C'est un des endroits de Paris qui a retrouvé son charme depuis que la place a été agrandie avec la disparition d'une voie le long des immeubles qui ne laissait aux piétons qu'un terre-plein triangulaire, une île entre les voitures!
Partout où l'on rend la ville aux piétons, la vie revient avec l'envie de flâner ….
Comme la rue de Navarin, la rue Henry Monnier et la rue Clauzel qui l'encadrent, la place date de l'époque romantique, 1830, quand le "Sieur Bréda" obtint la permission de lotir les terrains qu'il possédait. La place s'appela alors Place Bréda.
En 1905, elle "disparut" pour faire partie de la rue Henry Monnier. Ce n'est qu'en 1954 qu'elle redevint "place" et qu'elle prit le nom de Gustave Toudouze.
Gustave Toudouze
Le prénom "Gustave" a été précisé afin d'éviter la confusion avec un autre Toudouze, Georges, fils du premier, écrivain lui aussi qui a mis de la Bretagne dans de nombreux romans et qui était atteint de bretonite aigue, au point de militer dans le "Framm Ketiek Breizh" mouvement indépendantiste soutenu pendant la guerre par les nazis.
Maison des Goncourt à Auteuil.
Gustave, lui, était très parisien; il avait pour amis Zola et Alexandre Dumas fils et il était assidu aux "dimanches" de Flaubert comme il aimait participer au "grenier" des frères Goncourt après qu'ils eurent quitté la rue Saint-Georges voisine pour s'installer à Auteuil. On sait que dans ce "grenier" aménagé pour recevoir les amis écrivains, est née la future Académie qui porte leur nom.
Camaret. Quai Gustave Toudouze.
… Gustave quittait parfois Paris pour passer des vacances à Camaret, charmant port de pêche dont le curé est resté fort célèbre .
La numérotation de la place comptait 4 numéros, du 2 au 8. On constate qu'elle s'est inversée, le 8 faisant aujourd'hui partie du 2 comme on peut le voir sur cette photo de bougnat. Le commerce faisait transition sur un pan coupé, entre la rue Clauzel et la place.
Aujourd'hui, le no stress l'a remplacé et a effacé le petit Africain de ses panneaux qui n'est pas sans rappeler le "Y'a bon Banania" de la publicité de l'époque.
Le 2.
Le 4, seul immeuble classé, représentatif de la belle architecture de la première moitié du XIXème siècle (1839) est aussi le seul à nous raconter une histoire.
Celle des 400 coups, le film de Truffaut où le jeune Antoine vit chez sa mère et son beau père dans cet immeuble.
Les liens de Truffaut avec le quartier sont étroits. Il passa une partie de sa jeunesse, à 50 mètres de la place, 33 rue de Navarin.
33 rue de Navarin
Ses grands- parents Jean et Geneviève de Montferrand habitaient rue Henry Monnier… au 21
21 rue Henry Monnier
Le jeune Antoine (Léaud) et sa mère (Claire Maurier). Les 400 coups.
Le dernier immeuble qui a pour adresse la place Toudouze est le 6.
Il n'y a, du 2 au 6 que des restaurants adaptés à ce quartier recherché pour son image culturelle et branchée…
Il convient de mentionner la fontaine Wallace et son filet d'eau fraîche qui coule entre les cariatides de bronze. On sait que ces fontaines sont un don de Richard Wallace, Anglais amoureux de Paris, horrifié par la condition des habitants de Montmartre privés d'eau pendant le siège de Paris et la Commune.
Richard Wallace en fontaine. Caricature de Lafosse.
D'autres enfants jouent sur la place comme le fit sans doute le jeune François Truffaut. Souhaitons qu'il y ait parmi eux un futur cinéaste de son acabit!
Le montmartrois que je suis ne peut ignorer ce peintre orientaliste (1840-1887) qui est enterré au cimetière de Montmartre et dont la tombe s'orne d'une belle statue de Louis Barrias qui s'inspire de ses tableaux de fileuses.
Guillaumet découvre l'Algérie par hasard et non par désir de connaître cette terre colonisée brutalement. Il est aussitôt séduit par la beauté du pays et surtout par la simplicité et l'authenticité de ses habitants.
Campement dans la forêt de cèdres de Teniet el Had dans le massif de l'Ouarsenis
On peut dire qu'il lui consacre toute sa vie de peintre. S'il a un atelier à Sèvres (puis Cité Pigalle) et un appartement dans le quartier de la Nouvelle Athènes au pied de la Butte, c'est à l'Algérie qu'il pense en terminant les tableaux esquissés pendant ses voyages. Pas moins de dix longs séjours pendant sa courte vie d'artiste!
Portrait d'homme
Les villes de la colonisation ne l'intéressent pas et s'il a besoin d'être protégé lors de ses périples, c'est avec regret. La seule fois où il assiste à une razzia, expédition punitive, il est bouleversé.
Aveugle mendiant
Il s'attache d'abord à l'Oranie avant de descendre vers le sud, le désert, les oasis. A la fin de sa courte carrière, il ne peindra que le sud où il trouve une réponse à ses questions existentielles.
La veillée (1866).
Il ne représente pas les troupes françaises qui l'escortent. Il préfère montrer les Algériens faisant partie des unités supplétives. Le paysage nocturne est quasi onirique et empreint d'une atmosphère quasi mystique.
Campement d'un goum à la frontière du Maroc (1869)
Même atmosphère avec ce bivouac dans ce paysage qu'affectionne Guillaumet sous un ciel gris où semble planer une sourde menace.
(Le Goum est une unité de combattants marocains faisant partie des troupes supplétives.)
Le Labour (1869)
Toile qui montre la pauvreté des paysans, la femme conduisant l'attelage, un bébé sur le dos. Ce n'est pas une représentation pittoresque mais au contraire une "rencontre" en sympathie avec de simples gens du peuple qui peinent pour survivre.
Une fois encore la dimension contrastée avec cette ligne de fuite et ce ciel tourmenté participent au romantisme (réalité tragique de la destinée humaine) de l'œuvre.
Le Labour (1882)
Il est intéressant de retrouver une scène de labour peinte plusieurs années plus tard. L'aspect tragique, à la Delacroix, a disparu. Le ciel s'est apaisé et le soleil couchant éclaire d'une lumière dorée l'homme au travail.
La brochure de l'exposition compare cette métamorphose à celle que l'on retrouve chez Millet dont les paysans sont sublimés.
La Famine (1869)
C'est un des rares tableaux historiques de Guillaumet. La famine régnait en Algérie, aggravée par des épidémies peut-être liées à l'arrivée des occidentaux et par le manque de réserves de céréales. Entre 1866 et 1869, elle va faire des ravages et on estime qu'un tiers de la population fut décimée.
Le tableau est une violente critique envoyée à la face de ceux qui affirmaient que la conquête était une œuvre émancipatrice et ne voulaient voir que "l'Algérie heureuse". Elle déplut au public et fut critiquée sans mesure. Guillaumet abandonnera dès lors les représentations historiques comme il se libérera de l'influence trop manifeste de Delacroix (on pense ici aux Massacres de Scio).
Détails de Guillaumet et de Delacroix (en-dessous)
D'autres tableaux évoquent la rudesse de l'existence et la misère d'une façon plus symbolique.
Comme ce désert avec une charogne au premier plan, peint en 1868 pendant la famine. Au loin apparaît comme un mirage une oasis ou une caravane, perdue dans l'immensité incandescente.
Peint quinze ans plus tard, avec pour décor les falaises des grottes d'El Kantara, le cheval blanc dévoré par les chiens, est comme une allégorie du pays. Le cheval fier a tenté de lutter et puis il est tombé, épuisé. Guillaumet raconte cette agonie dans son texte "Une razzia dans le djebel Nador".
Le peintre ayant besoin pour voyager d'une protection militaire aura l'occasion de visiter des lieux habités par les supplétifs, c'est à dire les populations qui se sont ralliées à la France.
Il visite des villages de spahis et a l'occasion d'y peindre des femmes.
La source du figuier à Aïn Kerma, smala de Tiaret.
Scène paisible qui évoque un paysage biblique. L'ombre y protège les villageois de la chaleur qui règne dans l'azur du ciel et la blancheur aveuglante des murs. Les femmes se penchent vers la source dont on imagine la fraîcheur...
Marché arabe dans la plaine de Tocria (1865)
Ici Guillaumet joue avec les couleurs ocres et les blancs pour donner cette impression de vie dans un décor immuable. Il aime peindre les populations nomades qui continuent de vivre comme elles l'ont toujours fait.
Guerriers arabes au repos (1886)
Etude pour un grand tableau représentant une noce arabe qui ne sera jamais peint, interrompu par la mort de Guillaumet.
