En 1876 paraît en feuilleton le roman de Zola l'Assommoir. Le livre est publié en 1877 dans un grand vacarme de louanges et de critiques virulentes. Le naturalisme en effet ne plaît pas à tous et la peinture sans complaisance des milieux populaires qui vivent dans l'oppression et la misère dérange.
Un "Assommoir" est un terme souvent utilisé pour désigner les cafés où les ouvriers dépensent leur maigre paye en absinthe et autres breuvages mortifères. Zola connaît bien le quartier de la Goutte d'Or où il situe l'action de son roman. Il connaît l'endroit qu'il va appeler "le Café du Père Colombe" où trône comme une divinité maléfique le fameux alambic.
S'il existe encore des disputes de spécialistes pour situer exactement le café, il est admis en général qu'il est bien dans la Goutte d'Or, du côté extérieur de la barrière, là où l'on n'avait pas à payer les taxes sur les alcools.
Le quartier a changé. Le boulevard Barbès a été tracé et la rue Belhomme en partie rasée. C'est dans cette rue qui subsiste aujourd'hui sur moins de cent mètres que se serait trouvé le Café du Père Colombe.
Peu de rapport, apparemment, avec les rues Coustou et Puget où nous sommes aujourd'hui. Et pourtant...
Il y avait à l'angle des deux rues, dans ce quartier proche de celui où habitait Zola ( rue de Bruxelles) un café restaurant bon marché : le Café de la mère Machini que les riverains n'hésitaient pas à appeler "assommoir".
Ce Café a un autre rapport avec Zola et non des moindres. En 1877 s'y réunissaient pour dîner et discuter un groupe d'amis "naturalistes" admirateurs du roman qui venait de paraître. Il s'agit du "Groupe des cinq" qui dès la parution du livre ne le désignèrent plus que par ce nom d'assommoir, négligeant de citer sa propriétaire.
Le groupe en question a évolué et n'a jamais été partisan sans restrictions du naturalisme mais il se trouve qu'en 1877, ces cinq écrivains se sentent partie prenante du mouvement. Il s'agit de Huysmans, Hennique, Céard, Paul Alexis et Maupassant.
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Quelques années plus tard, ils n'auront plus beaucoup de lien avec lui et Huysmans par exemple publiera l'œuvre la plus éloignée, la plus antagoniste du naturalisme, "À Rebours" dont le héros Des Esseintes fuira tout ce qui est "naturel" et vulgaire pour se réfugier dans l'artifice le plus exacerbé.
Mais nous sommes en 1877 et nos cinq écrivains admirateurs de Zola et naturalistes pour l'heure, aiment se rencontrer chaque semaine chez la Mère Machini rue Puget.
"Nous nous réunissions tous, Alexis, Céard, Hennique, Maupassant et moi, une fois par semaine, dans une extraordinaire gargote de Montmartre où l'on dépeçait des carnes exorbitamment crues et où l'on buvait un reginglat terrible. C'était exécrable et c'était périlleux, mais je ne sais pas si, les uns et les autres, nous avons jamais si joyeusement mangé!" (Huysmans)
Reginglat, le mot ne s'emploie plus de nos jours, est un vin âpre, aigre, dur, "à faire grincer les vitres" (Ponchon)
Fresques actuelles sur les murs de l'établissement
Le bistrot de la Mère Machini s'il a changé plusieurs fois de nom depuis Zola, existe toujours à l'angle des rues Puget et Coustou.
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Le café à l'abandon en 2017
Sur la façade, une enseigne au néon représente une jolie fille, à moitié couchée, les jambes en l'air. Elle fait un clin d'œil au noctambule qui n'a peut-être pas lu Nana et ignore que l'endroit accueillait il y a 150 ans des admirateurs de Zola.
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Un autre écrivain ne put ignorer son histoire, c'est Modiano qui vécut au 11 rue Puget. Une rue évoquée dans trois de ses romans.
Le café de la mère Machini s'appelait alors l'Aero :
"Pour écrire son livre sans entendre les coups de marteau, il se réfugiait dans un café de la rue Puget qui faisait l'angle avec la rue Coustou et sur lequel donnait la fenêtre se sa chambre" (Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier. Modiano)
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Mais nous sommes loin de Zola et de l'Assommoir et cette rencontre improbable d'écrivains naturaliste et de Modiano écrivain de la mélancolie et du rien qui donne tout son sens au temps va très bien à Montmartre...
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