Avant même de visiter cette exposition c'est l'affiche qui mérite qu'on la regarde. Il s'agit d'une œuvre de Suzanne Valadon, habituellement visible dans une petite salle du musée et qui éclate comme une fleur qui s'ouvre et dévoile dans sa corolle le pistil d'une jambe féminine.
L'acrobate ou la Roue (1916) Suzanne Valadon.
Toile remarquable, chef d'œuvre de Suzanne Valadon qui sera peut-être un jour reconnue comme l'égale de ses grands contemporains et infiniment plus douée que son fiston Maurice Utrillo.
Il y a dans cette peinture, la liberté d'un Toulouse Lautrec, l'art du mouvement d'un Degas… il y a tout simplement le génie de Suzanne Valadon à qui une salle entière de l'exposition est consacrée et qui jouxte son atelier reconstitué et son appartement de la rue Cortot.
Bol de fruits (Valadon 1917)
La mère de Suzanne et son fils Maurice (Utrillo) 1890
Portrait de Louis Moysés fondateur du Boeuf sur le toit. (Valadon 1924)
Nu assis sur un canapé (Valadon 1916)
Les salles d'exposition malgré leur exigüité présentent divers aspects de la peinture des grandes années montmartroises, plus particulièrement autour de 1900.
Une place importante est donnée aux illustrateurs comme Albert Guillaume dont un album de chansons est presque intégralement exposé.
Il fut un des artistes en vogue de la Belle Epoque, affichiste, portraitiste, caricaturiste et illustrateur d'albums comme ce remarquable "Tristes et gaies"
…. On trouve également Ibels qui aimait peindre les artistes du cirque Fernando et qui illustra de nombreuses partitions...
L'exposition d'une grande unité et d'une variété qui rend hommage à la diversité et au talent des artistes montmartrois offre à tous l'occasion de connaître la collection de deux Américains Weisman et Michel amoureux de la Butte. Elle est à la fois éclectique et cohérente, fruit d'une passion commune.
Jacqueline E. Michel et David E. Weisman
Je retiendrai parmi toutes les œuvres présentées les quelques toiles de Bottini, un peintre au destin douloureux qui aurait eu à n'en pas douter s'il avait pu vivre plus longtemps une plus grande place dans le panthéon pictural.
Femme au renard et à l'éventail (George Bottini 1901)
Evidemment Willette, Adolphe de son prénom, créateur du Pierrot de Montmartre trouve sa juste place avec deux tableaux sensuels et poétiques.
Le tableau "une paire d'amis" représente sur l'épaule de Louison la chatte de Willette, Boulette. Salis, ami du peintre l'a accroché dans son cabaret du Chat Noir.
Willette crée son personnage de Pierrot, artiste et marginal, mal à l'aise dans une société bourgeoise. Ici Pierrot tente en vain de séduire une femme perchée sur une colonne, autant dire inaccessible, fière de montrer une poitrine réservée à d'autres hommes qu'à un Pierrot sans le sou.
Steinlen l'amoureux des chats est à l'honneur avec la quasi totalité de la frise "Chats et lunes" qui orna sans doute quelque temps les murs du cabaret de Salis. Illustrateur, affichiste et peintre, Steinlen était un homme engagé, un homme de cœur. Pas étonnant qu'il eût aimé les chats du maquis, recueillant les éclopés dans sa maison nommée à juste titre le cat's cottage!
Quelques toiles encore que j'ai particulièrement aimées….
Alfred Emile Méry : Chat noir tuant un rat.
Détail d'une toile au format original, étroit et haut… Elle était accrochée aux murs du cabaret. Salis y faisait passer un message très clair : le nouveau cabaret avait supplanté son rival de la place Pigalle le Café du Rat mort
George Luks, Scène de nuit, (1900)
Ici comme dans les toiles de Lautrec, dans l'ombre des femmes flamboyantes, se devine un homme inquiétant… souteneur, client… en tout cas prédateur.
Louis Legrand. Elégante à l'éventail (1900)
Edmond Lempereur. Yvette Guilbert (entre 1895 et 1900)
Cappiello. "Mieux vaut laver son linge chez soi" (1898)
On reconnaît le talent du grand caricaturiste et affichiste que fut Cappiello. Humour, traits précis et surlignés...
Loïe Fuller (Charles Maurin)
Les amoureux de Montmartre ont jusqu'au 19 janvier pour flâner entre les œuvres de la collection Weisman-Michel et pour entendre à l'étage des illustrateurs la grande voix populaire de Monique Morelli chantant les poème de Bruant.
C'est une courte rue bordée de falaises de pierres de taille. Ses 156 mètres entre la rue Blanche et la rue de Clichy ont pourtant quelques histoires à nous raconter. Mais connaît-on une seule rue de Paris qui n'en ait pas?
Elle est créée en 1841 sous le nom de rue Laperche et attendra 1844 pour devenir rue Moncey.
Bon-Adrien Jeannot de Moncey (1754-1842) est familier aux Parisiens qui souvent ignorent que c'est lui, en bronze, qui domine sur un socle de pierres la place de Clichy.
Ce général partisan de la Révolution française fut un fidèle napoléonien. Devenu maréchal, il organisa la garde nationale et résista avec bravoure à l'invasion des troupes coalisées en 1814. Sa rue est donc située non loin de ses exploits, près des Batignolles.
Le n° 1 ouvre la voie à une série d'immeubles cossus et un peu lourds, toujours influencés par l'architecture haussmannienne. Construit au début du XXème siècle, il est dû à l'architecte F.A. Bocage à qui l'on doit d'autres immeubles parisiens chaussée de la Muette et surtout rue de Hanovre où il se montre plus audacieux et plus novateur.
6 rue de Hanovre (décoration de grès de Bigot, le grand artiste céramiste à qui on doit le Céramic Hôtel avenue de Wagram et le décor de St-Jean de Montmartre).
Le 2, un des plus vieux immeubles de la rue, a abrité un des grands écrivains du XIXème siècle : Guy de Maupassant.
Il a vécu 4 ans, de 1872 à 1876 dans une petite chambre de 12m2 située au rez de chaussée et donnant au nord sur la courette sans lumière. Cet enfermement a dû être rude pour l'homme jeune (il a 32 ans) habitué aux vastes espaces et aux rivages lumineux de Normandie.
Pour survivre, il s'échappa chaque samedi sur les bords de Seine, à Argenteuil ou Bezons où il canotait avec sa bande d'amis et quelques filles faciles.
Il n'empêche que c'est dans cette chambre où il recevait sa bande de joyeux drilles qu'il écrivit sa première nouvelle publiée, "La Main d'écorché" avant d'y recevoir des éloges pour une autre œuvre "Au bord de l'eau".
Son ami Léon Fontaine écrit : "Sa porte était ouverte à tout venant, et l'on était toujours accueilli par un bon sourire et une main cordialement tendue."
Le 3
Le 3 est un des immeubles les plus originaux de la rue. Il date de 1909 et a été conçu par Paul Perdriel, architecte de renom, humaniste passionné de bibliophilie et d'archéologie, maintes fois primé à des salons internationaux et médaille d'or pour la plus belle façade parisienne en 1904.
L'immeuble fut le siège de la C.G.F.T, Centrale Générale Française de Tramway.
Du 4 au 12
Du 4 au 12 il y eut une somptueuse demeure particulière, l'Hôtel Pillet-Will. Précisons Frédéric Pillet-Will (1837-1911) fils d'Alexis et banquier comme lui. Notre homme fut directeur de la Caisse d'Epargne et régent de la Banque de France. L'hôtel construit en 1872 fut détruit 31 ans plus tard! Il faut dire que les terrains valaient de l'or et qu'à son emplacement de nombreux immeubles cossus furent édifiés sur ce qu'on appelle aujourd'hui le square Moncey.
Square Moncey
Ces immeubles massifs forment des falaises le long des étroites rues en croix du square.
On peut apercevoir, fermant l'une de ces rues, de grands arbres majestueux, rescapés de l'ancien Tivoli qui connut le même sort que l'hôtel Pillet-Will.
Clotilde Briatte (toile de James Tissot).
Notre Pillet-Will, homme d'argent, brillait en société grâce à sa femme, Clotilde Briatte, qui écrivait des romans sous le nom de Charles d'Orino. Elle était adepte de la doctrine spirite d'Allan Kardec et affirmait qu'elle écrivait sous la dictée des esprits des nouvelles venues d'au-delà de la mort.
Le 7
Le 7 a belle allure…. Il est dû au tandem Navarre et Rousselot dont quelques immeubles et hôtels particuliers subsistent à Paris.
Le 9
… Suivent quelques beaux immeubles qui antérieurs à la fin du siècle et échappant au pastiche haussmannien présentent plus d'harmonie dans leur simplicité.
Le 11
Le 14
Le 14 qui date de 1850 est décoré de mascarons...