Bivouac des chameliers (1875)
L'inspecteur des moissons (non daté)
Tisseuses à Bou Saâda
Dans les villages, le peintre peut entrer dans les maisons, occasion pour lui de montrer la pauvreté certes, mais surtout la dignité des femmes qui travaillent. Les femmes qu'il peint n'ont rien à voir avec celles de Delacroix qui sont telles que les imaginent les occidentaux, plus proches de courtisanes que de paysannes.
Scène de gourbi à Biskra (1882)
C'est au cours des derniers voyages qu'il entre ainsi dans l'intimité de ces maisons de terre.
Fileuse (1874)
Il s'agit d'une étude pour un tableau plus important représentant une famille arabe nomade sous une tente. Les fileuses de Guillaumet auront l'heur de plaire et c'est à l'une d'elles que Louis Barrias confiera de jeter des fleurs sur la tombe du peintre au cimetière Montmartre.
La nativité de Bou Saâda.
Une des plus étonnantes scènes d'intérieur nous donne à voir une nativité. Nous sommes ici devant le mystère de l'interprétation que nous nous faisons des autres cultures. "On se figure parfois entrer dans une étable" écrit Guillaumet.
Le chrétien qu'il est voit dans la pauvreté et la simplicité une image qui le renvoie à sa foi. De nos jours, il s'expose à la critique de ceux qui considéreraient cette "interprétation" comme non respectueuse de la foi des indigènes. L'interprétation des œuvres peut ainsi changer avec le temps alors que dans ce cas précis on ne peut soupçonner Guillaumet de quelque sentiment de supériorité… Au contraire.
Laghouat (1879)
C'est peut-être la plus belle œuvre de l'exposition. Elle est l'aboutissement des tentatives du peintre pour rendre la lumière du sud, si difficile à saisir. Ici hommes et paysages sont liés comme embarqués sur le pont d'un immense navire qui naviguerait sur les sables. A la proue apparaît un minaret. Les habitants sont paisibles dans le soir qui tombe et apporte un peu de fraîcheur. Ils semblent être là depuis des siècles.
On voit ici tout ce qu'une grande œuvre peut suggérer. Elle s'inscrit dans une lignée de peintres qui saisissent la magie surréelle de l'univers. On pense à certains Dali et surtout à Chirico. Mais chez Chirico, c'est l'architecture qui semble l'emporter et éliminer les vivants. Ici tout le monde est embarqué dans le même mystère
La toile eut un grand succès et fut tout de suite considérée comme un chef d'œuvre..
Autre chef d'œuvre: La Séguia, près de Biskra (1885)
Le tableau est peint deux ans avant la mort de Guillaumet. Il est l'image même qu'emporte avec lui le peintre de ce pays. La paix, la beauté des habitants et particulièrement des femmes. L'eau, les murs de terre, le ciel se partagent sans se heurter l'espace. Vision idéale d'un monde antique et pourtant actuel.
D'autres œuvres nous montrent ces paysages du sud avec des laveuses.
L'oued à Bou Saâda. Trois laveuses.
Laveuses dans l'oued de Bou Saâda. 1882
Jeunes filles dans l'oued de Bou Saâda. 1882
L'oued Mzi, Laghouat.
Mais je termine aves deux de mes tableaux préférés : l'oued de Mzi avec ce paysage épuré, en lignes de fuite vers un horizon vers lequel se tournent les deux silhouettes… Le symbolisme est présent dans cette œuvre du silence ainsi que l'épure et la simplification quasi abstraite. La touche picturale y est déjà impressionniste.
Femmes dans une oasis.
Comme dans ce dernier tableau des femmes dans une oasis. L'eau est miroir où se reflète l'argent du ciel gris. Le silence, la paix du soir envahissent le paysage. Tous les détails ont disparu. Ces femmes sont là, immuables et fragiles dans un monde sans brutalité.
Elles sont ce pays qu'aime Guillaumet et dont il emporte l'image dans son dernier voyage lorsqu'il meurt en 1887.
Cette belle exposition est présentée au musée des Beaux Arts de La Rochelle jusqu'au 17 septembre 2018. Elle le sera ensuite au musée des Beaux Arts de Limoges du 19 octobre au 4 février 2019, puis à la Piscine-musée d'Art et d'industrie André Diligent de Roubaix du 8 mars au 2 juin 2019.
Nous retrouvons ici un riche propriétaire dont nous avons déjà cité le nom, le sieur Bréda qui possédait les terrains où sont construites les actuelles rue Clauzel et Henry-Monnier, reliées par la place Toudouze.
La rue prise de la rue Massé
La même aujourd'hui
En 1830 notre homme retira une somme considérable du lotissement de son terrain et non content de la bonne opération financière, voulut que son nom fût immortalisé en rue Bréda, place Bréda et rue Neuve Bréda!
Rue Monnier, à droite la rue Clauzel et la place Toudouze (anciennes rue Neuve Bréda et place Bréda)
Cette immortalité fut provisoire puisque la rue Neuve Bréda devint Clauzel en 1864, la place Bréda devint Toudouze en 1954 et la rue Bréda devint Henri Monnier en 1905 puis Henry Monnier avec un "y" en 2003.
Henry Bonaventure Monnier
Henry Monnier (1799-1877) est un caricaturiste et illustrateur qui marqua son époque en dessinant pour les plus grands écrivains, notamment Balzac, et en créant un personnage qui n'a pas fini d'être actuel : Mr Prud'homme.
Mr Prud'homme peint par Henry Monnier
Mr Prud'homme! Un gros bonhomme bourgeois, aisé, sûr de lui, conformiste et pour tout dire stupide, de cette stupidité vaniteuse et satisfaite. Je ne sais pourquoi je pense à Trump, Mr Prud'homme américain, désarmant de certitudes qui vient de déclarer que pour éviter les incendies monstrueux de Californie, qui selon lui n'étaient pas dus à un réchauffement climatique bidon, il fallait déforester!
Balzac dit de ce personnage qu'il est "l'illustre type des bourgeois de Paris".
Monnier (et non Prud'homme) a servi de modèle à l'auteur de la Comédie Humaine pour un personnage récurrent, Jean-Jacques Bixiou qui fait sa première apparition dans "les Employés". Il est dépeint avec sympathie comme un fonctionnaire caricaturiste, amateur de bons mots.
"Bixiou croquait la femme appuyée sur un parapluie". (Un Ménage de Garçons. Balzac) dessin de Monnier.
Notons que Monnier a influencé de nombreux créateurs. Il suffit de citer Sacha Guitry et sa pièce : "Mr Prud'homme a t-il vécu?" ou Franquin, le créateur de Gaston Lagaffe, qui donne au maire de Champignac les traits de Mr Prud'homme.
Quelques citations de Monnier-Prud'homme que Coluche aurait pu revendiquer :
"C'est mon opinion et je la partage."
""Je ne connais pas d'endroits où il se passe plus de choses que dans le monde."
"La mer : une telle quantité d'eau frise le ridicule… et encore on n'en voit que le dessus."
"La nature est prévoyante, elle a fait pousser la pomme en Normandie, sachant que c'est dans cette région qu'on boit le plus de cidre."
"Je l'ai toujours dit, les hommes sont égaux. Il n'y a de véritable distinction que la différence qui peut exister entre eux."
Le 2.
Le 2 est un des plus anciens immeubles et date du début du lotissement. C'est là que vécut la poétesse, la grande amoureuse Louise Colet (1810-1876).
Louise Colet (Courbet)
Reconnue en son temps puisqu'elle reçut plusieurs fois le prix de l'Académie, elle tenait un salon littéraire fréquenté par quelques uns des plus grands écrivains de la première moitié du XIXème siècle : Victor Hugo, Vigny, Musset, Baudelaire.
On lui prête beaucoup d'amants parmi cette élite des lettres. Ce qui est sûr c'est que sa fille Henriette n'a pas eu de père officiel puisque le mari de Louise ne l'a pas reconnu, pas plus que son amant Victor Cousin.
Victor Cousin
Parmi ses amoureux les plus célèbres figure le jeune Flaubert qui est en train d'écrire l'Education Sentimentale et dont on peut lire les lettres, nombreuses qu'il écrivit à son amante :
"Ne m'aime pas tant, ne m'aime pas tant, tu me fais mal! Laisse-moi t'aimer, moi; tu ne sais donc pas qu'aimer trop, ça porte malheur à tous deux; c'est comme les enfants que l'on a trop caressés étant petits, ils meurent jeunes; La vie n'est pas faite pour cela; le bonheur est une monstruosité! Punis sont ceux qui le cherchent."(8 août 1846)
C'est dans l'atelier de Pradier non loin de chez elle, rue Bréda qu'elle a fait sa rencontre.
