C'est une courte rue qui va de la rue de Douai à la rue Blanche dans ce quartier qui devint à la mode pendant les années de la Monarchie Constitutionnelle de Charles X et Louis Philippe.
À son ouverture la rue porta le nom de Percier, architecte qui fut avec Fontaine (dont la rue est voisine) l'un des principaux initiateurs et créateurs de ce qu'on appellera le style Empire. L'harmonieux arc du Caroussel (avec Fontaine) est une de ses réalisations les plus connues et reconnues.
On ne sait pourquoi Percier disparut des plaques pour être remplacé en 1864 par Mansart. Sans précision de prénom, ce qui permet de rendre un double hommage à François Mansart et à son neveu Jules Hardouin.
François (1598-1666), grand bâtisseur de châteaux qui font la synthèse et la transition entre Renaissance et grand art classique (châteaux de Balleroy, de Maisons-Laffitte, galerie Mazarine).
Jules Hardouin (1646-1708) premier architecte de Louis XIV à qui Paris doit quelques unes de ses merveilles (Place Vendôme, place des Victoires, pont Royal, église des Invalides....)
La rue a une particularité : son côté nord, premier construit, offre une certaine homogénéité dans le style sobre et élégant de la première moitié du XIXème tandis que le côté sud plus tardif est plus disparate va du 2nd Empire aux années trente!
Au commencement était la môme Bijou! En effet le 1 est l'adresse du café Mansart, endroit très fréquenté par ceux qu'on appelle par facilité et conformisme bobos et par les touristes. Pendant l'occupation un personnage haut en couleurs est habitué du lieu (et de quelques autres à Pigalle comme le bar de la lune).
Il joue sur l'ambigüité, entre prostituée et travesti, entre clocharde et célébrité déchue. la môme Bijou est connue aujourd'hui encore pour avoir été photographiée par Brassaï
Elle est présentée dans le catalogue de l'exposition consacrée au grand photographe à Beaubourg en 2000 comme "une masse de graisse et de perlouses posée dans l'angle d'un bistrot".
Elle aurait inspiré autant que Marguerite Moreno le personnage de la Folle de Chaillot de Giraudoux.
Mais elle méritera qu'on lui accorde du temps car elle a gardé son mystère. Son regard triste et attentif émerge au-dessus de tous les portraits nauséabonds qui ont été faits d'elle.
Capture d'écran du blog "Haro sur les féminicides)
Alors qu'elle est très jeune (17 ans) elle se produit sur de petites scène comme mime.
Elle est remarquée par Willy qui lui donne son nom de scène, Louise Willy, et dont elle devient la maîtresse. Elle joue dans un grand nombre de petits films érotiques comme "le coucher de la mariée".
Le succès n'est pas au rendez-vous. On n'entend plus parler d'elle à partir de 1912 et le temps passant, on la retrouve dans les années trente à Pigalle où pour quelques sous elle lit les lignes de la main. Willy la retrouvant, vieillie et pitoyable, écrit : "Bijou, matrone cuirassée de crasse et de fard qui procure à quelques paternels sénateurs, la joie d'éduquer quelque lycéen."
En 1945, Kessel parle d'elle en entrevoyant sa blessure : "La vieille affreuse et fascinante qui portait au bord de sa folie et de sa déchéance, je ne sais quel reflet obscur de grâces perdues, de pourrissantes amours."
Marguerite Moreno. La Folle de Chaillot.
Je ne sais pourquoi ce personnage me touche et pour ne pas trop y penser, je continue ma balade dans la rue.
Au 3, voisin du Mansart, nous trouvons "La Cloche d'or".
Ce restaurant a dès sa création été fréquenté par les artistes. Dans les années 20, il est dirigé par Anatole Moreau et son frère Arsène.
Anatole Moreau vit en couple avec une danseuse anglaise qui se produit dans les music-halls: Katleen Sarah Buckley.
Ils donnent naissance en 1927 à Jeanne Moreau dont on connaît l'importance qu'elle a eue dans le cinéma au temps de la Nouvelle vague et bien après....
Celle qui fut l'inoubliable Catherine de Jules et Jim habite aujourd'hui à trois cents mètres de la rue Mansart, au cimetière Montmartre.
La Cloche d'or fut fréquenté par bien des célébrités parmi lesquelles il suffit de citer Edith Piaf, Marcel Cerdan, Cocteau, Kessel... et elle fut le cadre d'une rencontre devenue mythique entre le jeune Yves Saint Laurent et celui qui allait devenir son mécène, son mentor, son amant pour la vie....
Nous restons du côté impair et cherchons en vain la maison qui s'élevait au n° 5, 5 bis. Il y a là où elle se croyait bâtie pour l'éternité, un immeuble sans grâce conçu en 1935....
Elle abrita l'atelier d'un peintre et illustrateur, Nicolas Maxime Leboucher, mort en 1886, dont je n'ai rien trouvé sinon qu'il fut l'élève de Gabriel Ferrier, peintre orientaliste.
Le 9 est un lourd immeuble sans charme construit en 1932. Il n'a pas de scrupule à exposer sur sa façade le nom de son entrepreneur, un certain A. Chaize, et celui de son architecte D. Rotter.
Dumitru Rotter, roumain d'origine, naturalisé en 1907 a aimé travailler en Corse où on lui doit entre autres le monument commémoratif du sergent Casalonga à Alata.
Il y eut au 15 une salle de culture physique qui fut gérée pendant l'occupation par l'ancien champion de boxe Victor Waintz. Elle était fréquentée par de nombreux acrobates et artiste de music-hall comme les Carletti, trapézistes et contorsionnistes qui donnèrent parfois leur numéro sur la scène du Louxor. Leur fille, Louise, fut actrice dans des films de L'Herbier, Feyder, Christian-Jaque, Delannoy...
La salle était fréquentée également par des acteurs et actrices ainsi que par des personnalités diverses et variées soucieuses de perdre les kilos superflus!
Aujourd'hui l'atelier Petit Picotin qui a pris sa place a pour clientèle des bébés qui ne se soucient pas de leur poids et pour qui sont exposés draps et serviettes, peluches et jouets...
La courte rue n'a plus grand chose à nous raconter. Bonne raison pour laisser la parole à celle qui y vécut des années de son enfance, Jeanne Moreau :
"Je n'ai pas de mémoire, je n'ai que des souvenirs."