Ce n'est pas la rue la plus prestigieuse de Montmartre. Bien des autochtones ne sauraient la situer!
Elle ne descend que sur 70 mètres de la rue Ravignan à la rue Durantin, à deux pas du Montmartre touristique, du Bateau Lavoir et des Abbesses.
Son nom lui vient, comme si souvent hélas, du propriétaire des terrains lotis dans la deuxième moitié du XIXème siècle... Monsieur Garreau.
Je me suis interrogé sur la possibilité que ce sieur Garreau ait pu être également graveur, dans un quartier ou plusieurs rues (Audran, Drevet) rendent hommage à cette profession.
Il existe en effet un Garreau sans prénom qui a réalisé plusieurs gravures au milieu du XIXème siècle.
C'est une hypothèse qui reste discutable bien sûr. Peut-être le sieur Garreau était-il à la fois propriétaire et graveur! Ou sans doute n'était-il, hélas, que propriétaire!
Toujours est-il que la petite rue compte quelques immeubles modestes qui correspondent à l'habitat du vieux village dans les années qui suivirent son annexion (1860).
Commençons par le commencement avec le 1.
Il y eut à cet endroit un établissement connu sous le nom de bar Emile où se réunissaient à l'occasion quelques peintres et écrivains.
Paul Fort, Juan Gris, Metzinger et quelques cubistes aimaient s'y retrouver. Il paraît que c'est autour d'une table commune que Modigliani et Dufy (qui pourtant avait flirté avec le cubisme) se lancèrent dans une provocante diatribe contre ce mouvement pictural, à deux pas de la Mecque où officiait Picasso, le Bateau lavoir!
Le bar Emile a été remplacé au début du XXème siècle par une boulangerie-pâtisserie.
La jolie femme qui vendait les miches et les bâtards eut l'heur d'attirer le regard connaisseur d'Apollinaire qui lui écrivit en ces termes :
"Boulangère de la rue Garreau
Vos tétins sont des bigarreaux"
La belle boulangère n'est plus de ce monde ni sa boulangerie dont le décor fut saccagé. Aujourd'hui c'est une pâtisserie de luxe ouverte par un chef-pâtissier de renom qui y a aussi son atelier.
Mais que pourrait écrire Apollinaire à son sujet?
Au 1 bis dans le même immeuble, une vieille boutique de luthier a cédé la place à l'artisanat japonais.
Elle porte le nom du chat japonais porte bonheur, le Manekineko. "Le chat qui vous invite".
Côté pair, il y eut un café qui donnait sur la place. Le 2 est aujourd'hui une entrée modeste, commune à plusieurs immeubles jadis dissociés.
Son voisin est le seul qui dans la rue porte quelques ornements. Il s'agit de macarons style XVIIIème (siècle) au-dessus des fenêtres.
Ce n'est pas le cas du 6, important bâtiment sans grâce ni imagination bâti en 1979...
Revenons côté impair avec le 3 dont il n'y a rien à dire sinon qu'il est parfois orné de pochoirs ou de tags vite effacés. Ce qui explique pourquoi il est si triste
Le 7 avec son faux décor de briques se hausse du col mais sa porte d'entrée ne saurait dissimuler ses modestes origines.
Pas de souci, dans ce quartier, tout m2 vaut de l'or !
Le 9 est le dernier immeuble côté impair numéroté rue Garreau..Les deux derniers ont leur entrée rue Durantin.
Ils correspondent aux 16 et 18 de la rue Durantin
Cette photo montre l'immeuble à pan coupé dont la proue passe entre les rues Durantin (à droite) et Garreau (à gauche)....
Revenons une dernière fois côté pair!
Le 8 est typique du Montmartre qui tangue et qui bouge! Dans ce secteur les anciennes carrières jouent des tours et malgré les consolidations, certains immeubles ont la bougeotte. La porte du 8 en est un bel exemple.
D'un côté officie un coiffeur Bio, ce qui est naturel dans un quartier bio bio, et de l'autre un grand chef japonais, Eiichi Edakuni qui est paraît-il célèbre au pays du Soleil Levant.
Guilo Guilo est le nom du restaurant où la table fait le tour des installations de cuisine, si bien qu'on peut voir tous les gestes du chef et apprécier sa dextérité et l'art de ses préparations. Mais il faut accepter les règles du jeu, accepter ce qu'on vous sert selon le jour et l'humeur et prendre pour de la classe et du raffinement une certaine froideur et une attente qui demande de la zénitude.
Le dernier numéro est le 10. Il est aujourd'hui occupé par un restaurant sympathique et chaleureux, "La Part des Anges".
Un document de 1905 me rend perplexe. Il y aurait eu à cette adresse un bar, connu sous le nom de "Maison Raulhac". On voit sur la photo un groupe d'enfants droit venus d'une école voisine sous la houlette de leur maîtresse
On a l'impression que le bar est situé en début de rue, comme l'immeuble côté impair. et qu'il n'a pas de voisin. Le dictionnaire des rues de Paris le situe bien au 10, ce que je fais respectueusement mais avec circonspection!
Je peux, grâce à Pierre, Montmartrois perspicace, rétablir la vérité! Le bar, mal situé par la légende de la photo était en réalité 5 Passage des Abbesses, là où s'élève aujourd'hui une maison particulière.
Voilà! Nous sommes vite passés rue Garreau où les Montmartrois célèbres n'ont pas laissé beaucoup de traces... et pourtant...
Du temps où il y avait encore une boulangerie au début de la rue, un autre poète qu'Apollinaire, bien plus tard, y est venu quelques fois acheter son pain...
Boulangère de la rue Garreau
Te souviens-tu de Nougaro?