Le 17 est un des deux immeubles de la rue qui a sa petite place dans la grande histoire de l'Art. Le peintre Caillebotte y finança un atelier qu'il mit à la disposition en 1877 de son ami Claude Monet.
Monet voulait à cette époque peindre une série de toiles ayant pour sujet la gare Saint-Lazare toute proche.
Il avait alors de graves difficultés financières. Les dettes s'accumulaient et sa femme malade réclamait des soins coûteux. Une lettre envoyée au collectionneur Victor Choquet en témoigne :
"... Je vous demande de prendre une ou deux de mes croûtes… Je serai chez moi demain samedi 17 rue Moncey et j'espère que vous ne refuserez pas d'y venir."
Les mascarons des linteaux qui ont vu passer le peintre préoccupé et prêt à brader ses "croûtes" continuent de sourire aux passants et aux descendants de ceux qui ont eu le goût d'acquérir les croûtes de Monet et de leur assurer un beau pactole!
La rue se termine en arrivant rue de Clichy. Un petit personnage me guettait derrière une vitre, de toute l'intensité de son regard de chat.
C'est donc avec lui et un chat de Monet que je quitte la rue Moncey!
Encore une rue du bas Montmartre qui a bien des histoires à raconter et qui malgré ses modestes 274 mètres entre les rues Blanche et de Clichy aligne de remarquables immeubles.
Théodore Ballu
Elle s'appelait rue De Boulogne avant d'être baptisée en 1886 du nom de l'architecte de l'église de la Trinité et (avec un collègue) de la reconstruction de l'Hôtel de Ville incendié pendant la Commune.
Si l'on remonte un peu plus haut dans le temps, on trouve en 1760 à l'emplacement de la rue et d'une partie de celles qui l'environnent, une grande propriété qui appartenait à Jean Gaillard de la Bouëxière, opulent fermier général. Il y fit tracer un jardin ornementé de statues et de bosquets autour d'un pavillon qui se voulait inspiré du Petit Trianon.
Hôtel de La Bouexière (XVIIIème)
On parle alors de la Folie Bouexière. La propriété fut vendue en 1779 et en partie lotie d'hôtels particuliers.
Fragment de bas-reliefs de Le Jeune pour la Folie-Bouexière
L'autre partie fut louée pour accueillir un parc d'attractions, le Nouveau Tivoli, troisième du nom. Il est connu pour avoir permis à la bonne société de massacrer allègrement plusieurs centaines de milliers de pigeons, tirés pour le plaisir de ces chasseurs d'opérette. Ce "sport" nous venait d'Angleterre où il aurait dû rester!
La rue Ballu en 1902.
Ce n'est qu'en 1840 que la Folie est détruite pour permettre le percement de notre rue Ballu, alors rue de Boulogne.
Début de la rue Ballu (à partir de la rue de Blanche).
C'est rue Blanche où habitait Ballu (au 78) que commence notre rue...
Hôtel particulier de Théodore Ballu 78 rue Blanche
Le 1 rue Ballu.
Le 1 en partie à pan coupé sur la rue Blanche est occupé au rez-de-chaussée par un bar-tabac au nom très original : Le Ballu!
Le 5 rue Ballu
Mais très vite de beaux immeubles apparaissent qui témoignent de l'habitat de la grande bourgeoisie du milieu du XIXème siècle. Le 5 qui appartint à l'ingénieur Narcisse Maugin fut acquis en 1960 par la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques) dont le bâtiment principal est au 11bis.
Le 7
Cet élégant hôtel fut comme son voisin du 7 construit par l'architecte J. Brevet. Le 5 est la Maison des Auteurs, lieu de rencontre et de travail des membres de la Société. Le 7 abrite une remarquable bibliothèque de plus de 200 000 documents du XVIIème à nos jours consacrés aux arts du spectacle.
(J'ai eu beau fouiner sur le net je n'ai rien trouvé d'intéressant sur Narcisse Maugin et J. Brevet!)
Le 11 bis est l'épicentre de cet ensemble harmonieux et cossu. Il s'agit de l'hôtel Blémont (1858) construit à l'origine pour le banquier Eugène Bertin dans un style composite devenu avec le temps le style Napoléon III.
Il est acheté au début du XXème siècle par Emile Blémont qui l'habite jusqu'à sa mort en 1927. Il prend alors le nom de son propriétaire.
Emile Blémont est bien oublié aujourd'hui alors qu'il fut ,en son temps un poète reconnu et apprécié. Sic transit Gloria mundi!
Proche des Parnassiens et des symbolistes il fut un ami de Victor Hugo et si l'on parle encore de lui c'est grâce à Rimbaud qui lui offrit le précieux autographe de "Voyelles" un de ses plus mystérieux poèmes.
Manuscrit de "Voyelles" offert par Rimbaud à Blémont.
Notons encore à son crédit qu'il est un des fondateurs de la Société des Poètes Français et qu'il dirigea une revue importante pour la vie littéraire : La Renaissance Littéraire et Artistique.
Verlaine peint par Bazille.
Enfin, il fut un de ceux qui reconnurent le génie de Verlaine alors qu'il était de bon ton de se moquer de ce poète. Verlaine ne l'oubliera jamais et il lui adressa un poème.
"La vindicte bourgeoise assassinait mon nom (…)
Mais vous, du premier jour vous fûtes simple, brave,
Fidèle; et dans un cœur bien fait cela se grave."
Sur le célèbre tableau de Fantin Latour "Coin de table" maintes fois reproduit pour Verlaine et Rimbaud qui y figurent, on peut voir au centre de la composition Emile Blémont.
Pour donner une idée de son talent citons quelques uns de ses vers, assez verlainiens, qui terminent son poème Brumaire dans lequel la nature agonise...
"On n'entend plus le cri de l'hirondelle!
La sève a peur sous le froid qui la mord;
Tout fait silence; et, seul, l'amour fidèle
Chante et fleurit au souffle de la mort."
La serre de l'hôtel Blémont
Le 11 bis est comme nous l'avons vu le siège de la SACD (Société des auteurs compositeurs dramatiques) qui avant de choisir en 1829 ce sigle s'appelait depuis 1777, année de sa création par Beaumarchais, Bureau de législation dramatique.
Le 6
Comme nous ne pouvions dissocier les numéros impairs du 5 au 11 bis qui font partie de la SACD, nous avons délaissé les numéros pairs. Réparons illico cet injuste traitement et traversons la rue pour tomber sur le 6, gros immeuble post art-déco qui a écrasé le petit hôtel incapable de se défendre devant l'appétit carnassier des promoteurs.
Son géniteur a signé son œuvre réalisée en 1932. Il s'agit de Jacques Bonnier (1884-1964) qui est aussi le responsable du massif immeuble du carrefour Duroc à Paris et qui conçut le pavillon de la Marine Marchande de l'expo de 1937.
Square Montsouris
Il avait plus d'imagination quand, plus jeune, il créa pour le "square Montsouris" une soixantaine de villas qui sont aujourd'hui, comme la villa Léandre de Montmartre, une enclave calme et poétique dans la grande ville.
Dans l'hôtel qui existait au 6, était installé le "Théâtre des Pantins". Le lieu était décoré par Bonnard et Vuillard (Bonnier qu'as-tu donc fait!)
Il est célèbre pour avoir représenté en 1897 avec des marionnettes, "Ubu Roi" de Jarry, donné sur scène au Nouveau Théâtre l'année précédente
Alexandre Dumas fils au cimetière Montmartre.
Au 10 bis rue Ballu s'élève un immeuble récent sans intérêt architectural. Il a pris la place de celui où a vécu Alexandre Dumas quelques années. S'il ne reste aucun souvenir de lui dans la rue, il suffit de marcher quelques centaines de mètres pour le rencontrer au cimetière Montmartre, là où il passe son éternité, les doigts de pied en éventail, non loin de son héroïne, Marie Duplessis (Alphonsine de son vrai prénom), devenue sous sa plume Marguerite Gautier, "la Dame aux camélias".
Tombe d'Alphonsine Duplessis. (Marie Duplessis)
Le 13
Le 13 est un immeuble intéressant construit en 1868 par l'architecte Jules Amoudru dont on connaît le bel hôtel du 17 cité Malesherbes.
C'est aujourd'hui le siège de la fédération des syndicats pharmaceutiques de France. On remarquera les rares cariatides engaînées de la façade.
Un imposant et hideux immeuble moderne a fait disparaître entre les 16 et 18 l'ancienne impasse Tivoli.
En 1836, au cours des terrassements qui suivirent la destruction de l'impasse, fut découverte une nécropole gallo-romaine d'une cinquantaine de squelettes. Avec les ossements furent exhumés des objets de bronze, des poteries de terre vernissée et des monnaies datant du règne de Constantin.
Le cimetière de Montmartre voisin a donc eu un antique prédécesseur!
Le 19
Le 19 est un élégant petit hôtel...
