L'avenue Rachel va du boulevard de Clichy au cimetière Montmartre. Elle ne mesure que 104 mètres de long, ce qui ne l'a pas empêché de changer plusieurs fois de nom.
Rue du Cimetière du Nord (1886)
Elle fut à l'origine rue du Cimetière Montmartre (1825) puis rue du Cimetière du Nord (1867) avant de prendre son nom actuel en 1899.
Sous l'occupation lorsque l'Institut d'Etude des Questions Juives s'illustrait comme on sait, le capitaine Sézille tenta d'imposer son brillant projet de marquer d'une étoile jaune toutes les plaques de rues portant un nom juif avant de les débaptiser! L'avenue Rachel faisait partie de la liste.
C'est encore ce sinistre personnage qui rédigea l'introduction du catalogue de l'exposition de 1941 au Palais Berlitz...
Il avait toujours avec lui un répertoire des noms juifs, ce qui permettait à ce rustre de savoir que Rachel était juive, Rachel Félix (1821-1858) la tragédienne qui en pleine époque romantique bouleversa le public en interprétant les grands classiques du XVIIème siècle.
Frédérique O'Connell. Rachel dans Phèdre.
On imagine mal à quel point elle était admirée. Elle était une véritable "star" et les hommes les plus en vue la courtisaient. Dans le salon de Mme Récamier où elle était conviée, les plus grands écrivains (Chateaubriand, Lamartine, Musset, Hugo...) étaient à ses pieds. Elle était libre et ne s'embarrassait pas de ses amants quant ils lui devenaient importuns. Elle eut deux fils, le premier du Comte Walewski fils de Napoléon, le deuxième d'Arthur Bertrand, fils du général qui fut le dernier compagnon de Napoléon à Sainte Hélène.
Jean auguste Barre. Mademoiselle Rachel (Louvre)
Le destin de cette artiste est étonnant. Fille d'un marchand ambulant, elle chante et déclame des poèmes en accompagnant son père dans les rues. Une partie de son répertoire est composé de chansons grivoises dont elle comprend à peine le sens. Quand elle arrive à Paris, elle ne sait ni lire ni écrire et cependant suit des cours au Conservatoire d'art dramatique. Il faut croire que son talent crève les yeux et les oreilles puisqu'à 17 ans, elle entre au Théâtre Français. Elle transforme les tragédies de Corneille et Racine qui ronronnaient depuis des générations en pièces à succès qui soulèvent l'enthousiasme et parfois le délire.
Sa maigreur nerveuse, sa beauté fragile, sa voix timbrée et chantante subjuguent le public. Elle devient rapidement une des femmes les plus célèbres de Paris. Son renom dépasse les frontières; elle part en tournée en Allemagne, en Angleterre et jusqu'aux Etats-Unis où elle se produit au Metropolitan.
La tuberculose la terrasse alors qu'elle n'a que 37 ans. Ses funérailles sont quasi nationales! Plusieurs dizaines de milliers de Parisiens se pressent dans le carré juif du cimetière du Père lachaise.
Tombe de Rachel au Père Lachaise
L'avenue Rachel conduit donc à un cimetière où la tragédienne ne repose pas!
Le 3 avenue Rachel
Le 2 avenue Rachel
L'avenue commence côté pair et impair avec de beaux immeubles dont la façade principale donne sur le boulevard de Clichy. D'un côté on trouve un pub irlandais le Corcoran's Irish Pub et de l'autre l' American Bar! Il faut plaire aux touristes et surtout aux groupes déguisés et vociférants des fans de foot qui débarquent en ligne directe sur la place de Clichy après les matches du Stade de France!
Le 2
Le bel immeuble de pierres de style 1900 est dû à l'architecte Henri Petit.
Galeries de France. Alger. (arcitecte Henri Petit)
Un architecte qui s'illustra en construisant à Alger les Galeries de France, la Médersa et plusieurs bâtiments de style néo-mauresque.
Le Casanova, 2 avenue Rachel.
