"La fille de joie est belle
Au coin d'la rue Labat
Elle a un' clientèle
Qui lui remplit son bas"
Voilà une ancienne rue du vieux village dont le nom est un peu connu grâce à la chanson de Piaf "l'accordéoniste"! (paroles de Michel Emer).
Elle portait ce nom sur sa section entre la rue des Poissonniers et la rue Custine à l'époque où Montmartre était indépendant de la Capitale. La section plus courte entre les rues Custine et Bachelet s'appelait alors rue Biron.
Les deux sections réunies après le rattachement de Montmartre à Paris prirent sur toute la longueur le nom de Labat (Achille), propriétaire des terrains et maire du XVIIIème arrondissement en 1869-1870, qui acquit une relative popularité en faisant paver à ses frais la voie boueuse. Ce qui lui permit d'attirer les promoteurs et de vendre à meilleur prix les parcelles à lotir!
Commençons la visite par l'ancienne rue Biron, partie la plus montmartroise de la rue Labat qui s'ouvre avec un restaurant sympa, l'Assiette, au 78...
... Et côté impair avec un bel immeuble orné de céramiques Art Nouveau qui évoquent la vigne (celle de Montmartre est à cinq cents mètres de là).
Cette portion de rue a été décrite avec tendresse par un ancien poulbot qui l'habitait. Il s'agit de Robert Sabatier (Les Allumettes Suédoises) :
"Ce petit bout de la rue Labat, c'était le cinéma du pauvre, le paradis des mal logés, le lieu de la liberté, l'espace d'une aventure".
Le 75 où vécut l'écrivain est un petit immeuble typique de l'habitat modeste de Montmartre. C'est là qu'il connut des années heureuses jusqu'à la mort de sa mère foudroyée par une crise cardiaque à côté de lui (son père était mort 4 ans plus tôt) alors qu'il avait douze ans. Il dut alors quitter ce Montmartre qu'il n'oublia jamais.
Au 69 un salon de coiffure à la peinture blanche ignore peut-être qu'il a pris la place d'une blanchisserie!
Il y avait au 65 un commerce du genre bazar pour la maison. On y trouvait des brosses, du linoléum, des couleurs et la célèbre pâte Stella pour les cuivres !
Comme presque toujours, en bonne place sur la photo des commerçants et des employés, sourit un petit bâtard court sur pattes, heureux de son existence de chien montmartrois!
Au 50 deux créatrices dont nous avons rencontré les anges bleus sur la façade du 29 rue Ramey ont ouvert leur atelier où sont exposées quelques unes de leurs œuvres.
Ange et Dam donnent libre cours à leur imagination fertile qui à partir de divers matériaux crée un monde de personnages, esprits malicieux et dansants....
Elles ont un pied à Montmartre et l'autre au Burkina Faso où elles sont à la fois profs et élèves des jeunes dont le monde intérieur ne demande qu'à s'exprimer...
Elles ont participé récemment à une exposition dans l'église Saint-Bernard pour ouvrir les yeux et les cœurs sur les migrants.
Dans leur vitrine, un poèmes de Jean Debouverie les évoque...
Le 51 fut une institution privée, l'école de la Flesnelle.
Elle eut pour élève un des Montmartrois les plus célèbres, Maurice Utrillo!
On connaît l'histoire de cet "enfant de l'amour", fils d'une mère elle même "enfant de l'amour", devenue muse et créatrice....
Quand elle eut quelques rentrées d'argent grâce à ses séances de pose et aux dessins qu'elle commençait à vendre, elle n'hésita pas à payer une somme non négligeable pour inscrire son fils dans cette école privée.
L'enfant bien qu'il eût été heureux d'avoir retrouvé sa mère après les mois de séparation chez sa grand-mère, ne se pliera jamais à la vie scolaire! Il n'aimera pas cette école de petits privilégiés et il n'aimera pas plus le collège public de la rue Becquerel où il sera inscrit par la suite.
Quand il deviendra Utrillo, il ne retournera pas dans cette rue et se gardera bien de la peindre!
Au 44 s'élève un bel immeuble de pierres qui abrite la Maison de la mère et de l'enfant. Historiquement, elle est une création de la Société Philanthropique fondée à Paris en 1780 et dont le but était de venir en aide aux plus démunis.
Cette association est la plus ancienne société laïque de bienfaisance de France.
Sept humanistes en sont à l'origine, bien oubliés aujourd'hui. Parmi eux on trouve un poète, Blin de Sainmore dont je ne résiste pas au plaisir de citer deux vers aux accents raciniens du poème "Sapho à Phaon" :
"Oui, barbare, j'y vais m'assurer de tes feux,
Te voir, t'aimer, te plaire ou mourir à tes yeux!"
La maison accueille des femmes enceintes, souvent victimes de violences, qui y trouvent un refuge où elles sont suivies, aidées, conseillées...
On voit que Poulbot si soucieux du sort des enfants et des jeunes mères a eu des devanciers sur la Butte!
La première partie de notre balade s'achève ici, au croisement avec la rue de Clignancourt. Deux beaux immeubles datent de la première moitié du XIXème siècle. Celui qui donne rue de Clignancourt est remarquable avec sa marquise, ses dépendances. Il date de 1856 et il est caractéristique d'un habitat bourgeois péri urbain.
A suivre...