Le 23. Accès à la Villa Ballu
Avec le 23 s'ouvre la Villa Ballu, un des endroits les plus romantiques de Paris, resté indemne, on ne sait grâce à quelle bonne fée!
Détails du 23
Après le succès de l'Assommoir, Zola y vécut au 2ème puis au 1er étage, avant de déménager pour la rue de Bruxelles toute proche, où il trouva la mort en 1902, dans les conditions que l'on connaît. Il ne fut jamais prouvé malgré de fortes probabilités que le feu de cheminée à l'origine de son décès avait été criminel.
Il resta voisin de son quartier tant qu'il occupa sa tombe du cimetière Montmartre, avant de la quitter pour changer de rive et gagner le Panthéon.
Degas. Autoportrait 1857.
C'est encore au 23 que l'on trouve en 1890 Edgar Degas qui comme l'on sait fut un enfant du 9ème arrondissement où il eut plusieurs adresses jusqu'à la dernière, avenue de Clichy.
Villa Ballu
Dans l'impasse de la Villa (ancienne Cité Ballu) subsistent plusieurs belles demeures qui furent achetées par de riches propriétaires comme le marquis de Custine, le comte de Feydeau, le banquier Grenouillet. Notons que l'établissement de ce dernier deviendra la banque Hervet puis HSBC!
Le 6 Villa Ballu
Le 24
Le 24
Bel hôtel particulier au 24 qui respecte la tradition banquière de la rue puisqu'il sert de siège à la Société Financière d'Investissement!
Le 27 est un opulent immeuble construit en 1904 par les architectes H. Azière et L.Vuldy, deux compères sur lesquels je n'ai rien trouvé d'intéressant mais qui n'hésitaient pas à signer leurs réalisations, ce qu'on aimerait voir aujourd'hui!
Le 28
Le 28 étonne par son style flamand qui rappelle les maisons de Bruxelles ou de la grande place d'Arras.
Il a été construit en 1891 par l'architecte Gaston Dézermeaux qui pour moi a une certaine importance car il est l'auteur de l'Hôpital Maritime de Berck, la ville de mon enfance!
Mais loin de la côte d'opale, c'est pour Charles Wislin (dont le W est sculpté sur la façade), un peintre qui n'avait rien de flamand, qu'il dessina les plans de cet hôtel particulier somptueux.
Charles Wislin
Le peintre bien oublié aujourd'hui connut un grand succès qui assura sa fortune. Maupassant l'admirait pour ses paysages normands
Le 31. Belle façade.
le carrefour avec la rue de Vintimille a été baptisé "place Lili Boulanger". Parmi les 4 immeubles à pan coupé qui la composent, le 36 retiendra notre attention...
Il est aujourd'hui le 3 de la place qui curieusement rend hommage à Lili et non à sa sœur aînée Nadia qui pourtant naquit et vécut dans le même appartement familial.
Lili Boulanger
Est-ce parce que Lili, compositrice de talent qu'admira Fauré ami de la famille mourut en 1918 à 24 ans après avoir été la première femme à recevoir le 1er grand prix de Rome (pour sa cantate "Faust et Hélène")?
Sa sœur Nadia eut une longue vie puisqu'elle mourut en 1979 après avoir eu une belle carrière de compositrice et surtout de pédagogue renommée dont l'enseignement fut suivi par Gershwin, Michel Legrand, Quincy Jones et beaucoup d'autres!
Croisement rues Vintimille et Ballu. Actuellement place Lili Boulanger.
L'explication de cette "préférence" quant au nom de la place est la date, 1970, de cet hommage. Nadia avait alors 83 ans et, comme l'on sait, il n'était pas d'usage de donner des noms de rues ou de places à des vivants.
Les deux sœurs reposent au cimetière de Montmartre et peut-être serait-il juste de rebaptiser la place de leurs deux noms inséparables.
La poste 31 rue Ballu (1904)
Le 2 place Lili boulanger ancien 31 rue Ballu
Sur la place actuelle, à l'emplacement du 2 qui était le 31 rue Ballu, il y avait la poste de la rue Ballu aujourd'hui supplantée par "les Domaines qui montent" un marchand de vins.
A droite, le 2ème immeuble est le 35
Avant d'atteindre le rue de Clichy, une dernière adresse retiendra notre attention. Il s'agit du 35 où un sacré personnage, Prosper Enfantin, dont le nom est tout un poème, est mort de congestion cérébrale en août 1864. Sa vie, ses idées sont un roman. Pour simplifier rappelons qu'adepte de Saint-Simon il fut un des chefs du mouvement saint-simonien.
Il le fit dériver vers une formation sectaire, se donnant le titre de "père" et partant en Egypte à la recherche de "la mère", femme-messie qui formerait avec lui le couple nouveau. La liberté sexuelle qu'il prônait le met en avance sur son temps. On ne peut ignorer par ailleurs qu'il avait compris l'importance des échanges entre les peuples et avait tenté de convaincre le souverain d'Egypte de l'intérêt d'un canal… Le projet lui sera volé par Lesseps!
Il militait également pour la création d'un état juif.
Canal de Suez.
Nous quitterons la très opulente rue Ballu avec quelques citations du "Père Enfantin" qui rêva d'un monde plus juste et considéra qu'il fallait interdire l'héritage qui privilégie injustement certains dès leur naissance...
...Certains qui sans ce privilège n'auraient jamais pu faire construire leur hôtel rue Ballu!
"Qui n'aime pas en frappant est un bourreau"
"L'homme et la femme, voilà l'individu social; mais la femme est encore esclave, nous devons l'affranchir."
"Le produit des successions provenant du Trésor viendrait en dégrèvement des impôts les plus lourds pour le peuple."
La rue de l'abreuvoir, une des plus pittoresques de Montmartre, n'a pas échappé aux destructions du XXème siècle et aux transformations du vieux village en quartier résidentiel et touristique.
Une adresse a résisté un peu plus longtemps que les autres (si l'on excepte la Maison Rose, sauvée par les peintres qui l'ont souvent représentée), c'est le 14, la Maison Georges.
Ce fut jusqu'au début du XXème siècle, une épicerie de village, spécialisée comme de nombreuses épiceries d'alors dans la vente de vin. L'enseigne et le panneau peint sur le mur pignon ont subsisté après la vente de son commerce par monsieur Georges.
Vente qui eut lieu en 1924 lorsque les époux Baillot s'en firent acquéreurs. Henri Baillot, ancien combattant de la première guerre, le transforma en bar-restaurant : "l'Abreuvoir".
Un nom bien choisi! L'abreuvoir qui a donné son nom à la rue était utilisé par les paysans pour y faire boire leurs bêtes, le bar dut étancher d'autres soifs!
Pendant l'occupation, les Baillot qui ont vu les bars du bas-Montmartre spoliés de leur comptoir de zinc par l'occupant nazi, s'empressent de dissimuler le leur en le murant derrière une paroi de plâtre.
Le comptoir échappe à la fonte et réapparaît à la Libération, nimbé de son aura de résistant.
C'est lui que nous voyons aujourd'hui au musée de Montmartre!
Le couple Baillot accueillait dans son restaurant le 2ème mardi de chaque mois le dîner du Dernier Carré de Montmartre, des amoureux de la Butte qui essayaient de lutter contre le vandalisme architectural des années d'après-guerre.
La belle cabaretière (Marcel-François Leprin. 1924)
En 1957 le restaurant ferma ses portes et fut transformé en maison d'habitation. Louis Baillot, le fils des restaurateurs qui y avait vu le jour en 1924 y habita et c'est lui qui offrit le fameux comptoir au musée de Montmartre.
Louis Baillot faisait partie de la Société du Vieux Montmartre et se sentait Montmartrois d'âme et de cœur.
L'essentiel de son engagement, résistance, lutte contre la politique coloniale, députation… l'inscrit dans la tradition humaniste et généreuse de la Butte.
Le 14 rue de l'Abreuvoir est bien différent aujourd'hui mais son vieux comptoir de zinc, nostalgique, nous parle encore, à deux cents mètres de là, d'un temps "que les moins de 80 ans ne peuvent pas connaître!"
Allez savoir pourquoi cet endroit de la Butte porte le nom de Turlure?
Ce qui est avéré c'est qu'au XVIIIème siècle y fut construit le treizième et dernier moulin montmartrois, à proximité du moulin de la Lancette qui serait aujourd'hui à l'emplacement des bâtiments annexes du Sacré-Coeur et du moulin Paradis qui serait en léger contrebas.
Moulin de la Lancette
Emplacement du moulin de la Lancette
Le meunier Pierre Debray et sa femme Catherine Blanchard achetèrent ce terrain en 1769 pour y édifier un moulin qui prit le nom de son lieu de naissance.
Tombe des meuniers Debray au cimetière paroissial du Calvaire.
