
La dernière partie du roman fait écho à la première mais le chemin s'inverse. Alors que l'enfant s'éloignait de son père, l'adulte va se rapprocher de lui. Lou, la soeur de Léo retrouve la trace de son frère grâce à la maison d'édition qui publie ses livres. elle lui apprend que leur père est atteint par la maladie d'Alzheimer et que la progression du mal est telle que s'il veut le revoir, il doit venir au plus vite. Léo qui n'a pas abandonné son désir de vengeance, tient à revoir son père pour s'expliquer avec lui avant qu'il ne perde tout souvenir. Il retrouve un homme affaibli et perdu. Il tente de lui parler. Il découvre des aspects inconnus de cet homme. Il reçoit des révélations sur sa propre enfance. Peu à peu, sans lui pardonner vraiment, il se rapproche de lui jusqu'au jour où il se rend compte que malgré lui, il l'appelle "papa", mot qu'il n'avait jamais pu prononcer. Quand le mal est trop insupportable, quand tout espoir est perdu, Léo vient la nuit embrasser son père qui attend son fils. Il le serre contre lui et l'étouffe.
3ème partie
L'autre
extrait : le rendez-vous
"(...) Comme il a froid pense Léo. Pourquoi l'a-t-on laissé avec ce seul drap sur le corps? pourquoi les couvertures inaccessibles, sont-elles pliées sur une chaise près de la fenêtre? Il se penche, prend son père dans les bras, le soulève et tente de l'asseoir. Il provoque un court gémissement suivi d'un râle. Il lit la souffrance sur son visage émacié. Il n'insiste pas, le laisse repartir en arrière en soutenant son dos et sa tête. Il écarte l'oreiller afin qu'il puisse reposer, bien à plat, comme il en a l'habitude. Il passe la main sur son visage, suit du doigt les cernes mauves, s'attarde sous le menton, comme il l'a vu faire avec son chat. Il caresse la pomme d'Adam, le cou si fragile. Il descend vers la poitrine aux côtes saillantes, pose la main sur le coeur qui bat sourdement. Son père essaye de lever les bras, d'attirer à lui son fils. Léo pose la tête sur sa poitrine, contre son coeur. Il ferme les yeux. Il est bien. Il sent dans ses cheveux une main légère, sur sa tempe, sur sa joue. elle reste là, sur sa joue. Léo garde les yeux bien clos. Il est à l'abri entre le coeur et la main de son père. Il ne bouge pas. Il ne veut pas bouger. Pour la première fois, si proche, pour la première fois contre la poitrine nue de son père. Contre le coeur de son père.
Des mots à peine audibles. Non, il ne rêve pas. Il entend des mots qui se précisent. Une fois, deux fois, trois fois...Aide-moi. Oui, son père prononce ces mots, en appuyant la main sur le visage de son fils : Aide-moi...
Léo se redresse. Il le regarde. Quelques centimètres les séparent : "Papa, je veux t'aider. Je suis venu t'aider.
- Aime-moi..."
Léo sursaute. il n'est pas sûr d'avoir compris. Il passe la main derrière la tête de son père et la soulève à peine : Papa... Oui... Je t'aime.
Il reçoit en réponse une légère pression sur le bras. Il serre contre lui le visage de son père. C'est contre son coeur qu'il tient maintenant son père. Il reste ainsi, les yeux fermés avec son père qui a fermé les siens.
La suite, Léo la vit comme dans un rêve. Des nuages assombrissent le ciel. La lumière du jour faiblit. La chambre s'obscurcit. Ses gestes se font lents, comme s'il évoluait dans les profondeurs. Il prend l'oreiller et le glisse entre sa poitrine et le visage de son père. Il passe les deux mains derrière son crâne et il serre. Les yeux, le nez, la bouche contre le duvet, son père esquisse un timide mouvement de recul. Puis il s'abandonne. Il se laisse faire. Il laisse s'enfoncer sa tête dans l'épaisseur de l'oreiller. Il entend battre son sang. Ou peut-être est-ce celui de son fils dont il est si proche maintenant? Léo continue de serrer. Il serre de plus en plus fort. Il n'arrête pas quand il sent les mains de son père s'agripper à ses bras. Il n'arrête pas quand il sent tressaillir les jambes de son père sous le drap. Il pose les lèvres sur les cheveux de son père. Il attend que tout se calme. Il attend longtemps après le dernier sursaut. Il tient son père contre lui, fermement, comme un noyé qu'il ramènerait au rivage. Il tire l'oreiller chiffonné qui tombe à côté du lit. Il regarde son père. Ses yeux sont ouverts. Sa bouche est ouverte. Il l'étend. Il ramène ses bras le long de son corps. Il remonte le drap. il se relève.
Il voit, debout contre le mur, sous la croix noire, Suzie qui n'a pas bougé : Laissez-moi seule avec lui. Je vais m'asseoir près de lui. C'est mon tour maintenant. Dépêchez-vous de rentrer avant l'orage."

Lien : Alzheimer. Un poème. (2)