C'est au 2 que fut ouvert dans les années 1920 un cabaret tenu par des Russes en exil. Si l'on en croit le Quotidien de Montmartre du 14 septembre 1930, on y était accueilli par un "authentique" Prince Russe, servi par "un ancien aide de camp du défunt Tsar" et "dépouillé de son pardessus par un amiral qui commandait effectivement dans la Baltique"!
Gageons que la vodka y coulait à flots!
Toujours côté pair, le bistro de Montmartre petit restaurant sympathique et sans prétention, idéal après une balade dans le cimetière...
Vient ensuite le très bel immeuble du 7 au 9 construit en 1900 sur les plans de l'architecte Albert Walwein dont plusieurs immeubles sont visibles à Paris, notamment dans la rue Réaumur qui est un véritable musée des audaces et des innovations de l'architecture du tournant entre le XIXème et le XXème siècles.
Le 7
Deux gardiens sont sculptés au-dessus de ses portes. Méduse pour éloigner les importuns...
Le 9
...et Héraclès dans sa peau de lion pour rappeler aux méchants ce qui risquerait de leur arriver s'ils passaient le seuil avec de mauvaises intentions!
Le 17 Bistrot Tifinagh
Le Tifinagh, encore un bistrot. Cette fois le mot est écrit avec un "t" contrairement au "Bistro de Montmartre" voisin. Le mot à l'orthographe flottante serait né sur la Butte selon la légende montmartroise, riche en inventions fantaisistes. Les soldats russes après la bataille de Paris (1814) auraient pris l'habitude de réclamer leur verre de vin en criant "bistro" ce qui signifie "vite" en russe!
En réalité, contrairement à ce que prétend la plaque apposée sur la façade de "la Mère Catherine" place du Tertre, le mot n'est apparu que 70 ans plus tard! Il viendrait du méridional "bistroquet" qui était le nom donné au domestique, puis à l'employé du marchand de vin, puis au tenancier lui même avant de désigner l'établissement!
le "t" que l'on trouve parfois s'explique par cette origine provençale. Montmartre peut aller se rhabiller!
Avant l'entrée du cimetière, on peut voir, donnant sur la rue Caulaincourt cette pittoresque baraque, le "Café du père Rousseau".
Elle donne une idée de ce qu'étaient les rues de la Butte avec leurs maisonnettes de planches dont il ne reste quasiment plus rien.
Quelques traces de peinture subsistent...
Le 8
Côté impair, un immeuble construit en 1930 et composé d'ateliers d'artistes...
Son architecte est Ulysse Moussali à qui l'on doit le pavillon des Etats du Levant construit sur l'ïle des Cygnes pour l'exposition des Arts et Techniques de 1937 et dont il ne reste rien...
Le 10
Le 12
L'immeuble du 12 est dû à l'architecte J.J. Desclers, un des représentants de l'Art Nouveau...
...plus inspiré quand il conçoit la Rotonde de Thaon les Vosges.
Le 16
Le dernier immeuble côté pair est une résidence hôtelière à l'architecture banale. Une façade plate et triste, aussi indigente que l'hôtel Ibis de l'autre côté de la rue Caulaincourt et qui a détruit le Gaumont Palace.
L'avantage c'est que les voisins ne sont pas bruyants....
Entrée du cimetière en 1825
L'avenue Rachel s'arrête là. Malgré la proximité du boulevard et de Pigalle, elle est paisible, à l'écart de l'agitation. Elle est comme un sas entre le plaisir des vivants et la paix des morts!
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Si les célébrités ont choisi d'habiter le cimetière, rares sont celles qui se sont arrêtées avenue Rachel. On peut citer le jeune Malraux qui après la guerre de 14-18 a loué un meublé dans l'avenue.
Il aimait alors fréquenter le Lapin Agile et le Moulin Rouge. Avec le succès, il changea de quartier en 1920 pour le luxueux hôtel Lutetia et Monparnasse qui avait supplanté Montmartre.
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Liens :
Rues de Montmartre. Classement alphabétique. Articles complets.
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