L'île d'Oléron a ouvert ses paysages mouvants à des artistes qui participent en cet été 2016 à une biennale dont le nom AMERS parle de signal et de refuge...
(L'amer est un repère fixe et sûr (phare, clocher....) qui aide les marins à se situer.)
Je ne résiste pas au plaisir de citer le 1er quatrain d'un poème que j'aime. Il a été écrit au XVIIème siècle par Pierre de Marbeuf :
Et l'amour et l'amer ont l'amer pour partage
Et la mer est amère et l'amour est amer
L'on s'abîme en l'amour aussi bien qu'en la mer,
Car la mer et l'amour ne sont point sans orage.
Ce poème en hommage aux artistes qui ont participé à la Biennale. Car il est impossible de créer sans amour des œuvres qui sont des amers, des signaux pour ceux qui veulent s'orienter...
C'est une belle surprise pour les amoureux de l'île que cette rencontre avec des créateurs, des rêveurs, des guetteurs...
Au sud de l'île, à Saint Trojan, sur le Marais Perdu, des petites maisons ont colonisé un îlot...
Île dans l'île, les maisons de Monopoly, évoquent à la fois l'invasion des terres sauvages par les humains et la fragilité de leur refuge....
Les maisonnettes de béton paraissent légères comme un camp de toiles, un lotissement éphémère aux pâles couleurs, une halte dans le temps pour les réfugiés que nous sommes...
"Potager" est l'œuvre de Laure Tixier.
Non loin de là un autre refuge s'est implanté : un igloo composé de coquilles d'huîtres.
Dieu sait qu'il y en a sur cette île! Des millions de coquilles qui elles mêmes, avant d'être jetées, ont été protection, maison pour de petits organismes vivants arrachés à la mer....
"L'igloo" évoque la menace du climat qui peu à peu se réchauffe. La glace a fondu sur la banquise... Les coquilles ont pris sa place pour édifier cette demeure qui elle aussi sera emportée par la montée des eaux...
"Oyster Igloo" (pourquoi en anglais?) est l'œuvre de Magali Chourlin, une artiste qui vit à Saint-Trojan.
A la pointe de l'île, à Gatseau, Une sphère est posée sur la grève....
Elle est composée de bois d'échouage ramassé sur les plages....
Le bois des épaves, celui des arbres déracinés par les tempêtes a donné forme à cette sphère sortie de la mer...
Elle nous rappelle que c'est de cette mer qu'est venue la vie...
Une vie qui aujourd'hui est fragilisée par l'homme qui ne voit pas plus loin que le bout de ses profits et de ses capitaux...
"Sphère Maritime" est l'œuvre de Philippe Ardy
Toujours sur la plage de Gatseau, sur des pieux qui tentent de résister aux marées, apparaît une vague de bois et d'algues,
Une vague "terrestre" face à la vague océane, une protestation contre la montée des eaux...
Ce mouvement de bois et d'algues est beau comme un dessin tracé sur le parchemin des estampes.
Dynamique et fragile, vivant et inquiétant...
"Entre" a été créé sur la plage de Gatseau par Yushin U Chang, artiste originaire de Taïwan.
Plus au nord, à trois kilomètres de Gatseau, un étrange animal rampe sous les pins de la forêt de Grand-Village
Chenille mutante, serpent aux écailles rondes, ver géant aux milliers d'yeux....
Un arbre mort a donné vie à cette créature qui ondule sous les pins...
La répétition du même motif, le cercle et son ouverture, donne à l'arbre mort un aspect symbolique et sacré. La vie peut aller et venir par ces milliers d'entrées, dans un sens et dans l'autre... Inspiration, expiration...
La sculpture est de Stuart Ian Frost. son nom est "The Haven". Ce qui signifie en français "hâvre" donc refuge.
De Grand-Village à Vert-Bois, il n'y a que deux kms par la piste cyclable dans la forêt. Sur la route qui mène à la plage, dans une petite clairière sauvage, un chêne vert porte, comme un sapin de Noël des petites maisons de bois...
Ce sont des distributeurs automatiques de nourriture pour les oiseaux, programmés pour libérer chaque jour à heure fixe une dose de graines.
Cette programmation automatique veut alerter sur le monde que nous fabriquons, parfois avec de bonnes intentions. Metropolis gagne la forêt....
"Déréglements Industriels" a été installé sur le chêne couvert de mousse par Michel Blazy.
Direction Le Château. Dans la citadelle, une structure légère contraste avec les pierres des remparts.
Elle est composée de pailles à boire translucides et de connnecteurs JIX à huit branches qui permettent d'assembler ces pailles comme on le désire....
La construction translucide s'élève autour de plantes potagères à croissance rapide. Elle permet d'observer comment les plantes se débrouillent avec cette résille qui les domine... Refuge ou carcan?
"Potajix" a été assemblé par Patrick Martinez (collaboration avec Michel Blazy).
Direction la "capitale" de l'île : Saint-Pierre....
