La dernière fois que j'ai visité la belle église de Marennes, j'avais été frappé par la théâtralité et la force expressive d'une grande toile d'Omer Charlet, le peintre originaire de l'île d'Oléron dont plusieurs oeuvres sont exposées dans les églises de la région et au musée de Rochefort.
Omer Charlet (1809-1882) a été élève d'Ingres et de Gros à Paris et il a été reconnu et médaillé au cours de nombreux salons.
Il a connu Victor Hugo qu'il a hébergé dans sa maison du Château d'Oléron (dans la rue qui porte aujourd'hui son nom).
La grande toile de l'église de Marennes a été récemment restaurée. Elle est assurément la plus belle oeuvre du lieu et mérite votre visite autant sinon plus que les établissements ostréicoles!
Le sujet a été peu représenté, concurrencé par des martyres plus célèbres, André, Pierre, Sébastien qui ont inspiré de nombreux peintres. Je n'ai trouvé qu'une oeuvre sans génie, celle de Sacquespee peinte en 1659. Elle permettra de mesurer le gouffre qui la sépare de celle de Charlet.
Un rapide rappel de l'histoire contée dans la Légende dorée...
Adrien est un officier de l'armée de Galère (que diable allait-il y faire?). Les soldats sont chargés d'appliquer les décrets qui ordonnent la persécution et la mise à mort des chrétiens. Ce qu'ils font avec zèle comme toute bonne armée disciplinée.
Adrien qui ne manque pas de coeur est impressionné par le courage des chrétiens qui torturés à mort restent solides dans leur foi. Après une orgie de tortures infligées à 33 jeunes chrétiens, il se convertit, lui et sa jeune femme Nathalie.
Martyre de Saint-Laurent (Titien)
L'empereur le fait emprisonner, fouetter violemment. La légende raconte que les entrailles lui sortaient du ventre (ce qui lui vaudra plus tard d'être invoqué pour guérir les maux de ventre).
Apprenant que Nathalie parvient à le soigner en entrant dans les prisons, l'empereur ordonne sa mise à mort. On lui tranche les pieds puis les jambes et une main avant de jeter son corps au feu.
Nathalie qui l'a encouragé tout au long de son martyre veut se lancer dans le brasier mais une pluie violents l'éteint. Elle récupère la main de son époux et s'enfuit à Constantinople. En 1110 ses reliques et celles d'Adrien seront transportées au monastère de Grammont en Belgique.
Notre toile représente le moment où Adrien tenu sur une croix en X comme celle d'André (composition peut-être inspirée par la toile du Titien) va subir son supplice.
Le haut de la toile est occupé à gauche par les "autorités". L'empereur est dans l'ombre, le visage à peine discernable. Le contraste est fort avec la droite et le ciel lumineux où apparaissent les anges.
Le centre de la toile représente la foule qui assiste au martyre.
Le personnage central très expressif tente peut-être de convaincre le saint de renoncer à sa foi. Il retient la main du bourreau qui écarte la jambe du supplicié d'une main brutale.
Un autre personnage montre le ciel. Il encourage Adrien à tenir bon. Tous les regards sont tournés vers le bas, à part celui du bourreau qui attend l'ordre venu de l'empereur.
Sur la gauche Nathalie se tient près de son mari. Son visage est contre le sien. tous deux ont les yeux levés vers le ciel lumineux. Le visage du saint est beau de jeunesse et de vigueur. Il ne s'apitoie pas, ne cherche pas le réconfort en se tourant vers celle qui se tient près de lui. Les deux époux ne se regardent pas, ils regardent tous les deux vers le ciel.
Au premier plan, une coupe est renversée. La coupe du martyre, la coupe qui fut celle du Christ à son dernier repas.
La beauté du tableau tient avant tout à sa sensualité. Adrien est un athlète. On ne voit que lui dans le tumulte des assistants. Les jambes écartées, le visage levé évoquent une offrande totale de soi. Un abandon à un amour immense.
La sensualité de la scène nous rappelle que le plus profond mysticisme n'est pas abstrait mais profondément charnel. Le plus beau des livres de la Bible, le Cantique des Cantiques est un chant d'amour sensuel.
Certes la représentation des martyres, nus, offerts à toutes les agressions n'est pas sans ambigüité. Mais n'est ce pas une des caractéristiques des oeuvres fortes de prêter à divagations, discussions, rêveries?