C'est une des plus longues rues de Paris (1555 mètres)...
En 1867, elle allait de la rue Eugène Carrière à la rue du Chevalier de la Barre où elle cédait la place aux terrains vagues et au chantier de la basilique.
Ce n'est qu'en 1881 qu'elle fut prolongée jusqu'au sommet de la Butte et la rue Foyatier.
La partie haute de la rue Lamarck qui passait au pied du Sacré Cœur changea de nom en 1930 pour prendre celui du Cardinal Dubois, archevêque de Paris mort une année plus tôt.
La rue Lamarck actuelle commence donc à la hauteur de la rue Utrillo avant d'entamer sa descente plein nord.
Le premier immeuble qui a la rue Lamarck pour adresse fait l'angle avec la rue Utrillo (ancienne rue Muller.)
Il abrita en rez de chaussée un restaurant qui portait le nom de la cloche du Sacré- Cœur: La Savoyarde.
Utrillo en fit en 1912 une toile : "Restaurant, coin de la rue Muller" sans savoir qu'un jour la rue Muller porterait son nom.
Le même endroit vu de la rue Lamarck. Les immeubles n'ont pas changé.
Côté des numéros impairs, les 1-3-5 et 7 sont attribués au complexe du Sacré-Coeur. On ne voit sur cet espace qu'une grille et un jardin sauvage qui évoque le maquis.
... Et pourtant il y eut à cet endroit, débordant sur la rue Lamarck alors inexistante un célèbre moulin, le seul qui ait appartenu aux dames de l'abbaye, le moulin de la Lancette.
Elevé en 1635, donnant en partie sur le chemin de la Fontenelle (aujourd'hui escalier de la rue du Chevalier de la Barre) et débordant de l'autre côté de la rue Lamarck qui alors n'existait pas, c'était une épaisse tour de pierres qui devait son nom à son premier propriétaire, Pierre Hié, chirurgien de son état et spécialiste comme ses confrères des comédies de Moliére, du clystère et de la lancette, le premier pour purger, la seconde pour saigner!
Pour accéder au Paradis et écarter la menace d'avoir à subir en enfer le traitement qu'il avait infligé à ses victimes, le chirurgien légua une partie de ses biens dont le fameux moulin aux dames de Montmartre !
Avec la Révolution qui préféra le couperet à la lancette, le moulin changea de propriétaire et, menacé par les carrières qui risquaient de l'engloutir, fut détruit en 1816.
23 ans plus tard, fut édifiée à son emplacement une tour qui devint rapidement un lieu très fréquenté par les parisiens en quête de dépaysement : la tour Solferino.
Cette tour disparue a laissé un souvenir qui flotte toujours dans l'air de la Butte! Elle permettait aux curieux de grimper ses 80 marches pour jouir d'un panorama unique sur Paris et ses alentours.
Une guinguette et un bal permettaient de se dégourdir le gosier et les pattes! les immeubles des 12 et 14 sont élevés sur son emplacement.
En 1870, pour ne pas servir de repère aux Prussiens, la tour fut décapitée et perdit deux de ses quatre étages avant de disparaître tout à fait après la Commune.
Auparavant, le 18 mars 1871, le général Lecomte fit enfermer dans l'enceinte du bal Solférino, des soldats du 88ème régiment de ligne qui avaient fraternisé avec les Fédérés.
Dans cette même enceinte, le maçon Germain Turpin, garde national, fut abattu par des sergents de ville qui prêtaient main forte aux troupes versaillaises venues enlever les canons.
C'est le même jour que les soldats se révoltèrent contre leur général et le firent prisonnier... La suite on la connaît... le fusilleur fut à sont tour fusillé.
Montmartre est toujours peuplé des fantômes de la Commune et le haut de la rue Lamarck en particulier.
L'aspect paisible et cossu du lieu ne trompe pas les amoureux de la Butte qui y respirent la poudre des canons et le sacrifice des hommes et des femmes qui luttèrent pour la liberté contre l'envahisseur et ses collaborateurs versaillais, annonciateurs d'une autre invasion et d'une autre collaboration quelques décennies plus tard.
A l'emplacement du 16 où se trouve aujourd'hui le foyer Israélite, il y eut un fameux restaurant qui fut très fréquenté pendant la 2ème moitié du XIXème siècle : le Rocher Suisse.
Le restaurant possédait également un jardin comme les guinguettes montmartroises. Il abrita des réunions socialistes et fut le théâtre en 1886 de la création de la Société du Vieux Montmartre opposée aux destructions sauvages de la Butte et à la disparition des espaces naturels.
Elle eut pour principal titre de gloire la sauvegarde de la vieille église du village qui fut à deux doigts de disparaître.
Le restaurant fut remplacé par la crèche israélite où vécurent pendant la guerre des enfants dont les parents avaient été arrêtés ou tués.
Ils furent à leur tour déportés à Auschwitz.
Il est poignant de voir qu'aujourd'hui cet endroit est de nouveau menacé et qu'il doit être protégé par des militaires en armes.
De l'autre côté de la rue du Chevalier de la Barre, devant le Rocher Suisse, au 18 rue Lamarck il y eut à la fin du XIXème siècle un "hangar" abritant un panorama, très à la mode à l'époque. Il s'agissait du "Panorama de Jérusalem" chargé d'édifier les pèlerins qui se rendaient sur la Butte en les immergeant dans une immense toile d'Olivier Pichat (peinte en 1887) et représentant la Ville Sainte avec tous les lieux de la Passion du Christ.
En 1903, le panorama de Jérusalem fut remplacé par celui de Rome et puis... la ville éternelle, disparut à son tour et de petits immeubles luxueux et sans style s'édifièrent sur ses ruines!
Pour terminer la visite de la partie haute de la rue Lamarck, revenons au tout début, au 1 où il y eut un immeuble dont le couple de gardiens risqua sa vie en faisant de sa loge la boîte aux lettres du réseau Interallié dont fit partie la fameuse "chatte" qui habitait à deux pas de là, rue Cortot.
Aujourd'hui il y a en ce début de rue des toilettes publiques!
(... à suivre...)