La tour d'angle entre les rues du Mont Cenis et Marcadet fait partie du paysage montmartrois (bien qu'elle soit située dans l'ancien village de Clignancourt)!
Elle a été peinte par Utrillo et quelques autres, sensibles à son charme pittoresque.
Leurs toiles immortalisent le restaurant de la Tourelle! un établissement qui a fait long feu et qui a été remplacé successivement par une boîte de nuit, le Donjon (quelle promotion pour la modeste tourelle) puis par le Don Juan...puis par le Château des Lys bien connu des libertins de tous poils!
Ne vous fiez pas au Petit Futé qui prétend que la tourelle est un élément rescapé d'un château du XIIIème siècle !
C'est le club échangiste actuel avec sa salle de tortures en sous-sol qui a peut-être suggéré au Petit Futé peu futé un Moyen âge fantasmé d'oubliettes et de basses fosses!
Ou bien est-ce une gravure fantaisiste qui représente un château du XIIIème siècle avec la fameuse tourelle, propriété des Liger, seigneurs de Clignancourt?
En réalité, Clignancourt au Moyen Âge n'était qu'un hameau dont les terres appartenaient à l'abbaye de Saint-Denis avant d'être vendues à un certain Liger (Jacques) trésorier du cardinal de Bourbon.
... C'est en 1569 qu'il acheta cette terre! Nous sommes loin du XIIIème!
En 1666, un peu moins d'un siècle plus tard, ce sont les Dames de Montmartre (l'Abbaye) qui en devinrent propriétaires. Oublions donc l'origine médiévale du modeste bâtiment!
En ce qui concerne Le Château des Lys, Les amateurs iront sur le site de ce haut lieu des nuits parisiennes et y butineront les informations qui les guideront de soirée "trio" en fête "sans culotte".
A propos de "sans culottes", remontons au XVIII ème siècle avant la Révolution... à l'époque où le libertinage acquérait ses lettres de noblesse.
Notre tourelle faisait alors partie du village de Clignancourt.
Ce qui est alors un hôtel particulier de modeste allure égayé par une petite tour décorative est acheté en 1771 ainsi que les terrains alentours par un sieur Pierre Deruelle qui y installe une manufacture de porcelaine.
Il se peut que la fameuse tourelle ait servi de moulin dont la meule réduisait en poudre le quartz et le feldspath nécessaires avec le kaolin à la fabrication de la pâte.
Les premières pièces sorties de la manufacture portaient la marque d'un moulin, bleu ou rouge.
Ainsi bien avant le Moulin Rouge de Pigalle, Clignancourt eut son petit moulin rouge!
La manufacture obtient la protection du Comte de Provence, frère du roi et futur Louis XVIII, ce qui lui permet de ne pas subir la tyrannie de la Manufacture de Sèvres qui collectionnait les privilèges.
La signature au Moulin est abandonnée au profit des lettres des prénoms de Monsieur, L S X, Louis Stanislas Xavier.
La vaisselle créée à Clignancourt est de grande qualité, capable de rivaliser dans la finesse des décors et les enluminures d'or avec la toute puissante manufacture de Sèvres. Quelques pièces conservées au Musée de Montmartre nous en donnent une idée...
La clientèle est composée d'aristocrates ou de grands bourgeois.
Quand éclate la Révolution, elle a d'autres soucis que d'acheter des assiettes! La manufacture de Clignancourt tourne alors au ralentis...
En 1792 Deruelle la vend à son gendre Alexandre Moitte. Si le M qui signe les pièces produites alors est toujours présent au dos des pièces, il n'est plus surmonté d'une couronne.
Il n'est plus celui de Monsieur, frère du roi mais celui de Moitte.
La production se poursuivra bon an mal an jusqu'en 1799.
Mais la grande époque est révolue et la riche clientèle n'est pas revenue.
En 1800 la manufacture est vendue et après une tentative avortée de relance, elle ferme définitivement ses portes en 1803.
La propriété est achetée en 1828 par la veuve Tardieu, parente du célèbre médecin connu aujourd'hui pour avoir enseigné que les homosexuels étaient des créatures hybrides et monstrueuses, tenant pour la fragilité psychique de la femme et pour la sexualité et la taille du pénis du chien!
Elle est dépecée et en grande partie détruite au début du XXème siècle.
Par chance un petit bâtiment subsiste avec la fameuse tourelle.
L'humble rescapée fait aujourd'hui partie du paysage de la Butte.
Elle a eu plus de chance que les moulins de Montmartre qui la toisaient de toute leur hauteur et dont ne subsistent que deux miraculés.
Elle est aujourd'hui, dans la nuit montmartroise, le phare qui guide les joyeux libertins vers le Château des Lys...
Les lys! une fleur qui, comme chacun sait symbolise la virginité!
On ne manque jamais d'humour à Montmartre!