Je me suis absenté de Paris pendant une semaine. Je suis allé à Massy aujourd'hui pour voir mon père. Nicole était avec moi.
Je l'ai revu.
C'est fait.
Les portes se sont refermées. Il est là. Seul. Il est à table. Une grande table ronde. Très loin de lui, trois femmes finissent de manger. Sans lever les yeux. Ont-elles des yeux? Y-a-t'il de la lumière derrière ces paupières baissées?
Mon père est là. Les yeux ouverts. Il ne regarde rien. Il ne voit rien. Nous nous approchons. Il ne réagit pas. Je pose la main sur son épaule. Je l'embrasse. Nicole l'embrasse.
Les murs les murs sans fenêtre ni créneau
Les murs sont montés si haut si haut
Tu es au fond d'un puits sans eau
Et le soleil ne descend pas si bas si bas
Tu ne te lèves pas pourquoi
pourquoi aller d'un bord à l'autre
d'une paroi semblable à la paroi semblable
Que s'est-il passé en si peu de jours? A t-il décidé d'arrêter de jouer?A-t-il compris inconsciemment qu'il était arrivé?
Nous avons marché pas à pas vers sa chambre. Il s'est appuyé sur moi. Il est courbé, lui qui était si droit. Il tremble, lui qui ne tremblait pas.
Il ne reconnaît pas sa chambre. Il ne reconnaît pas le grand fauteuil dans lequel il aimait somnoler.
Nicole lui parle. Elle lui demande comment il me trouve. Il ne répond pas. Je lui dis que je viendrai souvent le voir. Il s'éveille un instant : "C'est bien, tu pourras discuter avec les autres, avec tous ces.... ces.... ces....trésors...."
Il repart en arrière.
J'ai les larmes aux yeux. Je mets un CD qu'il aimait. un chant religieux. Un texte mystique.
Aimer ou mourir, mon coeur c'est ton coeur
Sans toi je ne puis vivre, ton corps c'est ton coeur
Ô Jésus mon Amour, Jésus ma blessure
ÔJésus Roi d'Amour, Jésus ma brûlure
Ô Jésus mon enfant qui dors sur la croix
ÔJésus innocent, ta Croix c'est ma croix.
Je me suis levé. Je ne pouvais essuyer mes larmes. Je suis allé dans le couloir. J'entendais les paroles. Je ne les ai pas changées, mais ce que j'ai entendu, je l'ai entendu :
Aimer ou mourir, mon coeur c'est ton coeur
Sans toi je ne puis vivre, ton corps c'est ton coeur
Mon père, mon Amour, mon père ma blessure
Mon père roi d'Amour, mon père ma brûlure
Mon père mon enfant qui dors sur la Croix
Mon père innocent, ta croix c'est ma croix.
Si l'Amour existe, il est là. Si Dieu existe, il est là. Il a ce visage de souffrance. Il est cet homme sans pouvoir ni richesse. Il est cette nudité absolue que seuls notre regard et notre amour peuvent habiller.
lien : Alzheimer. Poème. Père.
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