Ce nom désignait au Moyen-Âge une tirelire. Il était également porté par une sorte de cornemuse ("Ture" étant un instrument de musique et "Loure" une grande musette).
Nous passerons sous silence ou presque "la turlute" québécoise qui est une façon de chanter par onomatopées sur un air de violon et "la turlute" française qui est comme chacun sait une fantaisie dont la haute tenue morale de mon blog m'interdit de dire plus!
Parc de la Turelure.
Pourtant...vous connaissez les Montmartrois! Ils ont souvent la langue qui fourche et il leur arrive de parler du "parc de la turlute" avant de se reprendre, l'air penaud : Euh ! Pardon! De la Turlure!
Ce moulin de la Turlure ne fut pas une tirelire pour les Debray car après une soixantaine d'années il fut vendu par la veuve Debray et disparut corps et ailes comme avait disparu quelques années plus tôt, en 1817, le moulin Paradis englouti par les carrières de plâtre.
Tel fut le sort de nombreux moulins, fragilisés par les carrières quand ils n'étaient pas avalés par elles.
Le moulin de la Lancette connut le même sort et fut détruit avant de risquer d'être aspiré comme Jonas par la baleine mais sans espoir de résurrection!
Toujours est-il que le seul des trois disparus dont on se rappelle le nom c'est notre moulin !
Le parc actuel étant toujours appelé "parc de la Turlure" par les Montmartrois malgré sa métamorphose en 1988 en "square Marcel Bleustein- Blanchet".
Malgré ce que prétend le panneau informatif, le moulin ne fut pas élevé "sur les terrains appartenant aux sœurs du Cénacle" pour la bonne raison que les susnommées ne s'installèrent en ces lieux qu'à la fin du XIXème siècle.
Le Cénacle, rue Lamarck
Elles en restèrent propriétaires jusqu'à ce la mairie les incite à en vendre une partie, aussitôt transformée en logements sociaux et en résidence pour personnes âgées.
La grotte du parc.
De leur sainte occupation ne subsiste qu'une grotte, ancienne réplique miniature de celle de Lourdes. Les statues sulpiciennes en ont été enlevées et l'accès a été protégé par des grilles qui en interdisent l'accès aux enfants pour lesquels une aire de jeux a été installée.
Le parc s'étend côté sud rue du Chevalier de la Barre :
Entrée rue du Chevalier de La Barre
L'entrée principale est ornée d'un éphémère pochoir de Louise Michel. La Vierge Rouge est pour toujours présente, à proximité des fameux canons et non loin de l'école qu'elle dirigea.
Rue de la Bonne
Le côté ouest du parc longe la rue de la Bonne dont le nom rappelle la fontaine de la bonne eau située dans sa partie basse.
Côté nord vers la rue Lamarck.
Le côté nord donne sur l'escalier de la rue de la Bonne et la résidence pour personnes âgées.
Faisons un petit tour dans le parc apprécié des enfants et des amoureux…
Plusieurs espaces sont bien délimités :
La partie haute est "le grand salon" qui jouxte l'allée sous les tonnelles de glycines.
Le jardin a été conçu par l'architecte Antoine Grumbach, celui-là même qui a restructuré le centre de Shangaï! Il a sur, sur un terrain relativement réduit, donner l'impression de variété et d'espace.
...L'allée verte qui relie le "grand salon" au "salon vert".
"Le salon vert" abrite un amphithéâtre trop peu utilisé.
Il y avait jadis en fond de scène un mur d'eau qui est malheureusement tari aujourd'hui et qui n'est plus qu'un mur...
La partie basse est occupée par l'aire de jeux...
Par une pente quasi sauvage...
Et par le boulodrome sur lequel donnent les fenêtres de la résidence pour les seniors...
Marcel Bleustein-Blanchet
Pourquoi la Turlure a t-elle reçu le nom de Bleustein-Blanchet?
C'est que l'homme est lié à Montmartre où il a passé son enfance. C'est aussi sur le Barbès qu'il commença à vendre des meubles avant d'être attiré par la publicité (la réclame!)
Edouard Vaillant
Notons que sa femme est la petite fille d'Edouard Vaillant, élu de la Commune dont on sait à quel point elle est liée à l'histoire de Montmartre.
Pas étonnant de retrouver le jeune Marcel dans la Résistance, en première ligne pendant l'occupation (pendant laquelle il prend le nom de Blanchet).
Rue du Chevalier de La Barre. A gauche la crèche Marcel Bleustein-Blanchet
… Une crèche porte son nom rue du Chevalier de la Barre à 200 mètres du square. Elle doit son existence, pour l'essentiel à une donation considérable qu'il lui a faite.
On s'amusa en remarquant que ses initiales étaient prémonitoires M.B.B. "Aime bébés"!
Et voilà comment nous sommes passés de la Turlure à la tututte!
Retenons encore que sur ce haut-lieu de Montmartre où l'on fusilla sans procès pendant la Commune, le parc porte le nom d'un homme dont la fille Elisabeth Badinter soutint sans relâche son mari qui obtint grâce à son courage et sa volonté l'abolition de la peine de mort.
Elle est passée par ici, elle est revenue par là... Comme le furet, la Belle Gabrielle a été aperçue à différents endroits de Montmartre!
Les Montmartrois qui, comme chacun sait, aiment se parer des plumes du paon n'ont pas manqué de la "montmartriser" et d'embellir avec elle la légende de la Butte.
Pardonnons leur ce péché mignon (bien que nous soyons au temps d'Henri IV et non d'Henri III)!
Rue Cortot.
Les lieux qui ont reçu son nom sont pour la plupart situés au cœur de la Butte, à quelques pas de l'ancienne abbaye. Ils s'étendent rue Cortot (côté pair) du début à la fin de la rue, englobant la maison où Satie a vécu, le musée et ses jardins jusqu'à la dernière maison à l'angle de la rue des Saules, emplacement de celle où vécut Aristide Bruant.
Rue Cortot. La 1ère maison à gauche a été bâtie sur les ruines de celle qu'habita Aristide Bruant.
On trouve dans ce pâté de maisons : le parc de la Belle Gabrielle :
Entrée du parc de la Belle Gabrielle
Une partie du parc de la Belle Gabrielle et la "maison"
Dans le même parc, la maison de Henri IV :
La maison de la Belle Gabrielle (parfois appelée "manoir") :
Cette photo nous montre la maisonqui est en fait celle du Bel Air (XVIIème siècle) et qui fait partie aujourd'hui du musée.
Le parc est devenu la vigne de Montmartre.
La vigne au printemps
Le Puits de la Belle Gabrielle :
La vérité sort-elle toute nue de ce puits? Apparemment non!
N'oublions pas, en bas de la rue du Mont-Cenis, un autre Manoir de Gabrielle d'Estrées!
Qui était parfois appelé bergerie!
Le "manoir" peint par Utrillo.
Un dernier endroit porta le nom de la Belle Gabrielle...
Il s'agit du cabaret au rez-de chaussée d'un immeuble toujours debout à l'angle des rues St Vincent et du Mont-Cenis. Il a été peint et repeint par Utrillo qui aimait y boire quelques verres d'absinthe et qui avait pour payer son ardoise recouvert de fresques les murs des toilettes. Elles furent lessivées par la propriétaire qui ne supportait pas l'odeur de la peinture.
Cette présence si importante de la Belle Gabrielle à Montmartre dans ce périmètre bien délimité entre les rues Cortot, Saint-Vincent et du Mont-Cenis peut nous intriguer.
Tentons, en historien que nous ne sommes pas de démêler le vrai du faux (car nous le verrons, il y a plus qu'un nuage de vrai).
Je remercie mon ami Pierre qui sans qu'il eût été besoin d'un clair de lune m'a prêté non pas sa plume mais son érudition!
Gabrielle est passée dans le ciel de l'histoire, comme une météorite, éblouissante et fugace. Neuf années de sa courte vie lui ont permis, grâce à l'amour que lui portait le roi, d'éclairer le ciel souvent ténébreux de son époque.
En 1590, Henri de Navarre assiège Paris et pour avoir une vue stratégique sur la ville établit son camp sur la Butte. Il choisit de loger dans l'abbaye où vit la jeune et belle abbesse Claude de Beauvilliers.
Les adversaires, nombreux, du Navarrais, prétendent qu'il aurait eu avec elle une liaison passionnée (on ne prête qu'aux riches) tandis que ses capitaines, pour suivre comme il se doit l'exemple de leur chef, auraient à leur tour butiné les jeunes nonnes. L'abbaye aurait été appelée "le magasin à putes de l'armée"!
Rabelais n'est pas mort depuis longtemps qui en avait autant pour les monastères d'hommes et écrivait qu'il suffisait qu'une femme passât à l'ombre de leurs murs pour tomber enceinte! Pas forcément du Saint-Esprit!
