La rue de Bruxelles va de la place Blanche à la rue de Clichy en passant par la place Adolphe Max qui la coupe en deux tronçons.
Une ordonnance de 1841 permet son ouverture. Pour sa partie la plus proche du boulevard de Clichy, il faut attendre 1844 et le lotissement des jardins de Tivoli accompagné de la destruction du Pavillon La Bouëxière, harmonieuse folie du XVIIIème siècle.
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Folie La Bouëxière
Le 6.
Il reste à cette adresse quelques rares vestiges de ce qui fut un hôtel particulier donnant également sur le boulevard de Clichy à l'emplacement actuel de la chapelle Sainte Rita patronne des causes désespérées, très fréquentée par les péripatéticiennes et les péripatéticiens qui travaillent sur le boulevard.
Cour intérieure du 6
L'hôtel devint en 1883 la propriété du peintre Jean-Léon Gérôme (1834-1904) qui fut célébré comme le grand peintre quasi officiel du 2nd Empire et qui passa sans dévier de sa route à côté des grands mouvements picturaux de la 2ème moitié du XIXème siècle.
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Diogène
Il obtint des médailles aux salons et sut s'adapter au goût de ses contemporains, commençant par des sujets antiques, toujours marqués par la précision et le goût des couleurs, avant de faire une incursion dans la religion puis dans les sujets orientalistes très en vogue avec les conquêtes coloniales.
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St-Vincent de Paul
Comme souvent, les "grands" peintres académiques, après avoir connu la déréliction, sont redécouverts aujourd'hui grâce à des expositions. Notre sensibilité moderne leur reconnaît une dimension poétique en même temps qu'une remarquable maîtrise du dessin et de la couleur.
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Femme du Caire
Gérôme fut également sculpteur, avec un goût de la polychromie qui paraît audacieux aujourd'hui où l'on oublie que l'art antique fut polychrome, comme l'art roman ou gothique!
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Il est mort dans son hôtel particulier où il avait également son atelier, en 1904.
Le jugement baudelairien sur l'artiste paraît sévère : "La facture de M. Gérôme, il faut bien le dire, n'a jamais été forte ni originale. Indécise, au contraire, et faiblement caractérisée, elle a toujours oscillé entre Ingres et Delaroche."
Le 8 n'aurait pas grand chose à nous raconter s'il ne présentait pas, sculptées dans un cartouche au-dessus le la fenêtre du rez-de-chaussée quatre lettres intrigantes : M.A.C.L
Il s'agit là d'une des curiosités parisiennes qui date du XVIIIème siècle. En effet les assurances de ce temps n'assuraient pas les immeubles malgré les nombreux incendies qui se déclaraient dans tous les quartiers de Paris. Au milieu du siècle, une compagnie d'assurances a l'idée d'assurer les maisons contre l'incendie. Très vite une plaque ou des lettre sculptées dans la pierre signalent au locataire ou à l'acheteur le standing de l'immeuble qui ne risque plus de ruiner ses habitants : Maison Assurée Contre L'incendie
Ces signes extérieurs d'assurance cessent en 1880 quand il devient obligatoire de passer sous les fourches caudines des assureurs!
Au 10 un élégant immeuble 1840 est devenu en 2015 un hôtel 5 étoiles, la maison Souquet. La décoration évoque en même temps les maisons closes de Pigalle et les intérieurs luxueux et un peu exubérant des écrivains de la première moitié du XIXème siècle.
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Le 14. Bel immeuble fin de siècle qui abrite un nid de masseurs et masseuses, enfin disons plutôt de masseuses et de masseurs, enfin soyons téméraires et disons masseur.euse.s (pas sûr d'avoir bon!)
Le 18 (nous ne suivons pas l'ordre numérique car le 15 qui nous intéresse est situé de l'autre côté de la place Adolphe Max) est dû à un architecte très en vogue à la fin du XIXème siècle, Emile Hennequet.
Il a beaucoup travaillé dans le IXème avec des immeubles avenue Trudaine, rue Condorcet, rue Chaptal... On peut l'appeler post-haussmannien par son goût de l'ornementation et l'aspect cossu et harmonieux de ses façades.
Nous arrivons sur la place Adolphe Max qui interrompt notre rue. Elle a été ouverte en 1841, comme la rue de Bruxelles sur les terrains des jardins de Tivoli. Le château de la Boüexière et sa pièce d'eau étaient exactement à l'emplacement de cette place et du square qui est en son centre.
La place s'est d'abord appelée place de Vintimille (la rue existe toujours) du nom de la comtesse de Vintimille (1787-1862) épouse du comte de Ségur, avant de prendre le nom de l'homme politique belge Adolphe Max (1869-1939) au prénom malencontreux à l'époque où il vivait. Avant la carrière brillante comme on sait d'Adolf Hitler, il fut un vrai résistant pendant la première guerre et fut "l'hôte" de plusieurs prisons allemandes. Il est connu comme bourgmestre efficace de Bruxelles et comme lutteur infatigable pour le suffrage universel et le vote des femmes.
Au milieu de la place, un jardin public a été créé orné en 1886 d'une statue en bronze d'Hector Berlioz (due à Alfred Lenoir) qui sera fondue sous Pétain comme tant d'autres. Aujourd'hui une statue de pierre érigée après guerre en 1948 la remplace (due à Georges Saupiquet).
