Nous arrivons dans la dernière partie de l'avenue, celle qui file après un tournant vers la rue Caulaincourt. Après la villa Léandre, le 26 est une maison originale avec grandes surfaces vitrées.
L'immeuble harmonieux et audacieux a pour architecte Adolphe Thiers (ne pas confondre avec l'autre, le massacreur de 1871!).
Nous aurons l'occasion de le rencontrer plusieurs fois dans l'avenue. Les immeubles les plus intéressants sont ses oeuvres!
Le 28 est de lui!
C'est le seul immeuble, avec la maison d'Adolf Loos à être classé "monument historique". Ce qui est mystérieux, avouons-le! Toutes les réalisations de Thiers devraient l'être!
Il a été construit en 1927 pour le sculpteur Louis Lejeune alors en pleine activité.
Louis Lejeune se double d'un humaniste soucieux d'aider les artistes et il défend le projet de construction sur le maquis de la rue Ordener d'une "Cité" aux loyers modérés réservée aux créateurs.
Nous consacrerons des articles à cette cité : "Montmartre aux artistes"
C'est un endroit exceptionnel dont l'architecte, choisi par Louis Lejeune n'est autre que notre Adolphe Thiers.
Lejeune aurait été heureux d'apprendre que sa maison serait un jour la propriété d'un artiste aux dons multiples, poète, musicien, chanteur, dessinateur... Claude Nougaro!
Nougaro y vécut des années. Il appréciait Montmartre et fréquentait en voisin le Lapin Agile.
Il dut à contrecoeur abandonner son domaine montmartrois quand les créanciers lui tombèrent sur le dos. Le succès foudroyant de Nougayork vint trop tard remettre à flot celui qui des années après sa mort continue de pulser son énergie et sa sensibilité à fleur de peau...
Pour moi, l'avenue Junot c'est l'avenue Nougaro!
Le 36 étonamment moderne avec ses grandes baies vitrées et ses volumes cubistes est encore une réalisation d'Adolphe Thiers, la dernière de l'avenue, hélas
Le 39...encore un numéro qui a son importance dans la riche histoire cinématographique de la Butte.
L'ancien hôtel Alsina servi en effet de décor en 1941 au film de Clouzot "l'assassin habite au 21".
Il fallut bien sûr changer la plaque! L'hôtel devint la pension "les mimosas".
Deux ans plus tôt en 1968, on le reconnait dans le film de Truffaut "Baisers Volés". Antoine Doisnel (Jean-Pierre Léaud) veilleur de nuit y reçoit la visite du détective. Les escaliers qui longent l'hôtel, rue Juste Métivier servent également de décor à une des scènes du film.
Edith (Piaf qui eut plusieurs adresses à Montmartre) y loua une chambre à l'année et c'est là qu'il lui arrivait de recevoir Yves Montand ( mais Chutt!!!! ne jouons pas les colporteurs de ragots!)
Dans le même immeuble mais au 41, une triste vitrine ne peut nous laisser deviner qu'il y eut à cette adresse le cabaret "Chez elle".
Celle qu'on surnommait "la Dame en bleu" ouvrit son établissement avec Van Parys au piano, en 1940, pendant les années noires.
Le cabaret qui se voulait différent des autres et plus intime, une "bonbonnière" disait la dame, portait, apposé sur sa façade un écriteau : "Interdit aux Juifs".
La chose n'était pas rare dans le Paris vichyssois mais elle peut surprendre quand on sait que la "patronne" n'était autre que Lucienne Boyer et qu'un an avant l'ouverture de son cabaret, elle avait épousé Jacques Pills qui était juif.
L'immortelle interprète de "Parlez-moi d'amour" avait-elle voulu par cette ruse détourner l'attention des autorités qui faisaient la chasse aux Juifs et protéger son mari?
C'est ce qu'elle a affirmé après guerre.
Modiano fait allusion à elle, pendant l'année 1942, dans "Livret de famille" :
Ce soir-là, Lucienne Boyer se produisait en vedette, et juste avant qu'on annonçât la nouvelle année, elle a chanté une chanson interdite, parce que l'un de ses auteurs était juif :
"Parlez-moi d'amour... Redites-moi... Des choses tendres..."
Cette audace de la chanteuse plaide en sa faveur et rend plus crédible la raison qu'elle donna d'avoir apposé le fameux écriteau sur son établissement.
Guy Gilles (Juif lui même) n'en douta pas, lui qui l'invita dans son film bouleversant "le Clair de Terre" où elle joua son propre rôle de chanteuse.
Les derniers immeubles de la rue ressemblent à ceux de la rue Caulaincourt. Ils ont été élevés dans les mêmes années. Ce sont des constructions de style composite post-hausmannien. Ils n'ont pas l'originalité des maisons art-déco de Thiers.
L'avenue Junot qui avait cédé sa première partie à l'impasse Girardon se rattrape en fin de parcours en ne comptant plus que des numéros pairs jusqu'à la place Constantin Pecqueur.
Arrivé à cet endroit vous pouvez vous intéresser au square Joël Le Tac où est érigé le monument à Steinlen, à la rue Caulaincourt ou à la statue d'Eugène Carrière
Vous n'aurez que l'embarras du choix.. Montmartre a des trésors inépuisables qu'il offre aux promeneurs, aux curieux et aux rêveurs...