C'est une des rues de Paris les plus riches en histoires et il faudrait une dizaine d'articles pour lui rendre justice et la détailler des pieds à la tête! Du début à la fin! Sur une longueur de 1km500 avec un côté pair dans le IXème arrondissement et impair dans le Xème.
Aussi nous en tiendrons-nous à son segment le plus montmartrois, celui qui va de la rue Lafayette (place du 8 novembre) à sa jonction avec le boulevard de Magenta à hauteur de Barbès.
La rue a porté différents noms :
Chaussée de la Nouvelle France tout d'abord, quand au milieu du XVIIème siècle fut loti à son emplacement un vignoble transformé en "hameau de la Nouvelle France".
En 1660 la rue prend le nom de Sainte-Anne en l'honneur d'Anne d'Autriche.
En 1770 des terrains vendus par les Filles de Dieu permettent une spéculation active qui s'accompagne du dernier changement de nom : rue du faubourg Poissonnière.
On connaît l'importance du chemin qui allait partait des ports du nord de la France pour arriver au centre de Paris qui était aussi son ventre!
Les noms des voies actuelles nous la rappelle : Porte des Poissonniers, rue des poissonniers, faubourg Poissonnière, rue Poissonnière, boulevard Poissonnière…. De quoi vous nous faire respirer l'odeur de la marée transportée par des centaines de chariots!
Notons encore qu'au XVème siècle s'élevait une poterne dite de la Poissonnerie, rebaptisée Sainte-Anne en 1685 et détruite au milieu du XVIIIème siècle. Côté sud de la poterne on trouve la rue Poissonnière, côté nord la rue du faubourg Poissonnière.
Que de poissons que de poissons!
Commençons notre visite à partir de la rue Lafayette, quand cette voie monte vers Montmartre, alors que vers le sud elle file vers les Grands Boulevards et le 2ème arrondissement
La rue du Faubourg Poissonnière, descente vers les Grands Boulevards.
Le 98 nous permet de commencer notre remontée en musique et poésie avec Boris Vian
Boris Vian y vécut après son mariage avec Michèle Léglise.
C'est une année heureuse de sa courte vie dont il passera une partie à Montmartre, boulevard de Clichy puis Cité Véron où il aura pour voisin Prévert.
"Il était si heureux que ça lui faisait énormément de peine". (L'Ecume des jours).
Au 106, Le groupe scolaire privé Rocroy Saint-Léon occupe un ancien hôtel du XVIIIème siècle en partie détruit dont la façade mal restaurée ne restitue pas l'élégance.
Il appartint à Philippe Frédéric de Dietrich, personnage hors du commun, savant, homme politique, partisan des idées nouvelles.
Maire de Strasbourg de 1790 à 1792, il est ami de Rouget de Lisle qui fréquente avec lui la même loge franc-maçonnique.
C'est grâce à ce dernier qu'il reste célèbre aujourd'hui! En effet c'est lui qui pousse Rouget de Lisle à écrire des chants patriotique et c'est dans son salon qu'est interprèté pour la première fois le chant de l'Armée du Rhin, la future Marseillaise! (on le voit, assis dans son fauteuil à côté Rouget de Lisle).
Pendant l'année terrible, sous l'impitoyable Robespierre, il est jugé par le Tribunal Révolutionnaire pour des accusations mal fondées de soutien à des prêtres réfractaires et pour ses critiques des journées insurrectionnelles..
Malgré la faiblesse de l'accusation, Robespierre obtient qu'il soit guillotiné et ce n'est qu'après la mort du guillotineur guillotiné qu'il est réhabilité mais sans sa tête!
Au carrefour avec la rue d'Abbeville, l'immeuble du 16 de cette rue donne par son pan coupé sur le carrefour et en partie sur la rue du Faubourg. Il est dû (1898) à Georges Massa et son décor original est l'œuvre d'Alexandre Chapuy.
Les femmes souriantes et sensuelles sont parmi les plus belles "cariatides" de Paris.
Là où s'élève le 118 a vécu en 1856 le poète parnassien Leconte de Lisle qui mena à Paris une vie de bohème après que sa famille réunionnaise avait été ruinée par l'abolition de l'esclavage pour laquelle elle s'était engagée et avait lutté. Il fut ami de Victor Hugo auquel il succéda à l'Académie.
