La rue Feutrier part de la rue André Del Sarte pour gravir la Butte dans une grande courbe qui débouche devant le square Louise Michel et l'escalier de la rue Utrillo.
C'est une rue typique du Montmartre populaire du XIXème siècle
...Et pourtant cette rue simple et bon enfant a connu comme ses voisines bien des drames!
Le 4.
"Une employée de commerce, Mlle Antoinette Desjardins, demeurant 4 rue Feutrier, s'est suicidée hier en absorbant le contenu d'un flacon de cyanure de potassium. La mort a été foudroyante."
Le journaliste, sans nous donner les sources de son information finit par quelques mots : "Désespoir d'amour".
(Le Gaulois- Décembre 1898)
Le 11
Il y avait à cette adresse un débit de boissons comme il y en avait tant dans les quartiers populaires. Ce n'est pas par hasard que Zola situe son "Assommoir" non loin de là, place Belhomme où le bistro du Père Colombe lui servit de modèle.
"Un forcené brisait l'autre nuit vers 23 heures, la devanture du débit de Mme Ladoux, 11 rue Feutrier. Police-Secours fut alerté, mais quand les agents arrivèrent, l'énergumène avait pris la fuite. On le recherche. (Le Gaulois- Août 1928)
Aujourd'hui ce genre "d'incident banal n'aurait pas l'honneur d'un entrefilet!
Le 12
Non loin du débit de boissons, il y avait, là où s'élève aujourd'hui un triste immeuble, une distillerie!
"Trois individus armés de revolvers et de couteaux, se sont introduits mercredi soir dans la distillerie de Mme veuve Prudhomme, 12 rue Feutrier. Lun d'eux a blessé grièvement d'un coup de couteau au poignet, un des employés de la maison qui résistait. Ils ont pris 60 000 francs dans le coffre-fort qui était ouvert. Puis ils ont disparu?"
(Le Figaro-1919)
60 000 francs de 1929 représenteraient aujourd'hui 130 000 euros.
Le 13.
"Dans la matinée d'hier, une étudiante russe, Mlle Lisa Olga Schreirer, âgée d'une vingtaine d'années, était prise d'une crise de folie furieuse.
De la fenêtre de son logement sis au deuxième étage de la maison portant le n° 13 de la rue Feutrier, elle se mit à jeter sur les passants une grêle de projectiles les plus variés. Bientôt un enfant de six ans, Louis Dulot, dont les parents demeurent rue Muller, qui passait inconscient du danger, fut renversé par un litre vide qui lui ouvrit le crâne. Le pauvre petit a dû être transporté à l'hôpital Bretonneau, après avoir reçu des soins dans une pharmacie. Pour l'étudiante russe, elle a été appréhendée et transférée à l'infirmerie spéciale de la préfecture de police."
(Le Radical. Août 1932.)
Par bonheur Lisa Olga avait vidé la bouteille avant de la jeter sur le gamin!
A la fin du XIXème siècle, les crises de folie provoquées par "la fée verte" n'étaient pas rares. Parfois la liqueur des pauvres et des artistes avait de plus redoutables effets!
"Vers midi, monsieur Alexandre Noblemaire, âgé de 67 ans, demeurant 15 rue Feutrier, s'est donné la mort à son domicile en absorbant le contenu d'un litre d'absinthe. La mort a été instantanée" (La Presse. Avril 1898)
Le 19
"Hier matin, une jeune femme, Mme Henriette Perrot, âgée de 29 ans, demeurant 19 rue Feutrier, a été assaillie et frappée d'un coup de rasoir par son ancien ami Lucien Kaintz, 23 ans, actuellement au chômage.
Tandis que l'on conduisait la malheureuse à l'hôpital Lariboisière, dans un état assez grave, son agresseur était arrêté après une sérieuse poursuite. Interrogé, il a déclaré avoir agi par dépit de se voir abandonné par son ancienne maîtresse."
(Le Populaire; Juin 1935)
Ce désir machiste de posséder la femme aurait sans doute ému Rosa Luxembourg qui quelques années plus tôt vécut dans l'immeuble voisin, le 21 !