Après la fin de leur liaison, il ne fut pas très gentleman et dit beaucoup de mal des "qualités" littéraires de celle qu'il avait encensée du temps de ses jeunes amours.
Louise Colet (Pradier)
Celle qui reçut au contraire des compliments du premier des poètes, Victor Hugo, eut des années difficiles et fut heureusement aidée par Victor Cousin. Aujourd'hui, après des décennies pendant lesquelles elle fut ignorée, elle connaît un renouveau avec la réédition de certains de ses romans et recueils.
Elle ne devrait plus être oubliée dans les anthologies de la poésie romantique.
"Qui n'a pas un amour sans limites n'aime point" (Lui 1859)
………….
"Ton amour m'a donné comme un second baptême. Ton amour c'est ma foi." (Corinne et Oswald 1829)
…………..
"Le malheur m'a jeté son souffle desséchant
De mes doux sentiments la source s'est tarie
Et mon âme incomprise avant l'heure flétrie
En perdant tout espoir perd tout penser touchant."
Le 3. Bel immeuble 1830
Le 4
Le 4 fut en son temps une adresse bien connue et très fréquentée. C'était le bordel de Louise Brémont dont un des visiteurs les plus illustres fut Emile Zola.
En tout bien tout honneur pourrait-on dire puisque le romancier qui avait besoin de documentation sur le fonctionnement d'une maison close avait jeté son dévolu sur celle-là, dans la quartier que sa Nana sillonne le soir venu..
7
9
Le 16
Le 16 fut l'adresse d'un restaurant qui avait ses fidèles parmi lesquels Henry Monnier lui-même, Nadar, Mürger, Baudelaire qui habitait le quartier et venait souvent accompagné de Jeanne Duval.
Jeanne Duval (Manet)
Le restaurant était minuscule et dans son unique pièce tendue de papier rouge velouté recevait une douzaine de personnes autour d'une table unique en fer à cheval où l'on servait une excellente cuisine traditionnelle concoctée par la mère Dinochau.
Les Goncourt
Les Goncourt, toujours vipérins, décrivent les propriétaires : " Le père Dinochau un vieil abruti, la mère Dinochau qui avait de gros yeux saillants comme des tampons de locomotive et le fils devenu célèbre plus tard en voyoucrate intelligent".
Le 20
Le 21
Le 21 est un opulent immeuble construit en 1907 par les architectes Guyon et fils et orné de sculptures réalisées par Ardouin. Malgré son harmonie et le sourire des visages de pierre, il écrase un peu les immeubles plus modestes de la première moitié du XIXème siècle.
Il a été édifié à l'emplacement du premier immeuble qui abritait l'externat de Perot, instituteur socialiste qui habitait à la même adresse et qui reçut Gustave Lefrançais et Pauline Roland avec lesquels il créa l'Association fraternelle des instituteurs socialistes.
On est étonné en lisant aujourd'hui le programme d'enseignement rédigé par Pérot de constater à quel point il était moderne et respectait les enfants. Pauline Roland bien sûr y avait contribué et en féministe convaincue, insisté sur l'importance de l'égalité des sexes et la mise en cause des clichés et des habitudes culturelles concernant les genres.
Gustave Lefrançais sera un des acteurs de la Commune, ce qui ne sera pas le cas de Pauline Roland, morte trop tôt, en 1851, après un emprisonnement et un exil dans la prison de Bône (Algérie) qui mina sa santé.
Pauline Roland
Victor Hugo lui a consacré un des beaux poèmes des Châtiments, écrit à Jersey :
"Elle ne connaissait ni l'orgueil ni la haine
Elle aimait, elle était pauvre, simple et sereine."
(…) Tendre, elle visitait, sous leur toit de misère,
Tous ceux que la famine ou la douleur abat,
Les malades pensifs, gisant sur leur grabat,
La mansarde où languit l'indigence morose;
Quand par hasard, moins pauvre, elle avait quelque chose,
Elle le partageait à tous comme une sœur;
Quand elle n'avait rien, elle donnait son coeur." (…)
Toujours au 21, vivaient les grands-parents de François Truffaut, Jean et Geneviève de Monferrand. On sait que le jeune François vint au monde (1932) après la grossesse cachée de sa mère et qu'il fut d'abord confié à une nourrice avant de vivre chez ses grands parents jusqu'en 1942, année de la mort de sa grand-mère.
Antoine Doisnel entre rue Monnier et place Toudouze.
Ce quartier est vraiment celui du réalisateur puisque c'est l'école de la rue Clauzel qu'il fréquenta, c'est, après la rue Monnier, rue de Navarin qu'il habita, chez sa mère et son père adoptif, c'est au collège Rollin (Jacques Decour) qu'il fut élève …. et ce sont ces lieux et ces rues qu'il filma dans les 400 coups, Antoine Doisnel habitant place Toudouze, à quelques dizaines de mètres de la rue Monnier et de la rue de Navarin!
Le 25
Le bel immeuble restauration du 25 a été détruit et à sa place a été édifié le jumeau somptueux du 21, dû aux architectes Guyon et fils et au statuaire Ardouin.
Dans l'immeuble d'origine vécut une grande amoureuse des femmes qui pourtant suscita bien des émotions chez les mâles.
Elle est la femme nue du déjeuner sur l'herbe de Manet, elle est l'Olympia étendue sur son sofa...
Le déjeuner sur l'herbe
Olympia
Victorine Meurent (1844-1921) qui posa pour Degas et Stevens, fut le modèle favori de Manet pendant presque dix ans. Parmi les chefs d'œuvre qui la représentent, outre les toiles déjà nommées, on peut citer la femme au perroquet, portrait en pied à la fois sensuel et hiératique, l'Espada,le Chemin de fer...
Avant d'aller habiter avec son amie Marie Dufour à Colombes, elle voulut peindre à son tour et obtint un certain succès.
La femme au perroquet
Le 28
Au 28 se trouvait l'atelier de Jules Dupré (1821-1889), peintre de l'école de Barbizon qui en fut l'un des chefs de file et qui partageait avec Théodore Rousseau une grande amitié faite de beau fixe et de tempêtes.
Il donna à ses paysages et à ses marines un relief sombre, quelque chose de tourmenté et pour tout dire romantique. Son admiration pour Courbet qui fit son portrait se ressent dans ses toiles.
Jules Dupré (Courbet)
Van Gogh qui le cite plus de dix fois dans ses lettres à Théo le tenait en grande estime et le considérait comme le grand peintre romantique français.
Son premier atelier se situait rue Frochot avant de migrer deux cents mètres plus bas, 28 rue Bréda (Henry Monnier). Il le quitta pour s'installer dans sa ville natale de l'Isle Adam.
Le 30
Un compositeur basque espagnol vécut de 1855 à 1857 dans cet immeuble. Son nom Sebastian Iradier n'est peut-être pas connu de tous mais deux de ses œuvres le sont assurément!
Il s'agit de "La Paloma", un des plus grands tubes internationaux et bien que la paternité ne lui en fût pas attribuée, de la habanera de Carmen : "l'amour est un oiseau rebelle"!
Bizet lorsqu'il reprit cet air au premier acte de son opéra était persuadé qu'il ne pillait personne et reprenait une très ancienne chanson folklorique. En réalité, il s'agissait de "El Arreglito", chanté en 1863 au théâtre italien de Paris et composé par Iradier. C'est aujourd'hui un air mondialement connu.
Le 34
La rue se termine en apothéose avec le magnifiques immeuble du 34 dont l'entrée principale est 27 rue Victor Massé et qui est classé comme ses voisins du 23 et 25.
Ils ont été construits par Davrange et Durupt entre 1847 et 1850 dans le style Louis-Philippe néo Renaissance. Ils sont parmi les plus "souriants", les plus mélodieux du quartier...
Au 34 le peintre Théodore Chassériau (1819-1856) eut un atelier dans les dernières années de sa vie qui fut courte.
Autoportrait
Il habitait alors rue Fléchier, un peu plus bas, dans un immeuble qui donnait sur l'église Notre-Dame de Lorette.
Alice Ozy (Chassériau)
Il eut pour maîtresse Alice Ozy, célèbre comédienne qui fut courtisée en vain par Victor Hugo à qui pourtant peu de femmes résistaient. Le poète en garda un fort ressentiment envers son rival heureux.
Les deux soeurs (Chassériau 1843)
Odalisque couchée (Chassériau)
Chassériau dont le maître, Ingres, disait qu'il serait "le Napoléon de la peinture" est influencé pour la forme par son professeur et pour la tonalité intense et contrastée par Delacroix. On peut dire qu'il est un romantique classique!