Claude de Beauvilliers qui sera récompensée de ses bons et loyaux services en recevant du roi la juteuse abbaye de Couilly Pont-aux-Dames avait pour cousine la belle Gabrielle d'Estrées qu'elle eut l'imprudence de présenter à son royal amant.
Entre les deux, arriva ce que l'on sait et Gabrielle mena pendant neuf ans une vie de reine (le roi étant séparé de la reine en titre, la fantasque Marguerite de Valois)
Maison de Gabrielle d'Estrées (Utrillo)
Voilà donc la légende montmartroise qui dans son désir de servir de décor à une amour historique attribua à Gabrielle un manoir, une maison, un parc, un puits...
La réalité historique est tout autre.
Oublions la grande confusion sur des sites divers entre Marie-Catherine et Claude de Beauvilliers, toutes deux sœurs et abbesses de Montmartre.
Le choeur des Dames dans l'église de l'abbaye.
Admettons qu'une relation biblique ait uni le roi et Claude de Beauvilliers, acceptons de reconnaître la réputation sulfureuse de l'abbaye… mais ce qui est certain c'est que jamais Claude de Beauvilliers ne provoqua la rencontre de sa cousine et du Vert Galant.
On sait que c'est au château de Coeuvres que Roger de Bellegarde, grand Ecuyer de France, présenta sa maîtresse, Gabrielle, au roi qui avait entendu parler de sa beauté.
Roger de Bellegarde
Il y eut un coup de foudre, du moins pour le roi qui lui fit la cour pendant des mois avant de faire craquer celle qui le trouvait laid et odorant, sentant puissamment "de l'aile et du gousset". Sans doute les riches perspectives qu'offrait cette liaison vinrent-elles à bout de ses réticences et transformèrent-elles le "fumet" en parfum!
On sait que l'amour du roi ne se démentit pas pendant neuf années et que seule la mort sépara les amants. Gabrielle mit au monde trois enfants et c'est pendant la quatrième grossesse qu'elle rendit l'âme. Quelque temps avant, le roi avait en public déclaré que contre vents et marées et malgré l'opposition du pape, il épouserait Gabrielle. Il lui avait offert à l'occasion son anneau d'or du sacre, celui là même qu'elle tient entre les doigts sur le fameux tableau où sa sœur lui saisit le téton pour vérifier qu'elle est bien enceinte.
Elle mourut dans d'atroces souffrances, présentant tous les symptômes d'un empoisonnement (les adversaires à son mariage étaient légions (Parisiens catholiques partisans de Guise, aristocrates scandalisés par l'argent dépensé pour la dame…)
Vraisemblablement l'empoisonnement fait lui aussi partie de la légende et selon toute probabilité, elle mourut d'éclampsie.
Rue Gabrielle. (photo Montmartre-secret)
Il y a à Montmartre une rue Gabrielle qui n'a rien à voir avec celle qui fut aimée par Henri IV (il s'agit de la fille d'un propriétaire lotisseur) et tous ces lieux que nous avons énumérés....
Pourquoi cette présence si forte de la Belle? Pourquoi les Montmartrois l'ont-ils vue à tant d'endroits?
A quelques mètres de l'ancien cabaret, à l'angle des rue St-Vincent et du Mont-Cenis une école a été construite à l'emplacement d'une autre école, communale, où Louise Michel fut directrice .
Cette école était elle-même à l'emplacement d'un hôtel particulier qui figure sur les anciens plans de Montmartre sous le nom de "Pavillon de Gabrielle d'Estrées". C'est lui qui va nous donner la résolution de l'énigme...
En effet, mon cher Whatson, la Belle a effectivement vécu à Montmartre, dans un hôtel loué par sa cousine Claude de Beauvilliers qui ne voulait pas abriter dans les murs de l'abbaye la maîtresse du roi qui était marié!
L'école à l'emplacement de la maison de Gabrielle.
En 1593, avant sa conversion, Henri IV évitait de se montrer avec sa maîtresse et c'est la raison pour laquelle il l'exila hors de Paris, sur cette Butte champêtre qu'il pouvait apercevoir depuis les fenêtres du Louvre. De nombreux historiens corroborent ce fait...
Le Louvre d'Henri IV
Gabrielle y demeura pendant plus d'une année avant de redescendre dans ce Paris où son amant s'ennuyait d'elle et trouvait harassantes ses chevauchées pour la rejoindre.
L'hôtel montmartrois que l'on voit sur le vieux plan de Montmartre sous le nom de "pavillon de Gabrielle d'Estrées" était bâti le long de la rue Saint-Denis (Mont-Cenis) et Saint-Vincent. Ses jardins s'étendaient jusqu'à la rue de la Bonne.
Voici la seule photo connue de ce qui restait de cette "maison" au milieu du XIXème siècle avant sa destruction et l'édification de l'école communale.
Gabrielle profita plus d'une année du bon air de la Butte, de sa verdure et des chants d'oiseaux avant de regagner Paris, rappelée par le roi qui lui trouva un hôtel près du Louvre.
Hôtel Du Bouchage. Détruit comme tant d'autres au XIXème siècle.
.....Il s'agit de l'hôtel Du Bouchage situé entre la rue du Coq (aujourd'hui rue Marengo) et la rue de l'autruche (aujourd'hui rue de l'Oratoire).
Mais c'est une autre histoire… et notre enquête est terminée!
Tout n'était donc pas faux dans la légende de la Belle Gabrielle et Montmartre peut s'enorgueillir d'avoir abrité la maîtresse du roi Henri IV!
Pas de doute Montmartre sera toujours Montmartre! Une colline où légende et vérité sont indissociables comme le vent et les ailes des moulins!
La rue La Bruyère prend naissance place Saint-Georges au cœur d'un quartier qui a gardé l'empreinte de son riche passé culturel et historique.
C'est en 1824, dans le Paris romantique que son tracé fut dessiné en même temps que celui de la rue Fontaine….
Les 1 et 3 rue La Bruyère
La rue Pierre Fontaine rendant hommage à l'architecte-décorateur de l'Empire, il fut proposé de donner à la rue voisine le nom de son ami et complice Charles Percier, à ce point lié à lui dans le travail qu'il est difficile sinon impossible d'attribuer à l'un ou à l'autre ce qui lui revient dans leurs multiples collaborations.
L'arc de Triomphe du Carrousel (Percier Fontaine)
Mais l'homme, insensible aux honneurs, contrairement à Pierre Fontaine, le refusa et ce fut le moraliste du Grand Siècle, célèbre pour ses Caractères, La Bruyère qui fut choisi!
La Bruyère (Largillière)
La rue a été habitée par tant d'artistes, hommes célèbres etc... que nous lui consacrons deux articles.
Commençons par le 1, siège aujourd'hui de la Fondation Taylor qui depuis 1844 œuvre à la défense des artistes qu'elle aide et promeut. C'est dans cet immeuble que vécut Albert Maignan (1845-1908) qui fut président de la Fondation à laquelle il légua son immeuble. Il est connu surtout pour ses talents de décorateur. Il reçut de nombreuses commandes, pour l'hôtel de ville, pour le Palais du Luxembourg, pour l'Opéra Comique…
Les notes. (Plafond du foyer de l'Opéra Comique)
… et pour l'extraordinaire "Train Bleu" de la gare de Lyon. Certains pourront s'amuser à reconnaître dans son "Théâtre d'Orange", Sarah Bernhardt, Réjane et Edmond Rostand :
Théâtre d'Orange (Albert Maignan)
La chronologie et les règles de préséance auraient dû présenter le beau père avant le gendre!
Il s'agit de Charles Philippe Larivière (1798-1876) dont la fille Etiennette épousa Albert Maignan. Il fut un peintre reconnu, grand prix de Rome en 1824.
La mort d'Alcibiade (Charles Philippe Larivière)
A la fois néo-classique et romantique, il finit par se spécialiser dans les scènes historiques qui, il faut bien l'avouer, nous lassent aujourd'hui. Il peignit trois des grandes toiles de la Galerie des Batailles de Versailles et il décora une des chapelles de Saint-Eustache.
La Petite Loge 2 rue La Bruyère.
Au n°2 La Petite Loge s'enorgueillit d'être "le plus petit théâtre de Paris". Comme quoi on peut être riquiqui et avoir la folie des grandeurs! Surtout quand on se pare des plumes du paon car il y a plus petit à Paris, à Montmartre...
Il s'agit du Petit théâtre du Bonheur qui n'a que 20 places alors que la Petite Loge en compte 25! Mais soyons plus sérieux, c'est un lieu sympathique, ouvert aux jeunes spectateurs et spécialisé dans les "Seul en scène" (ça vaut mieux).
Le 3bis
Le 3bis abrita plusieurs hôtes illustres. Le plus proche de nous est Albert Brasseur (1862-1932) non pas le père de Pierre Brasseur comme l'affirment certains sites dont celui des rues de Paris. Il est vrai qu'il fut lui aussi comédien et chanteur d'opérette. De son vrai nom Albert Jules Dumont il fut apprécié pour son humour et sa décontraction.