Une autre statue fit parler d'elle lorsque la place fut aménagée en 1844.
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Il s'agissait d'un Napoléon-Prométhée plus grand que nature (2,20 mètres) entièrement nu à l'exception de l'inévitable feuille de vigne. Elle choqua les hypocrites de tout bord et après avoir été vandalisée, fut détruite sur demande de son auteur.
Notons qu'avant de s'appeler square de Vintimille, l'endroit fut nommé square de Sainte Hélène. Un admirateur de l'empereur avait en effet rapporté d'un pèlerinage sur la tombe de Sainte Hélène, une pousse de saule qu'il fit planter dans le jardin.
Quelques numéros de la place méritent notre attention.
Les 1 et 2 immeubles élégants du milieu du XIXème siècle avec balcons à modillons, sobres comparés au style haussmannien qui prévaudra bientôt.
Le 3 fait l'angle avec la rue De Calais. Il fut le siège du Comité Central des oeuvres sociales EDF-GDF (lointaine époque!) et fut le théâtre d'une occupation mouvementée quand en 1951 l'organisation fut dissoute par le gouvernement de René Pleven. Mais la police vida les lieux sans ménagement.
Une plaque rappelle qu'à cet emplacement s'élevait un immeuble de rapports où Edouard Vuillard vint vivre avec sa mère en 1908.
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Square Berlioz (Vuillard)
Il habitait un cinquième étage avec vue sur le square et la place de Vintimille qu'il peignit sous tous les temps dans sa série des jardins publics.
Le 19 rue de Vintimille qui fait l'angle avec le 5 de la place Adolphe Max.
Bel immeuble au 5, la majeure partie donnant sur la rue de Vintimille.
Les 6 et 7
Le 10 s'abrite derrière une grille. ancien hôtel particulier, il a gardé le goût du secret....
Au 11 se trouve la dernière adresse parisienne d'Eugène Boudin (1824-1898) qui porte un nom aussi peu poétique que possible. Le nom de sa mère, Buffet, ne peut rien arranger. Et pourtant! Quel poète de la lumière, de la légèreté, des nuages chers à Baudelaire!
Eugène Boudin dont la tombe se trouve dans le vieux cimetière Saint-Vincent au coeur de Montmartre est à juste titre considéré comme le grand précurseur de l'Impressionnisme. Bien qu'il eût toujours été humble et beaucoup plus prompt à admirer les autres peintres qu'à se vanter de son travail, il a été reconnu par ses pairs. Courbet qui l'admirait est devenu un ami.
Baudelaire devant des études au pastel se montre prophète : "Plus tard, sans aucun doute, il nous étalera dans des peintures achevées les prodigieuses magies de l'air et de l'eau."
En 1898, Eugène boudin se sentant proche de la fin quitte son appartement pour Deauville où il veut mourir face à la mer et au ciel, rejoignant dans l'immensité le petit mousse qu'il avait été enfant.
Après avoir tourné autour de la place nous retrouvons notre rue de Bruxelles.
Au 15 a vécu et est mort un auteur dramatique Amédée Achard (1814-1875) à ne pas confondre avec son homonyme beaucoup plus célèbre, Marcel Achard (mort presque un siècle après lui).
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Il est bien ignoré de nos jours et pourtant, ce journaliste et reporter infatigable a écrit plus de quarante romans (beaucoup dans le genre cape et épée) et une quinzaine de pièces. J'avoue ne rien connaître de lui qui fut paraît-il admiré par Alexandre Dumas.
Le 21 est un monument national! C'est là que vécut Emile Zola, c'est là qu'il écrivit "J'accuse"!
C'est aussi à cet endroit qu'il fut assassiné . On dut attendre des années avant que le ramoneur Henri Buronfosse, ardent nationaliste et anti dreyfusard, n'avouât son crime.
On ne peut retenir son émotion devant cet hôtel où un immense écrivain, un humaniste intègre vécut, écrivit et mourut. Il fut enterré non loin de son domicile, au cimetière de Montmartre, avant d'être transporté au Panthéon.
Le 23 est un des plus beaux immeuble de la rue. Représentatif, bien que construit en 1860 d'un style troubadour néo-Renaissance.
Au 26 vécut et mourut Tony Johannot qui fut un des plus célèbres et des plus recherchés graveur et illustrateur de son temps.
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Le génie du christianisme
Les plus grands écrivains désiraient pour leurs œuvres les illustrations de cet artiste dont Théophile Gautier disait : "Ce que tant de génies ont rêvé, il a pu le rendre et le transporter dans son art ."
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Werther
C'est avec lui qui nous quittons cette rue qui comme chaque rue de ce quartier révèle une histoire que le passant négligent ignorerait tout à fait si n'étaient apposées des plaques qui sont comme des signes de la main que nous font ceux qui nous précédèrent.
Signes que n'apprécie pas tout le monde à en croire cette affichette déchirée qui rappelle que vécut au 27 Jacqueline Pino arrêtée à l'âge de 8 ans sous le régime de Vichy et assassinée dans les camps. Il manqua en ces années de meurtres un Emile Zola pour accuser les assassins et leurs complices. Il n'y avait, un peu plus haut, rue Girardon qu'un Céline!