Hero et Léandre (la Poésie et la Sirène)
C'est avec lui que nous quittons cette courte rue qui n'en finit pas de nous raconter des histoires de poésie, de peinture, d'amour, d'utopie, dans un quartier qui fut une pépinière de création et de rêve.
C'est une courte rue étroite (100 mètres de long et 12 de large qui va de la rue Duperré au boulevard de Clichy.
Elle ne paie pas de mine et pourtant comme tant de rues parisiennes, elle nous réserve bien des surprises.
Elle a été ouverte en 1850 et portait à son baptême le nom de rue Neuve Fontaine Saint Georges. Un nom un peu longuet qui se simplifia en Neuve Fontaine.
Eugène Fromentin. Autoportrait.
En 1870, elle cessa d'être Neuve-Fontaine pour rendre hommage au peintre-écrivain Eugène Fromentin.
Je connais cet artiste pour avoir vu le monument à sa gloire érigé au centre de la Rochelle (sa ville natale) et le musée qui présente une trentaine de toiles peintes en Algérie, pays qu'il aima et dont il admira les fiers cavaliers.
Le Simoun (Fromentin)
La rue commence au 1 avec une façade du somptueux Hôtel Halévy dont l'entrée se situe rue de Douai.
L'immeuble a été construit sous le 2nd Empire pour la famille Halévy.
Parmi ses plus célèbres occupants figure Georges Bizet qui s'y installa après son mariage avec Geneviève Halévy en 1869.
Il y travaille à la composition de Carmen. Il y accueille aussi la naissance de son fils, Jacques qui sera le grand ami de Proust
Jacques Bizet par Elie Delaunay 1878
Il meurt d'un infarctus en 1875, après les représentations catastrophiques de son œuvre, atteint par l'échec de cet opéra qui est aujourd'hui le plus représenté dans le monde!
Le 5 est aujourd'hui l'atelier d'arts plastiques Rrose Sélavy. Pas étonnant qu'il s'appelle ainsi puisque c'est là que le créateur de ce personnage, Marcel Duchamp eut son atelier.
Marcel Duchamp en Rrose Sélavy par Man Ray
Ce nom avec lequel il signa certaines de ses œuvres, notamment des "ready-made" a pour homophone, sa signification réelle : "Eros c'est la vie".
On sait l'importance que le nom de Rrose Sélavy eut chez les surréalistes et les dadaïstes, Desnos le reprenant à son compte.
Desnos par Man Ray
Au 7, vécut pendant deux années, de 1899 à 1900, Maurice Ravel adolescent. Il connaissait déjà le 9ème arrondissement puisque sa famille avait habité six ans rue Victor Massé, l'ancienne rue du Chat Noir.
Le 8 vit pendant quelques années s'ouvrir les portes d'un cabaret, le Monte Cristo qui abrita les rendez-vous clandestins des membres du groupe de résistants l'OCM (Organisation Civile et Militaire) dirigée par Jacques Arthuys et dont Vicky (la princesse russe Véra Obolensky) fut une des figures les plus héroïques. La plupart des membres de ce groupe furent arrêtés et exécutés. Vicky fut guillotinée en 1943 dans les prisons nazies.
Véra Obolensky (Vicky)
Au 10, il y eut le laboratoire pharmaceutique "Scientia" dirigé par un certain Perraudin, pharmacien de 1ère classe!
Le 11 fut fréquenté par de joyeux noctambules au temps où il était cabaret et s'appelait "le Don Juan"! Nous sommes à deux pas de la place Blanche où l'on ne compte plus le nombre de cabarets qui apparurent, disparurent, ressuscitèrent, moururent à nouveau… comme autant de phénix!
Le Don Juan naquit en 1891 et devint très vite un des hauts lieux où l'on vénérait la Fée Verte, quitte à lui offrir en sacrifice son foie, son cerveau et sa raison! L'absinthe y était dégustée selon le rituel immuable avec cuillère-passoire et sucre.
L'absinthe (Degas)
Le cabaret garda la même adresse après la destruction du premier immeuble et l'érection (terme adapté au Don Juan!) du nouvel immeuble des années 30.
Aujourd'hui l'hôtel Royal Fromentin garde mémoire du cabaret dont il a conservé le grand salon avec ses poutres et sa cheminée.
Le 12 malgré son apparence bourgeoise a abrité dans ses murs un auteur prolifique de pièces sanglantes et terrifiantes : André de Lorde.
Ce bibliothécaire débonnaire se transformait quand il rentrait chez lui en écrivain à l'esprit torturé. Il a écrit 150 pièces pour le Grand Guignol, théâtre voisin, rue Chaptal.
Le 14 est le dernier immeuble qui ait quelque chose à nous raconter. C'est là que le peintre Giuseppe Palizzi (1812-1888) eut son premier atelier parisien.
Forêt de Fontainebleau (Palizzi)
Ce romantique qui aimait les paysages napolitains, vint à Paris où il fréquenta Corot et Courbet. Il avait besoin de grand air et de nature et il fut un des premiers à apprécier la forêt de Fontainebleau et à s'y rendre avec Millet.
Retour de noce. (Palizzi)
Il s'installa à Grez sur loing et se fit construire une maison, "la villa Palizzi". Il ne fréquenta donc la rue Fromentin que quelques années, à l'époque où elle s'appelait Neuve-Fontaine.
C'est avec lui que l'on surnomma parfois le "peintre des ânes et des chèvres" tant il aimait les représenter, que nous quittons la rue Fromentin, peintre des chevaux arabes….
Mais avant d'atteindre le boulevard de Clichy, nous passons entre les deux derniers immeubles : un Sex Shop et Jésus Maria!
Rue Clauzel (1902) début à partir de la rue des Martyrs.
Rue Clauzel (juin 2018)
...La rue Clauzel, comme les rues de Navarin et Henry Monnier voisines, a été tracée en 1830 sur les terrains qui appartenaient au "sieur Bréda".
Elle s'appelait à l'origine rue Neuve Bréda.
Rue Clauzel. Fin. Rue Henry Monnier et place Toudouze (à gauche)
Longue de 184 mètre et large de 9,75, elle change de nom en 1864 pour rendre hommage à un chef de guerre, le maréchal de France Bertrand Clauzel.
Bertrand (de) Clauzel.
Ce guerrier qui vécut de 1772 à 1842 a eu une carrière qui l'a mené de la Révolution à l'Empire en passant par Napoléon et Louis Philippe! De campagne d'Italie, en expédition de Saint-Domingue et en conquête de l'Algérie, il est de toutes les guerres coloniales. Il s'illustre au point d'être anobli par Napoléon et d'être nommé Maréchal de France par Louis-Philippe.
3 rue Clauzel.
4 rue Clauzel. Un arbre! un arbre!
Dans la Nouvelle Athènes, on aimerait que les rues évoquent plutôt les peintres, les poètes, les philosophes qui ne manquaient pas dans ce quartier.
Le 6
Le 6 a été l'adresse de Léon Roger-Milès (1859-1928) professeur au collège Rollin (aujourd'hui Jacques Decour) et homme aux multiples talents : journaliste, poète, critique d'art, écrivain….
Salon de vente de Madeleine Chéruit, place Vendôme (Léon Roger-Milès)
Il s'est intéressé à Rosa Bonheur à qui il a consacré une étude, à Millet et à l'histoire de l'art.
C'est à la même adresse que vécurent, à partir de 1972, Jean Toussaint Desanti (1914-2002) et Dominique Desanti (1914-2011).
Ces deux figures marquantes de la résistance et de la vie intellectuelle ont comme Sartre et Beauvoir vécu leur vie commune dans le respect de la liberté de l'autre. Leur livre le plus émouvant et le plus éclairant est sans doute "la liberté nous aime encore" dialogues (à trois!) avec Michel Droit.
Le 7
Le magasins du 7, les P'tits Bo' Bo, est bien adapté à ce quartier aimé des jeunes cadres dynamiques et néanmoins cultivés ! La rue des Martyrs et la rue des Abbesses répondent à leurs goûts: commerces de bouche luxueux, salons de coiffure branchés, magasins bio, boutiques pour les enfants et restaurants exotiques.
L'architecte post haussmannien J. Biehler en est l'auteur comme de plusieurs autres immeubles un peu plus haut, rue Ordener ou rue des Cloys.
Le 7 bis
Le 7 bis
Le 7 bis est un bel immeuble aux proportions harmonieuses. Il a été transformé en résidence-autonomie, EHPAD sans le "D" de dépendance!
7ter rue Clauzel
Le 7ter, classé au plan de protection patrimoniale est un hôtel particulier construit en 1897 dans un style néo Renaissance. Il a été l'adresse pendant les quatorze dernières années de sa vie de François Châtelet (1925-1985) plus historien de la philosophie que philosophe lui-même. Il est connu aussi par sa femme, Noëlle, sœur de Lionel Jospin.