Albert Brasseur, Ménélas dans "La Belle Hélène".
Un autre habitant célèbre de l'immeuble fut le journaliste et écrivain Aurélien Scholl (1833-1902). Un homme plein d'esprit et de mordant qui aimait dans ses chroniques souligner les travers de ses contemporains. On l'appelait "le chroniqueur étincelant"!
Il créa des journaux, participa à "la Justice" de Clémenceau avec qui il avait alors en commun des idées et une maîtresse, l'actrice Léonide Leblanc qui n'en était pas à un amant près puisqu'elle avait accroché à son tableau de chasse le Prince Napoléon et surtout le Duc d'Aumale qui lui offrit une fortune et lui resta fidèle dans la vieillesse.
Scholl changea de bord avec la Commune dont il fut un adversaire haineux, capable de dénoncer Lavalette, mari de la sœur de sa femme. Il est tombé dans les oubliettes malgré son humour vachard et parfois absurde….
Pour Sarah Bernhardt qu'il n'aimait pas, il écrivit :
-Un fiacre vide s'arrête devant le théâtre; Sarah Bernhardt en descend.
Autres citations :
-Il fut un temps où les bêtes parlaient; maintenant elles écrivent.
-Non je ne crains pas la mort. Seulement je trouve que la Providence a mal arrangé les choses. Ainsi je préférerais de beaucoup qu'on enterre mon âme et que ce soit mon corps qui soit immortel"
-Voyons si Dieu n'existait pas comment aurait-il eu un fils?
Medusa (Lévy-Dhurmer) Musée d'Orsay
Le 3ème homme du 3bis fut un peintre de grand talent : Lévy-Dhurmer (1865-1953). En artiste curieux de différentes formes de création il se consacra pendant des années à la céramique. Quand il privilégia la peinture, c'est vers le symbolisme qu'il se tourna.
Rodenbach (Lévy-Dhurmer)
Il a été proche de Rodenbach dont il peignit le portrait le plus connu et de Pierre Loti qui le complimenta en affirmant que c'était la seule image de lui qui resterait.
Pierre Loti (Lévy-Dhurmer)
Le 5 est l'adresse du théâtre La Bruyère qui était à l'origine une salle de conférence reprise en 1943 par de jeunes comédiens pour être transformée en théâtre.
Le succès de Robert Dhéry et de ses "Branquignols" en fit une salle branchée qui programma Audiberti puis les dramaturges anglo-saxons. Le théâtre collectionne depuis les Molière!
Le 8
Au 8 a vécu avec sa famille, pendant deux ans une des grandes poétesses françaises : Marceline Desbordes Valmore (1786-1859).
C'est alors qu'ils revenaient ruinés d'Italie que les Valmore choisirent cet appartement relativement modeste. Ils y restèrent jusqu'en 1840 avec leurs enfants dont Ondine qui est sans doute la fille de l'amant de Marceline, Henri Latouche, présent comme une ombre discrète et blessée dans son oeuvre.
Cet acteur et écrivain fut sa grande passion. Il resta en relation (au moins épistolaire) avec elle pendant une trentaine d'années.
Médaillon de Latouche par David d'Angers, daté de l'année de sa mort, 1851.
Marceline Desbordes Valmore publia pendant les années de la rue La Bruyère un roman "Violette" et un recueil de poésies "Pauvres Fleurs".
Verlaine la tient pour une poétesse novatrice et sensible, Baudelaire écrit qu'elle est "une âme d'élite qui est et sera toujours un grand poète", enfin Sainte Beuve écrit le plus beau compliment, hommage à son naturel et sa sensibilité : "Elle a chanté comme l'oiseau chante"
Marceline Desbordes Valmore par Antoine Carrière (1823)
Qu'en avez-vous fait? (Pauvres Fleurs)
Vous aviez mon cœur,
Moi j'avais le vôtre :
Un cœur pour un cœur ;
Bonheur pour bonheur!
Le vôtre est rendu,
Je n'en ai plus d'autre,
Le vôtre est rendu,
Le mien est perdu!
(…)
Savez-vous qu'un jour
L'homme est seul au monde?
Savez-vous qu'un jour
Il revoit l'amour?
Vous appellerez,
Sans qu'on vous réponde;
Vous appellerez,
Et vous songerez!...
Vous viendrez rêvant
Sonner à ma porte;
Ami comme avant,
Vous viendrez rêvant.
Et l'on vous dira :
"Personne! … elle est morte."
On vous le dira ;
Mais qui vous plaindra?
Le 9
Le 9 est un bel hôtel particulier néo-Renaissance. C'est celui où vivait Daniel Iffla, connu sous le nom d'Osiris.
Cinq hôtels de la rue La Bruyère lui appartenaient.
Etages supérieurs de l'hôtel Osiris, avec dans les sculptures du balcon supérieur le "I" d'Iffla et le "O" d'Osiris.
La vie de cet humaniste et mécène est faite de générosité et de dévouement. Jeté dans la vie active alors qu'il était encore adolescent, il réussit grâce à son intelligence des affaires. Il faudrait un volume pour détailler toutes ses donations. Notons qu'il fut le premier qui créa des "restos du cœur" ouverts aux hommes et femmes sans moyens… Il mit à la disposition du maire du IXème arrondissement ses cinq hôtels pour que soient accueillis les réfugiés pendant le siège de 1870… il légua sa fortune à l'Institut Pasteur qui put créer grâce à cette donation l'institut du radium où travaillera Marie Curie… Il légua à l'Etat son domaine viticole du bordelais afin que soit créée une école d'œnologie et de viticulture, l'école de la Tour blanche.. il légua toujours à l'Etat le château de la Malmaison… Bref! Quelle différence avec les richissimes privilégiés qui aujourd'hui n'ont de cesse de dénicher des paradis fiscaux et de se réfugier à l'étranger pour échapper à l'impôt de leur pays!
Cet homme-là était exceptionnel en tout. Amoureux fou de sa femme qu'il perdit alors qu'il n'avait qu'une trentaine d'années, il conserva intact le décor où elle avait vécu et il ne voulut jamais se remarier.
Sa tombe est une des plus spectaculaires du cimetière de Montmartre, surmontée d'un immense Moïse, réplique de celui de Michel Ange. Mais ce qui nous interpelle aujourd'hui c'est qu'Osiris dut se battre pendant plus de trente ans pour obtenir l'emplacement où il a été érigé. Juif assigné à la partie du cimetière réservée aux juifs, il tenait à reposer à la limite extrême, à côté de la partie chrétienne, afin d'être le plus près possible de sa femme comme il le lui avait promis.. Triste époque où les préjugés étaient si forts qu'ils empêchaient deux êtres qui s'étaient aimés de partager la même tombe! Et quelle ingratitude envers un homme qui avait tant donné à son pays! Il est vrai que nous sommes encore dans les miasmes de l'affaire Dreyfus qui empoisonna l'atmosphère pendant plus de 12 ans!
Heureusement, avant sa mort le mur fut détruit et les règles radicales des religions purent être contournées.
Aujourd'hui le couple et ses enfants morts nés vit dans la même terre son éternité temporaire.
"J'ai lutté avec mon cœur de mari. Je suis arrivé après 33 ans de luttes de toute sorte à occuper définitivement et perpétuellement le terrain qu'elle avait désigné. Je viens de reconnaître ma place. C'est à ses pieds que je dormirai de mon dernier sommeil"
Le 11.
Au 11 a vécu plusieurs années Adolphe Tavernier, journaliste (au Gil Blas, à l'Evènement) et… escrimeur! Il a écrit un livre préfacé par Aurélien Scholl : "L'art du duel".
Mais ce qui le caractérise mieux que le fleuret c'est son goût très sûr pour la peinture de son temps et pour son amitié indéfectible avec Sisley dont il collectionna les toiles.
Première neige à Veneux-Nadon (Sisley). Toile ayant appartenu à Adolphe Tavernier.
Il ne s'en sépara qu'à contre cœur quand il quitta Montmartre pour acheter un vaste appartement dans le XVIème arrondissement!
Meule de paille en octobre (Sisley)
Nous faisons halte à ce niveau de la rue dont nous reprendrons la visite après avoir admiré quelques Sisley qui appartenaient à Tavernier!
Au début de la rue de l'abreuvoir, séparée de la maison rose par un seul immeuble, une maison à l'architecture composite attire l'attention des passants. Il s'agit de la maison des aigles.
Sur les photos du début du XXème siècle, elle n'existe pas encore. Elle n'a pas encore remplacé une modeste demeure villageoise dont un mur pignon donnait sur la rue et dont les pierres auraient été réutilisées dans la nouvelle construction.
(On peut voir sur la carte ci-dessus, un peu avant le personnage, la vieille maison et son mur pignon).
