C'est une courte voie qui ne paie pas de mine, au cœur du Pigalle nocturne et frelaté.
Et pourtant, elle a vu passer quelques uns des grands peintres du XXème siècle.... Valadon, Utrillo, Dufy, Braque, Severini...
Alors qu'elle n'était composée que de petits immeubles "montmartrois", elle s'appelait impasse de Constantine, du nom d'une ville d'Algérie devenue française en 1830.
Les petits immeubles crayeux subsistent dans les premiers numéros.
En 1877, l'impasse changea de nom et troqua Constantine pour Guelma. Allez savoir pourquoi! Une ville d'Algérie pour une autre ! Peut-être en hommage au maréchal Clauzel (une rue porte son nom un peu plus bas) qui y établit son camp et fut à l'origine de son développement?
En 1986, l'impasse devient Villa! Les habitants du lieu trouvèrent plus chic d'avoir pour adresse Villa de Guelma!
Peu de gens apprécient d'habiter dans une impasse. Et pourtant notre beau pays en compte un nombre respectable!
Quelques exemples cueillis dans mon île atlantique: Impasse du soleil couchant (brrr!) Impasse de l'avenir (brrr! brrr! ) Impasse du cimetière (brrr! brrr! brrr!)
La "villa" telle qu'elle se présente aujourd'hui n'a rien de glamour à son début !
Avec son "Kebab" et son petit hôtel pigallien, avec ses vieux immeubles populaires, elle garde l'aspect modeste des vieilles artères de Montmartre.
Il faut parcourir une quarantaine de mètres (la voie en compte 86) pour découvrir de jolies maisons.
Le 5 mérite toute notre attention.
Le jour d'été où je photographiais l'endroit, j'ai rencontré par chance des habitants de ce havre de calme au cœur du quartier brûlant. J'ai pu entrer dans la cour et découvrir sur la gauche, l'aile où vécurent quelques grands peintres....
Au rez-de-chaussée, vécut et travailla Madeleine Valadon, mère de Suzanne et grand-mère d'Utrillo, qui avait fui la province limougeote où elle était regardée de travers par les braves gens, ( elle était mariée à un faussaire, condamné au bagne et mort pendant sa peine).
Elle était lingère et établit son commerce impasse de Guelma, ce qui fut déterminant pour l'avenir de sa fille dans un quartier peuplé de peintres soucieux de trouver des modèles inspirants!
Suzanne Valadon après son divorce avec son premier mari revint vivre presque une année dans l'impasse. Nous sommes en 1910, elle a alors 45 ans et son fils Maurice en a 26. Elle est amoureuse de Paul Utter, le meilleur ami de son fils. Le trio ne restera que quelques mois dans l'appartement exigu avant de monter au sommet de la Butte et d'habiter rue Cortot.
De cette année datent quelques belles toiles de Valadon représentant sa mère et son fils...
Au premier étage, un autre peintre eut son atelier. Il s'agit de Raoul Dufy. Il le conserva jusqu'à sa mort en 1953 et y revint entre deux voyages ou deux séjours dans le midi.
Il y peignit de nombreuses toiles. On reconnaît sur quelques unes les fenêtres de l'atelier et l'autre côté de l'impasse...
Dufy eut pour ami Georges Braque avec qui il séjourna dans le midi en 1908. Ils étaient tous deux admirateurs de Cézanne et peignirent, l'un à côté de l'autre les mêmes paysages. Pas étonnant donc que Dufy eût indiqué à son ami l'atelier qui était libre au-dessus du sien. Braque qui avait eu un atelier non loin de là, 48 rue d'Orsel, y demeura quelques mois. Mais ce n'est pas une rue de Montmartre qui porte son nom aujourd'hui! C'est une rue du XIVème, ancienne rue du Douanier, où il eut sa maison et son atelier.
Au rez de chaussée du bâtiment central, un autre peintre a vécu entre 1909 et 1911. Il s'agit de Gino Severini, débarqué à Paris en 1906.
Avec Marinetti il publia le manifeste de la peinture futuriste.
Il a connu, alors qu'il vivait impasse de Guelma une de ses périodes les plus créatrices. Marinetti le rencontra à Paris où il loua une chambre dans un hôtel à proximité. C'est là que se tinrent des réunions mémorables avec Apollinaire, Picasso et Severini...
Après avoir rencontré Jeanne, la fille de Paul Fort qu'il épousa en août 1913, Severini quitta Montmartre pour Montparnasse, quartier général du poète...
Passé le 5, la Villa n'offre plus beaucoup d'intérêt au visiteur curieux d'histoire et d'art....
Il y a bien, au 12 une école qui œuvre à l'éclosion de futurs artistes...
Il s'agit de l'ATLA qui forme les jeunes aux métiers des musiques actuelles et du spectacle vivant.
J'ai pu voir un spectacle inventif et dynamique donné par ses élèves, "De Pigalle à Gainsbourg" au Divan du Monde, rue des Martyrs.
Bon! L' espoir est permis de revenir un jour Villa de Guelma et d'évoquer comme nous l'avons fait pour le 5 , les artistes célèbres qui auront fréquenté le 12!
Avant de prendre le métro, je suis repassé devant le 5 et j'ai vu, se faufilant à travers les barreaux de la porte, un chat, peut-être un descendant de Raminou, le chat de Suzanne Valadon...