'un roman de Jules Verne... ou peut-être est-il les deux à la fois....
Il s'agit de Joseph-René Bellot, né à Paris, à l'époque du romantisme (1826) et mort à 27 ans dans l'archipel arctique...
Rendons à Rochefort ce qui revient à Rochefort, c'est dans cette ville, non loin du cimetière, que sa famille débarque en 1831 avec leur fils âgé de 5 ans. C'est donc dans cette ville claire et tracée au cordeau qu'il grandit avant d'entrer à l'école Navale de Brest où il se montre l'un des plus brillants élèves.
Sa carrière est marquée par des participations à des expéditions franco-britanniques, en 1844 à Madagascar où il est blessé, en 1848 en Amérique du sud. C'est cette collaboration avec les Britanniques qui caractérise sa carrière et lui vaudra de mourir à 27 ans!
Il est en effet très apprécié pour ses initiatives et son dévouement, proche des hommes et toujours en avant.
C'est en 1851 que son destin prend forme lorsqu'il participe à une expédition britannique chargée de retrouver le corps de John Franklin disparu dans l'Arctique canadien quatre ans plus tôt.
John Franklin est un explorateur célèbre qui a sillonné plusieurs fois l'Arctique. Sa dernière expédition qui avait pour but de découvrir le passage Nord-Ouest pour le détroit de Béring, a été catastrophique. Les conserves à bord des deux navires, l'Erebus et le Terror sont inconsommables, contaminées par le plomb. Les navires pris par les glaces hivernent avant que les 128 hommes gagnent l'île du Roi Guillaume où ils périssent en tentant de gagner à pied le Canada.
L'Amirauté britannique lance une expédition (financée par Lady Franklin) pour ramener le corps de John Franklin et trouver trace des disparus. Bellot en fait partie. Le navire, "le Prince Albert" est à son tour pris par les glaces pendant onze mois. Bellot et le capitaine, William Kennedy profitent de cette longue immobilisation pour partir en traîneau tiré par des chiens pour une exploration de près de 2000 kms.
Bellot et ses hommes
Pendant le long hivernage de la goélette (septembre 1851 à août 1852) il rédige le "Journal d'un voyage aux mers polaires" témoignage précieux de la vie de l'équipage. Il décrit les rudes journées, par moins 40° parfois où pour survivre il faut s'envelopper dans des peaux de buffle. Il raconte les chasses aux animaux sauvages quand les réserves viennent à manquer. Quelques ours blancs apparaissent dans son récit. Le réchauffement climatique ne les menaçait pas comme aujourd'hui de disparition totale.
Bien que quelques uns d'entre eux aient été chassés et dépecés par Bellot et les marins, les ours peu rancuniers acceptent, dans le cimetière de Rochefort de veiller, pour l'éternité, sur le gisant de leur prédateur!
Le Prince-Albert rentre au pays en 1852 sans avoir trouvé trace de John Franklin. Mais les Britanniques sont têtus et la veuve de Franklin qui avait financé la première expédition, ne veut pas perdre espoir. En 1853 une nouvelle expédition est lancée.
Le Phoenix (peint par Edward Inglefield)
Elle est menée par Edward Inglefield... explorateur qui n'en est pas à sa première campagne et qui a cartographié des côtes jusque là inexplorées...
... Son navire, le Phoenix atteint le détroit de Barrow. Bellot part en éclaireur sur la banquise. Il glisse soudain avant de disparaître dans les eaux glacées du canal de Wellington, le 18 août.
Sa disparition émeut tous ceux qui l'ont connu et qui ont admiré son courage et sa générosité dans les rapports humains. Il émeut également les Anglais qui, une fois n'est pas coutume, rendent hommage à un Français, lui élevant un obélisque et donnant son nom à une rue de Greenwich.
Les "Frères" rochefortais, eux non plus n'oublient pas l'explorateur qui faisait partie de leur loge francs-maçonnique. Ce sont eux qui lancent une souscription pour élever un cénotaphe en son honneur.
Le monument est inauguré en 1862. Il a été dessiné par Alphonse Bourgeat et sculpté par Jean Sporrer qui s'enorgueillit d'avoir été élève de Rude immortalisé par sa Marseillaise guidant le peuple sur l'Arc de Triomphe!
L'œuvre est étonnante, quasi surréaliste avec ses divinités animales et cette barque renversée au-dessus de l'homme qui repose sur un lit de glace.
Elle évoque à sa manière le "passage" , la barque de Charon ou celle des Egyptiens. Mais elle est tenue par les 4 ours qui ne sont pas des porteurs de cercueil, comme dans les cérémonies traditionnelles, mais au contraire de silencieux compagnons qui empêchent le couvercle de retomber et d'enfermer pour toujours dans la nuit l'homme qui dort.
Beau monument qui semble glisser dans l'espace et le temps avec le jeune homme endormi comme dans un conte...
Liens : Charente maritime
Quelques photos du cimetière de Rochefort en mai...
Les fleurs aux couleurs de soleil et de fruit poussaient, sauvages, entre les tombes
L'Ange de la mort sur la tombe du Maître cordonnier de marine Victor Behu (1804-1876)
Pleureuse sur le monument de Pierre Masquelez, maire de Rochefort (1781-1862)
Vierge à l'enfant sur la croix centrale du cimetière (1859)