Le musée de Montmartre a enfin rouvert ses portes après des mois de confinement. Les fleurs et le soleil font des jardins Renoir un hâvre de douceur et de beauté où il fait bon s'attarder, là où vécurent Renoir, Valadon, Utrillo et quelques autres dont Dufy qui est à l'honneur aujourd'hui dans les salles d'exposition.
Peu après son arrivée à Paris, il habite en 1900 avec Othon Friesz au 12 rue Cortot où le musée nous propose l'exposition qui lui est consacrée.
Autoportrait au chapeau mou (1898)
Il est au coeur de Montmartre et il n'oubliera jamais sa découverte depuis le sommet de Paris du panorama de la capitale avec ses monuments et la houle des toits.
Paris (1937)
Il peint en 1902 une vue de Montmartre en posant son chevalet place Jean Baptiste Clément.
Nous sommes loin encore du style qui sera le sien, libre, aérien, léger, joyeux. Mais déjà son geste qui esquisse la Tour Eiffel annonce la vivacité à venir.
Il ne cache pas son admiration pour les peintres qui vécurent à Montmartre, rue Cortot comme lui, et notamment Renoir qui y peignit son fameux bal du moulin de la Galette.
Il quitte la rue Cortot et change de logement plusieurs fois avant de trouver en 1911, 5 impasse Guelma, un atelier qu'il gardera toute sa vie et où il reviendra entre voyages ou longs séjours dans le midi.
On ne soupçonne pas en passant dans l'impasse un peu tristounette que quelques grands peintres vécurent dans cet immeuble. Parmi eux Suzanne Valadon, Gino Severini et Braque, ami de Dufy qui occupa l'atelier au-dessus du sien.
Dans son port d'attache parisien Dufy peignit de nombreuses toiles qui permettent de suivre son évolution. Parfois le seul décor de l'appartement se suffit à lui-même comme un autoportrait, comme un espace qui n'a pas besoin de représenter son occupant pour parler de lui.
Le thème de l'atelier sera souvent repris avec lui celui des fenêtres, frontières transparentes entre deux univers. Dans ce lieu à la fois ouvert et clos, le peintre met en scène des nus familiers et étranges...
Les nus semblent faire partie du décor, comme un motif, comme un tableau sur les murs. Leurs contours sont souples et ne se veulent en rien anatomiques. Ils sont proches de ceux de Matisse, à la fois sensuels et imaginaires.
Nu sur fond bleu (1930)
Dans ce même atelier dont il a peint les murs en bleu, Dufy représente son épouse habillée d'une robe dont il a réalisé lui-même le dessin.
Le "Panorama de Paris" est une vraie surprise de cette exposition. J'avoue que je ne connaissais pas ce paravent tissé par la manufacture de Beauvais. Il reprend la mode des panoramas du XIXème siècle (il y en avait plusieurs sur la Butte).
Sans souci de réalisme, il survole Paris et capte ses maisons et ses monuments. L'ensemble est joyeux, dansant, et le motif floral le rend plus gai encore, reprenant la tradition des tapisseries "aux mille fleurs" du Moyen-âge.
Toujours pour la manufacture de Beauvais, Dufy crée le décor d'un salon qui malgré son allure Louis XVI ne manque pas de fraîcheur "naïve".
Il y dessine les principaux monuments parisiens parmi lesquels le Montmartrois qu'il fut quelques années n'oublie pas le moulin de la galette.
Le grand canapé préfère s'orner de fleurs, de poissons et d'oiseaux...
L'exposition nous entraîne également hors de Paris, au bois de Boulogne, dans la proche campagne où les parisiens aimaient canoter ou déjeuner sur l'herbe.
Le regard de Dufy sur ces paysages n'est pas conventionnel et ne s'encombre pas de réalisme. Il peut s'attarder sur un détail, mettre en avant les volutes d'un grillage ou la forme tourmentée d'un arbre.
Il parvient sans tenter de restituer ce qu'il voit à donner l'impression que chaque élément est à sa place et participe à un équilibre musical.
"Nous avons l'arbre, le banc, la maison. Mais ce qui m'intéresse le plus c'est ce qu'il y a autour des objets. Comment faire tenir cela ensemble."
Dufy peint de nouveau le paysage de Paris à la fin des années trente. Il survole la ville et aligne à la manière cubiste les maisons qui se serrent autour des monuments représentés frontalement.
On pense à Apollinaire : "Bergère ô Tour Eiffel, le troupeau des ponts bêle ce matin."
C'est encore Paris que Dufy représente avec cette gouache sur papier pour le livre d'or du restaurant "Chez Marianne"
Toujours Paris pour une représentation plus tourmentée. La guerre commence à pointer son groin. La Seine a perdu de sa nonchalance et le drapeau tricolore tente de flotter contre un ciel aux étoiles grises.
Quelques années plus tard, la Libération euphorique fera battre les drapeaux sur Paris comme des milliers d'ailes!
L'exposition se termine avec le ciel, comme si d'avoir survolé Paris chaque fois qu'il voulait le représenter, le peintre avait fini par filer dans les étoiles!
Il s'agit d'une huile peintre en 1948 pour servir d'affiche au Palais de la découverte dont le planétarium fermé pendant 15 ans devait de nouveau accueillir le public en 1952, un an avant sa mort.
Pour la dernière fois Paris apparaît dans l'oeuvre de Dufy, un Paris baigné de lumière rose et de douceur qui contraste avec la nuit de l'infini. "Le soleil au zénith, c'est le noir. On est ébloui. En face on ne voit plus rien."
En disant ces mots, on a l'impression que Dufy parle de la mort qui laisse derrière elle comme dans un songe les couleurs et les formes qu'il a créées et qui dansent toujours pour nous dans les musées.
Exposition "Le Paris de Dufy" au musée de Montmartre, 12 rue Cortot, jusqu'au 2 janvier 2022.