7ter rue Clauzel
On sait qu'il a été l'initiateur avec Deleuze et Foucault (qui fut élève de Desanti) du département de philo de l'Université de Vincennes.
Le 9
Au 9 a vécu un acteur à la filmographie impressionnante et à l'activité théâtrale foisonnante, parfaitement oublié aujourd'hui : Jules Mondos.
Voici la une de Comoedia du 24 septembre 1832 qui relate les circonstances de la découverte de son cadavre.
Documents transmis par M.B. alors que je ne trouvais rien sur cet acteur. Merci à lui !
L'acteur (1867-1932) qu'un critique vipérin surnomma "l'homme à la tête en caoutchouc" connut des difficultés après la première guerre pour trouver des engagements.
Ses dernières années furent difficiles et il ne survécut pauvrement que grâce à ses économies. Quand, n'ayant plus de nouvelles de lui depuis cinq mois, des parents (pas si proches j'imagine) prévinrent la police, la porte de son appartement 9 rue Clauzel fut forcée. On découvrit son corps en décomposition dans son lit où sans doute il avait été victime d'une crise cardiaque.
Parmi ses films, deux sont de Maurice Tourneur : Monsieur Lecoq et Maison de danse avec Charles Vanel et Gaby Morlay.
On rencontre, toujours à cette adresse un personnage qui a son importance dans l'aventure artistique du XIXème siècle, le Père Tanguy. Nous le retrouverons un peu plus loin dans la rue, au 14 mais, commençons par la fin, c'est en 1891 que sa boutique est transférée pour les trois dernières année de sa vie, au 9.
Père Tanguy (Emile Bernard. 1887)
Extrait du Mercure de France : "La maison Tanguy dépositaire des tableaux des principaux impressionnistes est transférée 9 rue Clauzel. Elle possède en ce moment une merveilleuse collection de toiles de Vincent Van Gogh (…"
Le 11
Le petit immeuble du 11 a été celui d'Alphonse Boudard (1925-2000), ancien résistant tombé dans la délinquance et qui grâce à la prison découvrit dans la bibliothèque de Fresnes, le goût de la littérature.
Il écrit dans un langage naturel, direct, sans fioritures, brut et souvent argotique. Son premier succès est "La métamorphose des cloportes" adapté au cinéma par Granier-Deferre.
Pour le plaisir quelques citations de Boudard qui ne sont pas exactement proustiennes mais sentent le vécu :
"Je pense qu'il faut se conduire en homme du monde avec les putes et en julot avec les bourgeoises"
"Un psychanalyste est un hommes qui va au Crazy Horse Saloon et qui regarde les spectateurs."
Au 14 nous retrouvons le Père Tanguy qui y eut sa boutique avant de déménager au 9. C'est un endroit historique dont l'importance n'est pas assez soulignée (sauf par le site de Bernard Vassor "Autour du Père Tanguy").
Tanguy, communard, anarchiste, ami des peintres recevait là quelques uns des plus importants créateurs de son époque. La liste est impressionnante : Van Gogh, Monet, Pissarro, Renoir!
Le père Tanguy par Van Gogh.
Il avait été broyeur de couleurs avant de s'installer à son compte pour les vendre et exposer dans son arrière boutique les toiles des peintres qu'il aimait et qui lui confiaient des toiles en espérant qu'elles trouverait acquéreurs.
Il avait, avant bien d'autres, aimé les peintres japonais dont il possédait des estampes qu'il présentait rue Clauzel...
Le 15
Le 16
Qui connaît aujourd'hui Arsène de Cey (1803-1887) romancier, auteur de vaudevilles qui vécut au 16. Parmi ses romans qui dépeignent les mœurs de son temps, on retiendra "La fille du curé" ou "La jolie fille de Paris".
Le 19
Il y eut longtemps une plaque commémorative sur l'immeuble du 19 qui prétendait que Maupassant y avait vécu pendant 5 ans.
Grâce à la perspicacité de Bernard Vassor (site Autour de Tanguy) on sait qu'il s'agissait d'une erreur.
Le 17
C'est au 17 que Maupassant vécut, au 2ème étage et demi côté rue Clauzel et, à cause de la déclivité, au 4ème sur la rue Laferrière, à l'arrière de l'immeuble.
Bernard Vassor a consulté les Archives et a eu confirmation de ce qu'il pressentait. Une lettre de Maupassant à un ami lui avait mis "la puce à l'oreille".
Maupassant
L'auteur de Bel Ami écrivait en effet qu'il était souvent importuné par des coups de sonnette intempestifs et insistants de gens qui croyant aller au Lupanar, se trompaient d'étage ! Or le lupanar avait pour adresse ce fameux 17!
Un seul regret: la plaque enlevée du 19 n'a pas migré sur le 17!
Amis de Maupassant, mobilisez-vous!
Si nous revenons au 19, nous trouvons un autre artiste que nulle plaque ne commémore. Il s'agit d'Achille Mélandri (1845-1905), lié à l'histoire montmartroise puisqu'il fit partie des hydropathes d'Emile Goudeau et publia plusieurs poèmes dans leur journal.
Photo de Melandri
Il avait son appartement et son atelier photographique au 19. C'était un lieu de rencontres et de joyeuses soirées avec, entre autres, André Gill et Jules Jouy.
Des gloires de l'époque venaient se faire tirer le portrait, parmi lesquelles Sarah Bernhardt ou Victor Hugo.
Sarah Bernhardt par Melandri
Nous pourrions quitter la rue sur ce beau cliché de la star posant pour l'éternité s'il n'y avait encore une curiosité à mentionner, dix numéros plus loin, au 29.
Le 29
Un peintre allemand bien oublié y habitait : A. F. Korner (1815-1859).
Son titre de gloire est d'avoir proposé à Engels lors de son séjour à Paris en 1846, alors qu'il était étroitement surveillé, de lui servir de boîte aux lettres. C'est donc au 29 qu'Engels recevait le courrier de Karl Marx!
Engels bien que pris en filature fréquentait les bals parisiens dont il garda un bon souvenir puisqu'il écrivit à Marx :
"Si les Françaises n'existaient pas, la vie ne vaudrait même pas la peine d'être vécue."
La lutte des classes oui, la lutte des genres non!
Chaque année, au troisième trimestre, peu avant les vacances, les écoliers de Montmartre investissent les escaliers avec des craies de toutes les couleurs. Chaque école réalise son projet de décoration avec plus ou moins de bonheur mais avec des rires et des sourires à foison!
Rue du Chevalier de La Barre
Rue Utrillo
Comme une nuée de moineaux, les petits s'envolent après avoir usé leurs craies. Ils rendent les escaliers aux passants dont les semelles peu à peu effacent les traces fragiles, aussi vulnérables que les irisations sur les ailes des papillons...
Rue du Mont-Cenis
Rue Foyatier
Rue Foyatier
Rue Chappe
Mont-Cenis
Chevalier de La Barre
Parmi ces artistes de craie, il y aura peut-être, un jour, un peintre, un chanteur, un poète... un de ces aventuriers qui sans être un premier de cordée, nous ouvrira des horizons nouveaux et mettra des couleurs sur les pavés!
Voilà une rue dont j'ai longtemps hésité à parler tant sont lourds les souvenirs qui m'y attachent. Le temps a passé et je me résous à y revenir et à la revoir, changée et semblable...
Elle a vu le jour en en 1830, en pleine époque romantique et elle porte le nom d'une victoire de la coalition franco-anglo-russe sur la flotte turco-égyptienne pendant la guerre d'indépendance grecque.
Les massacres perpétrés par les Ottomans, grands experts en boucherie et futurs génocidaires du peuple arménien avaient bouleversé l'Europe qui décida d'intervenir
Chios. Un lieu de mémoire que l'on n'oublie pas l'avoir visité.
Hugo qui habitera plus tard ce quartier avait écrit dans les Orientales quelques poèmes engagés dont le célèbre " Enfant ":
"Les Turcs ont passé par là. Tout est ruine et deuil.
Chio, l'île des vins, n'est plus qu'un sombre écueil (…)"
La rue commence côté pair avec un opulent immeuble de pierres qui donne également sur la rue des Martyrs, construit en 1903 et signé des architectes Elie Charlet et Henri Michel.
Le maître boulanger qui y fait son pain est tellement apprécié des habitants du quartier qu'il n'a aucun mal à les faire marcher à la baguette.
Le 3
Le 4. Une "dent creuse".
Au 4, une vieille photo garde mémoire du bougnat qui y tenait boutique.