Le parking de Leclerc, lieu sinistre s'il en est, jouxte le parc du petit château de Bonnemie aux volets clos.
Dans ce parc, des visages géants de créatures prises dans le bois sont posés sur l'herbe....
Ce sont des souches ou des troncs d'arbres rejetés sur le rivage et récupérés par un sculpteur qui leur a redonné vie.
Une vie pas vraiment joyeuse si l'on se fie aux tronches mécontentes d'avoir été tirées de leur sommeil d'épaves!
Monstres, sorciers, esprits révoltés d'avoir vu leur refuge abattu et emporté par la marée...
Un autre arbre est revenu lui aussi à la vie mais ce n'est pas un visage qui émerge de la terre mais des branches-jambes vêtues d'un pantalon bleu comme le ciel retrouvé...
L'acrobatie joyeuse mécontente un peu plus les autres géants, outrés de voir cet olibrius leur faire des pieds de nez, ou des pieds de pieds!
"Le Revenir" est l'œuvre de Maurice Chauveaux qui vit et travaille désormais dans l'île.
Plus au nord, Boyardville est une des communes qui a été le plus violentée par la tempête Xynthia. Un quartier de la ville a été classé zone noire et des maisons ont été détruites. Un collectif d'architectes a imaginé une plate forme, sorte d'agora, pour des maisons sur pilotis.
La "maquette" installée sur un terrain vaguement vague qui jouxte le port manque de séduction visuelle. C'est une idée mise en forme qui a son intérêt mais, me semble t-il, pas de réel impact artistique.
La plateforme de survie permettra grâce à des flotteurs d'aller vers d'autre rivages, d'autres refuges.
Elle emportera, comme cet escalier survivant, la mémoire des habitants et de leur ancienne vie...
"Basile" Maison_système (collectif) a été imaginé par un collectif d'architectes, artistes, anthropologues de Bordeaux.
En continuant vers le nord (Eh oui! Oléron est la plus grande île de France après la Corse!) nous arrivons sur la route de La Brée, à travers chenaux et marais.
Au niveau du marais salant "Le Grain de Sel d'Oléron" à quelques mètres de la route a échoué un bloc fait de lames de métal couleur de rouille.
Il est a la fois massif et léger, laissant passer la lumières comme un moucharabieh. En son centre, une ouverture ronde
Les lames de métal récupérées et soudées s'assemblent autour de cette ouverture sur l'infini. Comme chez Dali qui aime l'alliance des contraires, on trouve ici le carré et le rond, le fer et l'air marin...
La sculpture est ici chez elle, dans les marais quadrillés où naît le sel, comme naît le cercle dans ce carré minutieux.
"Le Cercle Carré" formé de 2000 morceaux de métal a été créé par David Vanorbeek, un artiste belge qui vit et travaille aujourd'hui dans le Lot-et-Garonne.
Toujours vers le nord...
Il sera difficile d'aller plus loin car nous arrivons à l'extrémité de l'île dominée par le phare de Chassiron... la dernière œuvre de la Biennale occupe une prairie, à quelques mètres des falaises de la côte...
L'installation a mal supporté les mois brûlants et l'intrusion de quelques vandales qui ont mis le feu à une meule de foin et crevé la toile d'un des éléments de la composition...
Des formes rondes, organiques, ont émergé du sol comme les bulles qui crèvent sur les lacs de lave. Elles sont de tailles différentes, les plus petites à l'extérieur....
Vont-elles rejoindre les plus grosses pour se fondre en elles? Ou au contraire sont-elles des excroissances qui vont essaimer de plus en plus loin, élargissant le territoire conquis par les tumeurs géantes.
Cancer et métastases? Menace d'invasion de cellules mauvaises?
Quel rapport avec le refuge, thème de la Biennale?
Le refuge, le principal amer de l'île c'est justement le phare de Chassiron, cette vigie, dont la verticalité s'oppose à la rondeur molle et rampante des boules rouges...
"Caps" est l'œuvre d'Anaïs Lelievre.....
Voilà! Une balade entre nature et création! Une invitation à la rencontre et à la méditation... Merci aux organisateurs de cette première biennale...
Et au plaisir de repartir à la découverte l'été prochain!
Pour terminer, je dois avouer que j'ai oublié une des œuvres de la Biennale. Il s'agit des "Flûtes entomologiques" de François Fréchet.
Elles étaient censées jouer leur partition sur le Marais Perdu à Saint-Trojan, mais elles avaient, en septembre, joué la fille de l'air !
Je ne les ai pas trouvées! Je me résous à reproduire la photo du petit guide donné par le Syndicat d'initiative...
"Des bouteilles sont assemblées autour d'une tige de bambou perforée pour recevoir de la terre et des graminées. Ces flûtes fournissent un "refuge aux insectes qui trouvent là nourriture, eau et abri."
L'installation éphémère n'a pas traversé l'été. Souhaitons que les insectes aient trouvé plus sûr refuge!