Il faut attendre 1924 pour voir la maison des aigles nidifier sur la Butte.
De style rustique et composite, elle serait si l'on en croit André Roussard, grand érudit montmartrois malheureusement décédé, l'œuvre de Joseph de la Nézière. (Dictionnaire des lieux de Montmartre. Editions andré Roussard).
Je ne sais qu'en penser pour la bonne raison que Joseph de La Nézière (1873-1944) n'était pas architecte mais peintre, intéressé non par Montmartre mais par les pays du Maghreb où il résida souvent et pour lesquels il créa de nombreuses affiches. Peut-être a t-il dessiné cette maison avant qu'un architecte ne la réalise?
Mais pour qui a t-elle été construite ? La réponse est plus facile, une plaque apposée sur la façade nous renseigne!
Elle fut la demeure du "commandant Henry Lachouque, historien de Napoléon et de la Grande armée (1883-1971)".
Lachouque? Le touriste restera dubitatif, comme je le fus devant cet illustre commandant. Napoléon éveillera sans doute plus de clignotants dans sa cervelle.
Le commandant fut pourtant un historien passionné par Napoléon.
Il fut formé à Saint-Cyr, promotion Austerlitz (!) et combattit pendant la 1ère guerre avec les gants blancs et le casoar. Ilfut blessé en 1914 à la bataille de la Marne et dut quitter l'armée.
Les toqués de Napoléon qui comme on sait rendit fous de nombreux de ses fans, le connaissent bien sûr et ont dévoré la quinzaine de livres qu'il consacra au grand homme et à son armée.
Il fonda l'Association des amis de Sainte-Hélène, il fit restaurer la fameuse maison de Longwood où l'empereur déchu passa ses dernières années, il fut enfin conservateur pendant dix ans du musée de la Malmaison. Une vie consacrée à Napoléon!
La Malmaison
Cette passion a envahi la maison des aigles. Les pièces abritaient un musée de souvenirs napoléoniens, d'objets divers ayant appartenu à Napoléon, à Joséphine ou aux princes impériaux.
L'extérieur n'est pas en reste! L'entrée est surveillée par deux aigles prêts à fondre sur leur proie. Ils ont donné son nom à la maison.
On retrouve l'aigle impériale sur l'enseigne qui se balance au vent….
Une des curiosités de la maison est le cadran solaire, un des plus photographiés de France et de Navarre.
Ce n'est pas un aigle mais un coq (dessiné par Henry Lachouque lui-même) qui s'exprime...
Il s'adresse au campanile du Sacré-Cœur voisin et il lui dit qu'au moment où il fera sonner ses cloches pour les Laudes matinales, il l'accompagnera de son chant.
Le campanile du Sacré-Coeur vu de la rue de l'abreuvoir et de la maison des aigles.
Et voilà ce qu'on peut dire de cette maison qui suscite l'intérêt des passants!
Notons que Henry lachouque, reconnu comme spécialiste sérieux de l'Empire fut sollicité à plusieurs reprises pour donner des conseils à des cinéastes dont les films se situaient à cette époque.
J'ai oublié un détail intrigant. La phrase prononcée par le coq comporte une curiosité.
Le "N" de "quand" est écrit à l'envers, comme une lettre de l'alphabet cyrillique.
Est-ce une allusion à la désastreuse campagne de Russie?
La rue de la Tour d'Auvergne tracée sur les anciens terrains de l'abbaye de Montmartre porte comme plusieurs rues du quartier, le nom d'une des abbesses.
L'Abbaye de Montmartre (1626)
II s'agit de Louise Emilie de La Tour d'Auvergne (1667-1737), douzième enfant de Frédéric Maurice de La Tour d'Auvergne. Elle est abbesse de Montmartre entre 1727 et 1735. Après elle, il n'y aura plus que deux abbesses, Catherine de La Rochefoucauld et Marie-Louise de Montmorency-Laval, sourde et aveugle, guillotinée en 1794 pour avoir conspiré sourdement et aveuglément selon l'accusation du Tribunal Révolutionnaire qui ne manquait pas d'humour (noir)!
Avant de prendre ce nom , la partie située entre les rues des Martyrs et Rodier s'appelait rue de la Nouvelle France tandis que celle située entre les rues Rodier et Rochechouart s'appelait rue de Bellefond (encore une abbesse de Montmartre, Marie-Eléonore de Bellefond).
C'est par cette partie que nous commençons à remonter la rue.
Début de la rue à partir de la rue Rochechouart.
Evidemment beaucoup d'immeubles anciens ont disparu remplacés par des constructions plus modernes, mais souvent (pas toujours) la numérotation reste la même et permet à notre imagination de s'envoler! Même si c'est derrière la façade, dans de petits hôtels qui ne sont pas visibles que bien des "gloires" de la rue ont vécu.
Le 1 aujourd'hui
Il y eut au 1 la demeure d'Henry Murger (1922-1861), l'auteur des "Scènes de la vie de bohême". C'est d'ailleurs rue de la Tour d'Auvergne que vit son héros, Rodolphe, un autre lui-même!
Henry Murger (Nadar)
On sait l'importance qu'eut cette œuvre qui plus que toute autre nous renseigne sur la vie difficile que menaient les artistes dans ce Paris où ils espéraient devenir célèbres.
Murger définit la bohême comme "un état social qui peut déboucher sur la reconnaissance (l'académisme), la maladie (l'Hôtel Dieu) ou la mort (la morgue).
Rodolphe (Louis Jourdan) dans "La vie de Bohême" de Marcel L'Herbier.
Il y eut de nombreuses adaptations de cette œuvre pour le théâtre, l'opéra ("La Bohême de Puccini, "La Bohême" de Leoncavallo) et le cinéma ("La vie de Bohême" de Marcel L'Herbier, "La vie de Bohême" de Kaurismaki).
Murger mourut jeune comme bien des artistes bohêmes de sa génération. Il est enterré au cimetière de Montmartre où la muse Erato fait pleuvoir des fleurs sur sa tombe.
Le 14
Le 14 est un petit immeuble de la première moitié du XIXème que Murger a pu connaître.
Le 15
Au 15 a vécu pendant plus de trente ans le sculpteur Albert Ernest Carrier Belleuse qui forma dans son atelier une génération de sculpteurs dont le plus célèbre fut Rodin.
Carrier Belleuse par Rodin
Il participa à la décoration de nombreux monuments comme le Louvre où il réalisa le stuc de plusieurs plafonds, l'Opéra où son ami charles Garnier lui obtint la commande des deux torchères monumentales qui flanquent le grand escalier...
Torchère par Albert Ernest Carrier Belleuse
Le 16
Au 16 a vécu le peintre Léon Barillot (1844-1929) qui choisit de devenir Français après l'annexion de sa région, la Moselle, par les Prussiens.
Peintre de plein air, il aime les paysages de bord de Seine et les troupeaux qui y paissent.
Le 16
On trouve à la même adresse un autre peintre, Jules Frédéric Ballavoine (1842-1914) qui fut considéré comme un maître du nu féminin.
Il aima la rue de la Tour d'Auvergne puisqu'à partir de 1872, il y habita et eut son atelier au 6, puis au 12 et enfin au 16!
Ses toiles sont d'une facture académique et sans inspiration. Leur seule "audace" est de dénuder en partie les belles poseuses qui sont habillées et dénudées à la fois, leur poitrine se montrant rétive au carcan des tissus dont elle s'échappe en douceur...
Le 21
C'est encore un peintre que nous rencontrons au 21 (l'immeuble a été reconstruit en 1861). Et quel peintre! Un des grands du XIXème siècle malgré sa courte vie : Théodore Chassériau (1819-1856)
Esther
Son domicile, fenêtres donnant sur l'église Notre-Dame de Lorette, 2 rue Fléchier là où il mourut n'était pas éloigné de la Tour d'Auvergne où il avait son atelier.
Suzanne au bain
Nous le retrouverons dans le cimetière Montmartre où il repose et nous lui consacrerons une étude plus attentive. Mais il suffit de regarder ses œuvres auxquelles Théophile Gautier, son ami, consacra plusieurs critiques élogieuses, pour se persuader de son génie.
Vénus anadyomène
Ambiances oniriques, chairs vibrantes, femmes magiciennes, orient fantasmé… toute son œuvre, synthèse d'Ingres et de Delacroix, traduit sa sensibilité et sa sensualité.
Alice Ozy (Chassériau)
Pour la petite histoire, Victor Hugo vexé d'avoir été éconduit par la belle actrice Alice Ozy qui lui préféra le peintre, ne le lui pardonna pas!
Hero et Léandre (Chassériau. Musée du Louvre)
Parmi les œuvres les plus importantes de Chassériau, il est possible aujourd'hui d'admirer ses toiles conservées au musée du Louvre où une salle lui est consacrée ou dans l'église Saint-Merri… Mais ce qu'il considérait comme sa plus grande œuvre, les fresques de la Cour des Comptes au palais d'Orsay auxquelles il consacra trois années de sa courte vie, disparurent en fumée sous la Commune.