Aujourd'hui le bougnat a cédé la place au restaurant "Belle Maison".
Le 5
Le 7 aujourd'hui
Le 7 en 1906
Le 7 a plus fière allure aujourd'hui qu'au début du XXème siècle mais il est resté comme à ses origines un hôtel. Il a seulement accroché quatre étoiles à son ciel.
Il rend hommage à Sacha Guitry et joue sur une décoration théâtrale qui vous donnera l'illusion, une fois couché, d'être regardé par des spectateurs attentifs, dans les loges et les balcons du papier peint !
Le 9
Le 9 est un petit hôtel particulier de style troubadour qui portait en façade, dans la niche, une statue de la Vierge à l'enfant. Quand l'hôtel fut racheté pour devenir une maison close spécialisée dans les pratiques sado-maso, les habitants du quartier pétitionnèrent pour que fût enlevée la Vierge. Elle le fut et disparut corps et âme. Nul ne sait ce qu'elle est devenue. A moins que… l'Assomption l'ait ravie comme son illustre modèle.
La dame de cérémonie s'appelait Christiane. Il y avait encore lorsque j'y ai vécu quelques chaînes et quelques instruments dentés fixés dans les murs du dernier étage.
Pendant la deuxième guerre, les nazis le fréquentèrent, ce qui n'étonnera personne, le sadisme étant leur spécialité!
Le 11
Le 11 est l'un des rares immeubles à être inscrit au PLU (plan local d'urbanisme). Il a abrité le peintre Hébert de 1850 à 1880. Les deux premiers étages servaient d'habitation et les étages supérieurs d'atelier.
Ernest Hébert. Autoportrait.
Ernest Hébert (1817-1908) est un grand peintre injustement oublié bien qu'il eût son musée à La Tronche et dans le VIème arrondissement, dans l'hôtel de Montmorency-Bours. Ce dernier est fermé car l'immeuble classé a la tremblote et nécessite des consolidations. Il dépend du musée d'Orsay, où par chance quelques toiles de Hébert peuvent être vues.
La malaria. Ernest Hébert. (musée d'Orsay)
Ce cousin de Stendhal, amoureux comme lui de l'Italie où il vécut après son prix de Rome, fut très apprécié pendant le 2nd Empire. On aimait alors ses portraits dont le réalisme se teintait souvent d'une atmosphère onirique qui permet d'y voir les prémices du symbolisme.
Le baiser de Judas. Hébert. Prêt du musée d'Orsay au musée de La Tronche.
L'immeuble sert de siège aujourd'hui au Conseil International de la Langue Française chargée de favoriser le rayonnement du français dans un monde presque entièrement contaminé par le globish!
Le 12
Le 12, petit immeuble anodin et sans charme a été le siège de nombreuses associations culturelles liées au Parti Communiste au temps où il existait vraiment!
Aragon
Parmi ces associations on peut retenir:
-la Maison de la Culture (1934) présidée par Aragon.
-"Ciné-Liberté" (Front Populaire) qui regroupait de nombreux techniciens et d'artistes engagés.
-L'Union des Théâtres indépendants" présidée par Charles Vildrac (plus de 300 troupes indépendantes).
Le 14
Le 14 (qui serait aujourd'hui les 18-20) fut le domicile d'un écrivain, homme d'esprit, utopiste et combattant pour la liberté de penser: Louis Desnoyers (1802-1869)
La plaque commémorative devrait être apposée sur l'immeuble de briques des PTT au 20. Mais puisqu'elle est là, rappelons qui est ce Desnoyers.
Ses romans pour la jeunesse eurent un grand succès mais c'est surtout pour son engagement dans la création de la Société des Gens de Lettres qu'il est aujourd'hui connu. C'est lui qui rédigea les statuts de cet organisme chargé de protéger les auteurs et de prévoir un fonds de solidarité.
Une plaque rappelle que furent approuvés les statuts de cette Société, par près de 50 écrivains dont Dumas, Hugo, Lamennais...
Desnoyers en fut élu Président, battant son concurrent Victor Hugo de huit voix.
Le 16
Au 16, Paul Vayson, peintre provençal qui se fit édifier un hôtel particulier en 1879 rue Fortuny, eut son atelier. Quand il était au travail, des bêlements devaient retentir dans la rue car on ne compte pas le nombre de toiles qu'il exécuta avec bergères, bergers, moutons, brebis, béliers, agneaux! Son monument à Avignon représente comme il se doit, une bergère et son troupeau!
Il a également participé au décor d'un des plus beaux restaurants de Paris, le Train Bleu de la Gare de Lyon où il a peint la ville d'Hyères.
Le 17
Le 17 fut jadis un hôtel dont les fenêtres donnaient sur le parc Botherel en face. Il portait le nom du grand collège de l'avenue Trudaine voisine, le collège Rollin aujourd'hui Jacques Decour.
Les 18-20
Les 18-20 (jadis le 14, l'immeuble du début de la rue, à l'angle avec la rue des Martyrs ayant fait disparaître deux numéros) sont un pesant ensemble dont la masse écrase la rue. Ils occupent pourtant ce qui était le plus bel endroit du quartier : l'hôtel Botherel et son parc .
L'endroit fut un vivier intellectuel et de nombreux écrivains ou artistes y vécurent. L'hôtel construit vers 1830 par le Baron Botherel, ami des arts et des lettres, eut pour habitants : Amédée Achard, Louis Desnoyers, Anaïs Fargueil, Théophile Gautier, Nerval, Auguste Vacquerie, Fortunata Tedesco…. et j'en oublie!
Le plus célèbre d'entre eux fut Théophile Gautier qui collectionna les adresses parisiennes. C'est pendant les années 1840-1841 qu'il prend possession des 1er et 2ème étages. En bon sportif, il aime grimper aux arbres, faire sa gymnastique dans le parc et dit-on pratiquer la pêche en faisant jeter chaque dimanche des poissons vivants dans le bassin. (information sur le site du Père Tanguy).
Théophile Gautier
Il héberga son ami, condisciple du lycée Charlemagne et ancien voisin de la rue du Doyenné, Gérard de Nerval qui commence en 1841 à fréquenter la maison de santé du Docteur Blanche rue Norvins.
Gérard de Nerval
Parmi les autres habitants :
Anaïs Fargueil (1819-1896) fut une comédienne qui eut un certain renom dans le théâtre de vaudeville.
Caricature d'Anaïs Fargueil par Marcelin
Auguste Vacquerie (1819-1895) poète et dramaturge qui eut des liens étroits avec Hugo. Cette amitié fut à l'origine de la rencontre de son frère Charles avec Léopoldine Hugo, de son mariage en 1843 et la fin tragique des deux époux.
Victor Hugo et auguste Vacquerie
Le 19
Le 22
Le 22 hébergea pendant la 2ème guerre mondiale la famille Aznavourian, Micha et Knar ainsi que leur fils et leur fille.
La mère d'Aznavour
Charles Aznavour évoquera ses souvenirs de la rue de Navarin :
"Au rez-de-chaussée vivait un couple d'homosexuels juifs. Ma sœur jouait des morceaux de musique juive pour eux."
La relation la plus marquante fut celle du père et de la mère d'Aznavour avec le couple Manouchian, Missak et Mélinée qu'ils hébergèrent. On sait que le groupe Manouchian fut exécuté et que la célèbre affiche rouge présenta ses membres comme des criminels et des étrangers.
Le 23
Le 23 est l'inévitable catastrophe architecturale que l'on trouve dans chaque rue (ou presque de Paris). Arrière d'un garage-parking du 20 rue Clauzel, il illustre bien l'indigence et le radinisme de constructions faites pour le profit et rien d'autre!
Le 24
Pour le 24, juste un petit signe à Etienne Daho qui, débarqué de sa Bretagne, y vécut à son arrivée à Paris. Notons qu'aujourd'hui il se partage entre Londres et Montmartre, rue Durantin.
Fin de la rue vers la rue Henry Monnier
Le 33
Le 33 est le dernier immeuble de la rue qui soit digne d'intérêt. Une plaque y est apposée qui rappelle qu'un des plus grands cinéastes français y vécut pendant son enfance…
On sait que le petit François était né sous de mauvais auspices, sa mère Janine l'ayant mis au monde "clandestinement" pour éviter la "honte" à sa famille bourgeoise de donner vie à un enfant dont le père était inconnu. Le petit fut placé en nourrice et il fallut attendre le mariage de sa mère avec Roland Truffaut pour qu'il retrouve une vie familiale.
Plus tard Truffaut recherchera l'identité de son père et découvrira qu'il s'agissait de Roland Lévy, un Juif qui du fait de son origine aurait été rejeté par une famille traditionnelle au catholicisme teinté d'antisémitisme.