Le modeste 26 a connu une tentative de suicide qui a ému les Montmartrois.
M. Hector Palaboz, âgé de soixante-quatre ans, marchand des quatre saisons, étant tombé malade, dut garder la chambre et renoncer à son activité. Ses pauvres économies furent englouties dans les visites du médecin et l'achat des médicaments. Il ne supporta pas d'être à la charge de sa femme qui elle même n'avait qu'un modeste revenu. Il se sentit si humilié et si blessé d'être une charge pour sa famille qu'il décida de mettre fin à ses jours.
"Hier après-midi, après le déjeuner pris en commun, Mme Palaboz quitta son mari pour aller vaquer à ses occupations de femme de ménage. La petite Yvonne resta auprès de son père. Que se passa-t-il alors? C'est ce que l'on ne sait pas encore d'une façon absolument exacte...
...Il est probable que le marchand des quatre saisons dut faire part à l'enfant de son désir d'en finir avec l'existence, et l'engager à mourir avec lui. Il alluma le réchaud à charbon. La petite Yvonne aida son père à calfeutrer hermétiquement toutes les ouvertures.
C'est grâce à la prompte intervention de la concierge que le père et l'enfant n'ont pas réussi dans leur triste tentative." (Le Petit Parisien. Novembre 1904).
Il faut donc admettre que la mauvaise réputation des bignoles, œil de lynx et langue de vipère, n'est pas toujours justifiée!
Un autre drame eut pour adresse le 36.
Dans un petit appartement du 2ème étage, vivait Christian Chaumel, "chauffeur automobile" et sa maîtresse, "une fort jolie fille de 20 ans, Carmen Tahoreau."
"Chaumel était d'une jalouse excessive; son amie rieuse et coquette. Après une courte lune de miel, l'harmonie cessa bientôt de régner dans le faux ménage. Cependant effrayée par les menaces de son amant, la jolie Carmen restait avec lui. Dimanche soir, après une scène plus violente, elle se décida à quitter le brutal, et s'en fut se réfugier chez une amie.
Chaumel finit par connaître l'adresse de la fugitive. Il lui adressa une lettre où il la suppliait de lui accorder un dernier rendez-vous. Carmen eut la faiblesse de céder à cette prière...
...Hier soir, vers huit heures, elle arrivait rue Feutrier. Le chauffeur, se jetant à ses genoux, la supplia de tout oublier, de reprendre la vie commune.
"À quoi bon insister, répondit-elle simplement. Je resterai ton amie si tu le veux, mais pour rien au monde, je ne me résignerai à reprendre la vie passée."
Blême de colère, le jeune homme se releva et, tirant de sa poche un revolver, fit feu à six reprises, sur son ancienne maîtresse. Quatre projectiles atteignirent l'infortunée, un à l'abdomen et trois à la tête...
... Les voisins accoururent. Le meurtrier leur échappa et alla se réfugier dans le square Saint-Pierre. Mais là, plus de deux cents personnes l'entourèrent, et commencèrent à le lyncher. Dix agents eurent grand'peine à l'arracher à leurs coups.
M. Dumas, commissaire du quartier Clignancourt, se transporta sur les lieux. La blessée était mortellement atteinte. Il ne put l'interroger et la fit emmener à l'hôpital Lariboisière, ainsi que Chaumel, dont l'état est des plus graves.
À l'hôpital, on ne croit pas que Mlle Tahoreau passera la nuit. (Le Petit Parisen. Aout 1909)
Si l'on en croit bien des faits divers ou criminels du quartier, il était dangereux pour les femmes d'être les maîtresses de ces messieurs!
Liens : Crimes et faits divers dans le quartier :
Crimes et faits divers rue André Del Sarte
Crimes et faits divers square Saint-Pierre (Louise Michel)
Liens : rue Feutrier et rues de Montmartre :
Les informations sont prises dans le livre : "C'est arrivé près d'ici". Editions Baleine, rue Muller.