Il rend hommage à la ville qu'il aime dans "Le sacre de Paris" :
"Ville auguste, cerveau du monde, orgueil de l'homme,
Ruche immortelle des esprits,
Phare allumé dans l'ombre où sont Athènes et Rome,
Astre des nations, Paris!"
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Au 121, le seul immeuble classé est le lycée Lamartine, fondé en 1893 dans une ancienne folie du XVIIème siècle.
Cette folie avait été construite pour le Maître de ballet de Louis XIV, Pierre Beauchamps
Elle est rebâtie en 1740 par Jacques Hardouin-Mansart, dernier rejeton architecte de la lignée des Mansart. Il reçoit la commande du marquis Phélypeaux de Saint-Florentin ministre de Louis XV qui, fortune aidant, se fera construire un autre hôtel près de la Concorde et après avoir vendu celui du faubourg.
Nous sommes en 1769 et c'est un notaire royal, amateur d'art et admirateur de Greuze dont il possède de nombreuses toiles qui l'acquiert.
Enfin, dernier avatar, en 1891 le Ministère de l'Instruction Publique l'achète pour le transformer en lycée de jeunes-filles. D'abord annexe du lycée Racine, puis indépendant.
Par chance l'hôtel n'a pas été entièrement vandalisé! Le Ministère a conservé, outre les façades sur rue et cour, le salon sur jardin et une chambre aux boiseries classées qui servit de bureau au proviseur.
En 1960 le lycée s'agrandit et achète au 119 une ancienne filature de coton.
119 immeuble de briques de la filature
Beaux immeubles haussmanniens aux 127-129.
Il y avait au 130, au début du XXème siècle, une blanchisserie dont subsiste une photo, avec comme sur la plupart des photos des commerces de cette époque, avec les propriétaires, un petit chien heureux, de race improbable.
Le 134 est un des plus beaux immeubles du Faubourg. Il a été construit en 1866 par les architectes J. Suffit et O. Courtois-Suffit.
Au niveau du 135 s'est élevée une des principales barricades des journée révolutionnaires de 1848 .
La révolution menée par le peuple avait contraint Louis Philippe à l'abdication au profit Philippe d'Orléans le 24 février.
Le même jour Lamartine proclamait la 2ème République.
Et maintenant passons devant un immeuble consternant , le 138....
Dans les années pompidoliennes il reçut sans problème l'autorisation de détruire une maison qui faisait l'admiration de tous, entièrement en bois, siège de la menuiserie Wallart. Un vandalisme de plus dont les années 70 furent des actrices décomplexées.
Le 146 est le siège des Editions Sociales créées à la Libération par le parti Communiste et qui restera pendant 40 ans sa principale maison d'éditions.
Elle se constitue un fond unique en France des oeuvres de Marx et Engels en français.
Le 161 n'aurait rien à nous raconter s'il n'avait été élevé sur un jardin qui agrémentait une petite maison où Charles de Bourbon Condé (1700-1760) vécut avec sa maîtresse madame de la Saune… (sa femme officielle n'était autre que la fille légitimée de Louis XV).
Ce prince de sang avait une réputation sulfureuse au point qu'il fut sans doute un des inspirateurs du Marquis de Sade. On raconte qu'il faisait enlever des jeunes filles pour les utiliser dans des orgies. Des rapports de police furent tenus secrets étant donné le rang du personnage. "Me too" au secours!
De nombreux immeubles côté pair (157 à 187) sont construits à l'emplacement des Promenades égyptiennes que nous avons rencontrées déjà en visitant la rue du Delta.
Le parc avait pour attraction principale "les montagnes égyptiennes" ancêtres des montagnes russes. Le lotissement commença en 1824 quand le parc ne fut plus rentable.
Côté pair un immeuble garde souvenir de la mode égyptienne qui s'empara de Paris après la campagne d'Egypte.
La rue rejoint le Magenta qui se termine avec le Louxor, remarquable cinéma art-déco sauvé par la ville et aujourd'hui lieu culturel d'exception.
Plus agréable à évoquer que le charnier de la barrière Poissonnière où furent jetés les cadavres de centaines de gardes suisses auxquels le roi avait ordonné de déposer les armes, tués aux Tuileries en août 1792.