Quand il tourne les 400 Coups, film en partie autobiographique Truffaut situe le logement de la famille du petit Antoine à deux pas de la rue de Navarin, place Toudouze.
On retrouve Montmartre à plusieurs reprises dans ses films. C'est rue de Steinkerque, au pied du Sacré-Coeur qu'habite Antoine Doinel, c'est à l'hôtel du 39 avenue Junot qu'il est veilleur de nuit dans Baisers Volés.
La rue de Navarin s'achève rue Henry Monnier (où vivaient les grands-parents de Truffaut). Le cinéaste a vécu des années difficiles dans ce quartier et il n'est pas étonnant qu'il ait pu écrire :
"L'adolescence ne laisse un bon souvenir qu'aux adultes ayant mauvaise mémoire"
Les touristes qui montent à l'assaut de la Butte par la rue Tholozé, avec en toile de fond le célébrissime moulin de la Galette, ne peuvent passer sans remarquer…. le Petit Moulin...
Minuscule, à l'angle de la rue Durantin, il semble sorti d'un livre de contes pour enfant ou d'une bande dessinée naïve...
Van Gogh
Il a choisi de rendre hommage à son illustre confrère de la Galette qui fut peint et repeint par des Renoir ou des Van Gogh, en choisissant de s'appeler Petit Moulin!
Son enseigne un peu foutraque et rouillée représente un moulin de bric et de broc dont les ailes n'auraient aucune velléité de tourner dans le vent...
Il fut peint par Renoux, du temps où il était unicolore et où l'artiste de rue OJI n'avait pas habillé ses murs de fresques.
Les flamants roses d'OJI rue Berthe.
OJI, on le connaît sur la Butte avec ses flamants roses qui se plaisent rue Berthe où depuis des années, nul nettoyeur, nul tagueur sauvage ne les a outragés.
On les retrouve sur les murs du restaurant qui semble plus petit encore, entre les pattes de ces échassiers géants.
Ils sont accompagnés d'autres volatiles, goéland, toucan et rouge gorge...
… Et d'un canard-jouet, tel qu'on en vend plus bas sur le boulevard, pour les jeux érotiques!
Au rez de chaussée, les herbes tropicales évoquent un douanier Rousseau en cavale
Un regard d'enfant curieux semble suivre les touristes qui passent dans la rue Durantin. On retrouve cette importance du regard dans d'autres réalisations d'OJI....
Un bandeau intermédiaire entre le rez de chaussée et le premier représente la ville avec ses toits, ses tours et ses murs..
On peut y apercevoir l'artiste de rues en train de travailler….
Sur les murs pignons des immeubles mitoyens, une autruche attentive nous surveille!
Tandis que s'envole une montgolfière énigmatique avec la signature d'Oji et quelques flamants qui se posent des questions...
L'ensemble est une réussite par la couleur, la gaité, l'irruption dans la ville d'un monde fantastique qui fait la part belle à l'enfance…
OJI est connu dans le milieu de l'art de rues. Il est modeste et généreux je crois et c'est une chance pour nous qu'il ait pu métamorphoser ce coin de rues!
Avant les flamants ce furent des cochons tout aussi roses qui occupèrent l'espace, accompagnés du jeu de mot usé sur l'homophonie l'art et lard.
"De l'art ou du cochon"!
Remontons un peu plus loin… Je suis un assez ancien Montmartrois pour l'avoir connu du temps où il avait pour nom : Les Canons.
Un nom qui remplaçait l'ancien qui était….
"le Petit Moulin"!
On peut donc être et avoir été!
Les canons de Montmartre
Les "canons" jouaient sur le double sens du mot : petit verre de vin et pièce d'artillerie. On sait que la Commune commença le jour où les Versaillais vinrent reprendre aux Montmartrois qui les avaient payés les fameux canons destinés à défendre la Butte contre les Prussiens. Un autre restaurant, rue Paul Albert porta ce nom avant de devenir le Botak et dissimuler sous une vilaine tapisserie les fresques représentant les fameux canons et leurs défenseurs.
Mais revenons à nos moutons, à nos flamants roses plus exactement…. et allons boire un canon au Petit Moulin à la santé de ceux qui mettent de la couleur dans nos rue et aux utopistes de tout poil!
Statue de Berlioz. Square Berlioz. Place Adolphe Max.
La rue de Calais à partir de la rue Blanche.
C'est une courte artère qui va de la rue Blanche à la rue de Vintimille.
Elle a été tracée au milieu du XIXème siècle sur les jardins du Nouveau Tivoli (3ème du nom) apprécié pour ses montagnes russes, son labyrinthe et son tir aux pigeons vivants importé d'Angleterre.
On avance le chiffre de 300 000 pigeons tués pour amuser les bourgeois.
(Photo airedalesareafailure. wordpress.com)
Le massacre cessa en 1842 quand le jardin fut vendu pour qu'y soient construites les rues de Calais, Douai, Vintimille, Ballu et la place Adolphe Max dans un quartier que les artistes avaient mis à la mode et qui fut surnommé sans modestie "la Nouvelle Athènes".
Prise de Calais par François de Guise le 9 janvier 1558. (Picot)
La rue longue de 153 mètres (et large de 12) rappelle l'attachement du pays à la bonne ville de Calais qui après avoir été anglaise pendant deux siècles fut reprise à l'ennemi par les armées royales sous le commandement de François de Guise en 1558.
La rue s'ouvre avec à l'angle rue Blanche, un restaurant côté impair et un hôtel côté pair. Mais l'immeuble le plus "glorieux" est situé au 4
Dans ce bâtiment construit en 1856 a vécu pendant 13 ans, jusqu'à sa mort, un des plus grands musiciens français : Hector Berlioz.
La maison de Berlioz, rue Saint-Denis. (Mont-Cenis aujourd'hui).
Nous l'avons déjà rencontré sur la Butte, rue du Mont-Cenis (alors appelée rue Saint-Denis) où il avait loué une maison campagnarde et où il emménagea avec sa jeune femme Harriet Smithson. Ils aimèrent Montmartre, village paisible à l'écart de l'agitation parisienne; leur fils Louis y naquit et c'est là que fut composé "Harold en Italie".
En 1836 il fallut se résoudre à regagner Paris à cause de la fatigue des interminables transports entre la capitale et le village.
Harriet Smithson
Harriet reviendra vivre rue Saint-Vincent en 1848 jusqu'à sa mort et son inhumation dans le vieux cimetière Saint-Vincent (ses restes seront transférés plus tard au cimetière Montmartre dans le caveau de Berlioz).
Marie Recio. Un portrait sauvé de la destruction. Musée Berlioz, la Côte Saint-André.
Quand il vient habiter rue de Calais, le compositeur vit avec l'autre femme de sa vie, Marie Recio. Il déménage du 17 rue de Vintimille où il n'est resté que quelques mois et qu'il quitte à cause d'un loyer soudain augmenté. Toute sa vie Berlioz aura lutté pour trouver des logements au loyer abordable.
4ème étage du 4 rue de Calais
Il habite au 4ème étage de l'immeuble qui trop vite construit va nécessiter de sérieuses consolidations. Il sera obligé de descendre avec armes et bagages au 2ème pendant le temps des travaux.
"Notre maison était sur le point de s'écrouler tant elle était mal bâtie".
Pendant ces travaux, Marie Recio qui supporte mal le bruit et les poussières part chez une amie à Saint-Germain en Laye. C'est là qu'elle meurt, le 13 juin 1862.
Berlioz ne se remet pas de la disparition de celle qu'il avait épousée 20 ans plus tôt et qui au début, avant d'être conseillée et formée dans l'art du chant, "miaulait comme une douzaine de chats."
"Le coup a été affreux (…) Je ne sais comment je vais achever ma vie isolée"
Louis Berlioz
Le 4 rue de Calais n'aura pas été bénéfique, affectivement parlant. L'appartement n'est pas assez vaste pour que le fils de Berlioz, Louis, ait une chambre lorsqu'il lui rend visite entre deux expéditions. Louis qui au début avait voulu fuir ce père habité par l'amour exclusif de la musique, devenu marin puis capitaine, meurt de la fièvre jaune à la Havane. Et c'est rue de Calais que son père apprend sa mort alors que depuis quelques années leurs rapports s'étaient harmonisés et que Louis lui écrivait ces mots prémonitoires :
"Tu es mon Dieu, tu es tout ce qu'il est possible à l'homme de cœur et d'intelligence d'aimer. Il me semble que nos existences sont liées, elles sont les torons d'une corde, si l'un se brise, l'autre se brisera. Ils ne peuvent exister l'un sans l'autre, ils forment un tout."
