Voilà une petite rue qui, bien que n'ayant pas à raconter d'histoires extraordinaires, est typiquement montmartroise
Elle a été ouverte sur des terrains occupés par de pauvres constructions de bric et de broc aux confins du maquis, en 1897, année où triomphe la pièce qui va devenir la préférée des Français "Cyrano de Bergerac" d'Edmond Rostand.
Mais le nom qui lui est donné rend hommage, non pas au héros romantique de la pièce mais à l'écrivain Savinien Cyrano de Bergerac (1619-1655), libertin qui n'a rien de gascon étant tout ce qu'il y a de parisien. Rostand s'inspira avec beaucoup de liberté de ce que l'on savait de lui ! Parmi ses œuvres les plus novatrices, on cite bien sûr son roman de science-fiction dont le langage audacieux et poétique séduit aujourd'hui encore : "Les Etats et empires de la lune et du soleil".
Notre courte rue va sur une centaine de mètres de la rue Francœur à la rue Marcadet avec au premier tiers un escalier qui lui confère son côté montmartrois.
A l'angle avec la rue Francœur, un restaurant italien "In bocca al lupo" et un autre restaurant réputé pour ses brunches "Les Inséparables".
"In bocca del lupo" est une formule superstitieuse pour les Italiens et son équivalent français serait notre mot de Cambronne, ce qui pour un restaurant est assez culotté!
Le 1 et le 3 vont jusqu'à la rue Jouy. Immeubles construits comme toute la rue pour une petite ou moyenne bourgeoisie qui ne peut s'offrir les appartements post-haussmanniens de la rue Caulaincourt voisine. Aucun immeuble de la rue ne porte, gravé sur sa façade le nom de son architecte. La plupart sont dans le même style, vaguement renaissance avec leur appareillage de briques et pierres.
Palais de l'Industrie (Atget)
Un article du Figaro de 1901 nous apprend qu'une partie des immeubles des rues Cyrano, Jouy, Francoeur et Caulaincourt ont utilisé les pierres de l'immense Palais de l'Industrie de l'exposition universelle.
Le pan coupé du 3 nous réserve une petite surprise.
Un ancien commerce en rez de chaussée a été transformé en appartement, avec sur le trottoir un jardinet et un gardien à poils qu'il ne faut pas toucher comme l'exige un avis écrit sur une feuille!
Le 2 a conservé la ferronnerie qui portait une enseigne disparue. modeste vestige d'un commerce disparu.
Le 4 est un bâtiment qui fait partie de la FEMIS. C'est tout un pan de la culture française qui s'élève en cet endroit et on ne peut qu'être ému en pensant aux chefs d'œuvre qui furent tournés dans les studios Pathé qui occupaient un hôtel particulier et des bâtiments industriels, la plupart rue Francœur.
Parmi plus de cent films parmi lesquels "le déjeuner sur l'herbe" de Renoir, "Pépé le Moko" de Duvivier, "les Dames du bois de Boulogne" de Bresson, je ne peux m'empêcher de privilégier Carné et ce chef d'œuvre absolu que sont "les Enfants du paradis". C'est donc là que Garance-Arletty avec son accent parigot répondit en se moquant de Frédérick Lemaître qui la draguait et craignait que Paris soit trop grand pour la retrouver si elle ne donnait pas son adresse : " Paris est tout petit pour ceux qui s'aiment comme nous d'un aussi grand amour"!
Nous tombons ensuite sans nous faire de mal sur l'escalier d'où l'on a une vue complète sur le reste de la rue jusqu'à la rue Marcadet. On peut voir que le lotissement s'est fait rapidement, ce qui confère à la rue son unité (et sa monotonie).
Ici et là tout au long de la rue des cartons incitent les passants à utiliser poubelles et cendriers afin de ne pas réciter le poème de Prévert et sa contrepèterie : "Je vous salis ma rue".
C'est une initiative sympathique et citoyenne qui parfois ne rencontre pas l'adhésion de tous, apparemment...
Contre l'escalier, un panneau peint en mai 2020 rappelle le premier confinement
Il porte les dates de début et de fin de l'épreuve infligée par le virus perfide. Le blason a pour armes une guitare et une palette tandis que le chien noir du jour et le loup blanc de la nuit veillent sur le "village" Cyrano de Bergerac. Sur le fond, on chante au balcon, on applaudit les soignants "vous n'êtes pas seuls, on vous aime"
Couleurs vives, goût de vivre... un beau partage qui donne envie de boire une flûte de champagne avec les villageois!
L'oeuvre est signée Rupert Shrive, artiste britannique qui vit entre Londres et Paris.
Les immeubles n'ont pas la même imagination!
Côté pair :
Le 12 en pierres de taille est un peu plus cossu, comme le sont souvent les immeubles à pan coupé.
Côté impair :
Les 11 et 12 en partie rue Marcadet marquent avec leur pan coupé la fin de la rue Cyrano de Bergerac.
Une rue à flanc de Butte, assez loin du cœur de Montmartre pour n'avoir pas à subir les invasions touristiques, mais assez près pour en respirer l'atmosphère chère à Arletty!