Fragment récupérés après l'incendie de la Cour des Comptes
Un autre peintre de Montmartre, Gustave Moreau, dont la maison transformée en musée rue de la Rochefoucauld est un des lieux les plus poétiques de Paris, le considérait comme son maître et pour lui rendre hommage peignit "le jeune homme et la mort".
Le jeune homme et la mort (Gustave Moreau)
Le 22
On aura du mal à imaginer qu'il y eut au 22 un théâtre, "L'Ecole Lyrique" où débutèrent quelques unes des plus célèbres comédiennes du Second Empire comme Mlle Agar ou Réjane.
Réjane
La façade plate et triste ne donne aucune idée de cette époque brillante!
Le 24
, Dans cette rue où la musique était chez elle, pas étonnant de trouver au 24 un compositeur : Ernest Reyer (1823-1909)
Il fut ami de Théophile Gautier qui écrivit pour lui le scénario d'un ballet, les paroles d'une ode symphonique et plus prosaïquement celles, parodiques et licencieuses, d'un "De profundis morpionibus" sur une marche funèbre composée pour un maréchal.
Paix à son âme et à celle des petites bêtes!
Reyer connut une célébrité passagère grâce à ses opéras "Sigurd" ou "Salammbô" bien oubliés aujourd'hui.
Le 26
Pas de comparaison avec la célébrité de celui qui est né dans l'immeuble voisin, au 26, et dont l'opéra "Carmen" est le plus joué dans le monde :
Quand il épousera Geneviève Halévy en 1869, il vivra non loin de là, au cœur de la Nouvelle Athènes dans le somptueux hôtel Halévy de la rue de Douai.
A défaut de photo de Georges enfant, celle de son fils Jacques.
Mais le jeune Alexandre César Léopold Bizet qui sera rebaptisé Georges en 1840 dans l'église Notre-Dame de Lorette, est né sous de bons auspices puisque son père est professeur de chant et sa mère pianiste.
Croisement avec la rue Rodier
Nous traversons la rue Rodier et arrivons côté impair devant le 27, bistro et hôtel dont une photo nous donne à voir son avatar du début du XXème siècle.
De l'autre côté, au 30 une horreur d'architecture lourde et sans esprit…
Il s'agit de la poste qui écrasa à cet endroit l'entreprise Chaboche qui elle-même avait pris la place d'un hôtel particulier du XVIIIème siècle, propriété d'une danseuse de l'Opéra, Marguerite Vadé de Lisle. Béranger y habita ainsi que Reyer après avoir quitté le 24.
L'entreprise Chaboche occupa les lieux en respectant dans un premier temps l'hôtel particulier puis en le sacrifiant pour s'étendre et élever ses hauts murs de briques...
Dans l'usine qui tournait à plein s'assemblaient les célèbres salamandres, poêles qui connaissaient un grand succès et remplaçaient les cheminées dans les appartements parisiens.
Il ne reste plus rien de l'hôtel particulier et de Chaboche, sinon quelques photos. On passera vite devant l'immeuble qui l'a remplacé!
Le 31
Un peu plus loin côté impair, après la rue Milton, nous trouvons une école (aujourd'hui collège Paul Gauguin) qui décline en céramique les lettres de l'alphabet. Elle a été construite à la fin du XIXème siècle sur des maisons dont l'une au 31 fut l'adresse d'Alphonse karr avant qu'il n'habite rue Vivienne.
Il fut ami de Victor Hugo et comme lui s'exila après le coup d'état de Napoléon III. Il choisit alors de vivre à Nice qui était à l'étranger, dans le royaume de Piémont-Sardaigne.
Il a encore en commun avec Hugo de s'être engagé pour la défense des animaux . Il présida la Ligue Populaire contre la Vivisection (dont Hugo fut président d'honneur.)
Il écrivit de nombreux romans où se développait son esprit satirique et primesautier. Il fut d'ailleurs l'unique rédacteur des Guêpes, une revue qui s'amusait à démolir les gloires de son temps.
Alphone Karr et les guêpes. Caricature de Nadar.
Bien des mots d'esprit écrits ou prononcés par lui couraient tout Paris! Le plus souvent ils ne manquaient pas de profondeur comme le montre ces quelques exemples :
-La politique, plus ça change, plus c'est la même chose.
-N'ayez pas de voisins si vous voulez vivre en paix avec eux.
-L'âge auquel on partage tout est généralement l'âge où on n'a rien.
-Si on veut gagner sa vie, il suffit de travailler. Si l'on veut devenir riche, il faut trouver autre chose.
-La vérité est le nom que donnent les plus forts à leur opinion.
-Entre deux amis, il n'y en a qu'un qui soit l'ami de l'autre.
Au 36 s'ouvre une impasse constituée de beaux immeubles post-haussmanniens élevés en 1896 sur les plans de l'architecte Henri Tassu à qui l'on doit 25 immeubles parisiens.
Le 34 ter
Au 34 ter a vécu pendant presque deux ans Louis Armstrong.
Il y habitait un studio où Stéphane Grappelli et Django Reinhardt venaient improviser avec lui.
Pour une fois l'immeuble n'a pas changé et nous le voyons tel que ce trompettiste unique l'a connu.
Le 37
Une façade quelconque au 37 dissimule comme souvent dans les rues du quartier de petits hôtels particuliers que nous ne pouvons que deviner quand le porche est ouvert.
Une erreur de numérotation y loge Victor Hugo qui y aurait habité de 1848 à 1851 après avoir quitté son domicile de la Place des Vosges à la suite des journées révolutionnaires de 1848.
Le 41
Il s'agit d'une erreur répercutée par de nombreux sites (Wikipédia, Paris Révolutionnaire) car le 37 de 1848 est en réalité le 41 d'aujourd'hui. Ce 41 assez moche dissimule un bel hôtel particulier qui donne sur l'arrière, Cité Charles Godon.
C'est là qu'Adèle Hugo et son mari furent invités en 1848 par Madame Hamelin femme d'esprit au charme frondeur, surnommée "le plus grand polisson de Paris" à vivre au 1er étage dans un grand appartement aux larges fenêtres.
Pendant trois ans, cet appartement accueillit, chez le poète, des soirées poétiques et musicales où se rencontraient nombre d'écrivains et de musiciens qui comptaient à l'époque.
Hugo en 1848
Ce salon brillant cessa avec le coup d'état de Napoléon III et l'exil de Hugo qui ne reviendra qu'après la chute de l'Empire pour habiter, non loin de là, 66 rue de La Rochefoucauld.
Le 44
Pas possible de visiter une rue de ces quartiers sans retrouver la Commune. Au 44 a vécu Charles Mayer, colonel de la Commune qui fut condamné à mort avant que sa peine ne fût commuée en déportation en Nouvelle Calédonie.
Charles Mayer place Vendôme
Amnistié en 1880, il publia ses souvenirs et raconta notamment la destruction de la colonne de la place Vendôme dont la responsabilité fut attribuée à Courbet qui se ruina à payer sa restauration.
Le 43
Au 43, ancien 45 il faut imaginer un hôtel particulier qui irait jusqu'à la rue des Martyrs. Il s'agit de l'ancien hôtel de Lesdiguières qui abrita un cabaret ouvrant sur des jardins : le Carillon.
Un des évènements qui marqua ce lieu fut la première donnée par Chopin, en 1839, de sa célèbre marche funèbre!
C'est pour les soirées dans les jardins du Carillon que Courteline écrivit quelques unes de ses pièces en un acte et c'est là qu'Henry Dreyfus (qui deviendra Fursy) galvanisait son public avec ses "chansons rosses"
48 rue de la Tour d'Auvergne et en face l'ancien hôtel du Carillon.
Le 48 a servi de cachette à Raymond Callemin, dit Raymond la Science, de la Bande à Bonnot. Il y fut arrêté en avril 1912 et guillotiné un an plus tard, en avril 1913.
Lors de son arrestation, il aurait dit aux policiers : "Vous faites une bonne affaire! Ma tête vaut 100 000 francs, chacune des vôtres sept centimes et demi. Oui c'est le prix exact d'une balle de Browning."
Le 50
Au 50 une photo d'un ancien commerce "immortalise" la jolie propriétaire qui vendait des objets d'occasion et se spécialisait dans le "rachat de garde-robes"! Aujourd'hui, la boutique a des couleurs de ciel et personne ne nous sourit sur son seuil!
C'est là que nous quittons la rue de la Tour d'Auvergne...
... Une rue de Paris qui cache derrière ses façades parfois monotones tout un monde d'esprit, de culture, de couleurs, de rencontres, de luttes et de misères qui donne à notre ville son incroyable profondeur et son enracinement dans un passé qui ne cesse d'irriguer le présent.