Nous sommes en 1867, deux ans avant la mort de Berlioz.
Si les années de la rue de Calais furent terribles, elles furent aussi fécondes. Berlioz y écrit ses dernières œuvres dont l'ampleur impressionne : Les Troyens, Béatrice et Bénédict.
Il rédige Les Grotesques et la musique, A travers chants.
Il met un point final à ses Mémoires.
Il meurt le 8 mars 1869. Son service funèbre est organisé dans l'église de la Trinité inaugurée deux ans plus tôt.
Il est enterré au cimetière Montmartre (voisin lui aussi) où ses deux femmes passent avec lui leur éternité oublieuse.
Berlioz suffit au renom et à la gloire de la rue de Calais. On reste impressionné et ému devant le modeste logement du 4ème étage où le musicien des tempêtes, des révoltes, des tendresses vécut treize années.
Nous ne quittons pas le 4 où un autre musicien habita quelques années après Berlioz. Il s'agit d'Antonin Marmontel (1850-1907), bien oublié aujourd'hui. Il fut pourtant connu pour ses pièces pour piano et pour son enseignement au Conservatoire de Paris.
Son père, pianiste lui aussi est un peu plus connu par les élèves célèbres qui suivirent son enseignement : Bizet, d'Indy… et une fillette d'une dizaine d'années que son père allait immortaliser après qu'elle se fut noyée dans la Seine : Léopoldine Hugo.
Les immeubles de ce début de rue sont typiques de l'architecture du milieu du XIXème siècle, non pas celle de la haute bourgeoisie de style haussmannien opulent et inventif mais de celle de propriétaires soucieux de rentabiliser leur placement.
Le 5
Le 7
Le 9
Le 9 est un peu plus inventif bien qu'il reprenne les codes de l'époque romantique. Il est orné de macarons peu inspirés mais décoratifs!
Le 11
Le 11 a abrité une chanteuse qui fut célèbre à la Belle Epoque : Anna Thibaud (1867-1948). Elle avait commencé par un répertoire grivois comme on l'aimait alors avant de reprendre les succès d'Yvette Guilbert et de créer des chansons plus sentimentales.
Si sa grande période s'achève avec la guerre en 1914, elle n'en continua pas moins à se produire jusqu'à 70 ans. Certaines mauvaises langues (ou mauvaises oreilles) prétendent que son succès était dû à ses décolletés plongeants et aux clins d'œil coquins dont elle agrémentait ses romances.
Un de ses plus grands succès fut la chanson "Quand les lilas refleuriront" qui sera reprise sans discontinuité jusqu'à Tino Rossi, Guy Béart, Marie Laforêt….
"Quand les lilas refleuriront
Parfumant l'air de leur haleine,
Combien d'amoureux mentiront.
Quand les lilas refleuriront
Pour tous les baisers qui s'égrènent
Que de blessures saigneront…"
Toujours au 11, avant de déménager pour le boulevard Pereire, vécut Robert Planquette (1848-1903) qui est connu pour avoir écrit la célèbre marche le Régiment de Sambre et Meuse et pour de nombreuses opérettes presque toutes oubliées, à l'exception de Rip et surtout des Cloches de Corneville qui eurent en leur temps une carrière mondiale.
Les Cloches ne lui portèrent pas chance car c'est en revenant d'une répétition de cette opérette qu'il prit froid et mourut!
Le 12 est un hôtel particulier harmonieux que nous regardons afin d'avoir le courage de découvrir, en face le 13-15...
Le 13 -15! La catastrophe architecturale de la rue de Calais.
Plus laid, plus indigent, plus agressif tu meurs! Et dire qu'il n'est pas le seul de son espèce à avoir métastasé dans les vieux quartiers de Paris!
Au 16 se trouve l'ancien hôtel d'Auguste Perdonnet (1801-1867) qui fut ingénieur. Il participa à la réalisation de la ligne Paris-Saint Germain, au viaduc de Meudon. Nadar l'a photographié. Son cliché fait penser au tableau de Mr Bertin par Ingres. Même pose satisfaite, même sérieux autoritaire!
Le 20
Les 18 et 20 sont élégants et originaux tandis que le 19 plus opulent est un hôtel particulier.
Sur la façade du 21 une plaque rappelle que la première église de la Trinité construite par l'abbé Modelonde, premier curé de la paroisse, y était implantée. Elle était en bois polychrome et elle resta en service jusqu'à l'inauguration en 1867 de la nouvelle église voulue par Haussmann et construite sur les plans de Théodore Ballu (dont l'hôtel particulier est non loin de là, rue Ballu).
Les 22-26 qui terminent la rue abritèrent le Comité Central des Œuvres Sociales EDF-GDF créées par Marcel Paul. C'est un ensemble vigoureux, destiné à inspirer confiance dans la santé financière de ces entreprises. Il était en réfection quand je l'ai photographié, néanmoins il est possible d'en avoir une idée!
Les locaux furent occupés en 1951 quand l'organisation présidée par Marcel Paul fut dissoute par le gouvernement de René Pleven. Les salariés occupèrent alors les bâtiments avant d'être évacués manu militari par la police.
Au 4ème étage du 26, Edouard Vuillard eut son atelier avant de l'installer à quelques mètres de là, rue de Vintimille, à l'angle avec la place Adolphe Max.
Et maintenant nous quittons la rue de Calais pour découvrir quelques arbres, peut-être rescapés de l'ancien Tivoli. Le square porte le nom du grand homme de la rue de Calais, Hector Berlioz.
Une statue le représente, debout, tête levée vers le ciel …
Elle remplace l'originale due à Alfred Lenoir (auteur entre autres du monument à César Franck, square Rousseau, de la France de Charlemagne du pont Alexandre III et des médaillons des Goncourt au cimetière Montmartre). Elle fut enlevée par les Allemands sous le régime de Vichy pour être envoyée à la fonte comme des dizaines de ses consoeurs!
Statue de Berlioz par Alfred Lenoir.
On voit que la statue moderne a renoncé au très haut piédestal de l'ancienne. Est-ce pour rendre justice au musicien qui avait écrit :"Il faut collectionner les pierres qu'on vous jette, c'est le début d'un piédestal"?
Une amie m'ayant demandé de jouer les guides chenus pour des étudiantes croates du lycée bilingue de Zagreb, j'ai composé ce parcours que je crois "idéal" pour saisir l'essentiel de notre Butte et peut-être ressentir l'envie de revenir...
Il faut compter deux heures pour le réaliser et pour attraper au vol un peu de cet air montmartrois fait de souvenirs, de fantômes, de réalités...
Le point de départ est le métro Anvers, la station de Guimard avec son décor floral qui fait penser à des mantes religieuses
Nous sommes sur le boulevard de Rochechouart où se dressait la fameuses barrière dite "des Fermiers Généraux" qui entourait paris et dont le franchissement par les octrois ne pouvait se faire qu'en payant des taxes sur les marchandises.
Information qui n'est pas sans importance car elle explique pourquoi, avant la destruction de ces barrières, les Parisiens venaient dans les bistrots de Montmartre où le vin était moins cher, étant donné qu'il n'avait pas eu à payer l'octroi!
En 1860, Montmartre est rattaché à Paris. bistros et bals, entourés de jardins, battent leur plein!
Nous avons devant nous l'Elysée Montmartre et un peu plus loin le "Trianon" et "La Cigale", rescapés plus ou moins estropiés de la transformation spéculative à outrance de Montmartre.
L'Elysée Montmartre était un bal populaire dont les jardins s'étendaient sur un terrain qui irait aujourd'hui jusqu'à la place Saint Pierre. Nous le voyons tel qu'il fut reconstruit en 1897 avec les structures du pavillon de France de l'exposition de 1889 dont Eiffel avait été l'architecte.
La danseuse du fronton est une exilée qui vient du bal Mabille. Il s'agit d'une danseuse de quadrille qui deviendra bientôt le cancan. C'est ici que la danse mythique verra le jour et non au Moulin Rouge qui en revendique la paternité! Valentin le Désossé commence ici sa carrière montmartroise. La Goulue fait partie de la troupe. Toulouse Lautrec nous en donne une vision vivante et humoristique .
A l'Elysée Montmartre (Toulouse lautrec)
Nous empruntons la rue de Steinkerque, encombrée de joueurs de bonneteau et bordée de boutiques de souvenirs made in China!
Nous entrons dans le square Louise Michel par la porte de gauche, juste avant le funiculaire.
Nous prenons l'allée qui serpente et passe devant la Fontaine que les Montmartrois appellent des Innocents mais qui n'avait pas de nom. Elle rend hommage à Rabelais dont une citation tirée de Gargantua est gravée dans la pierre : Mieux est de ris que de larmes escrire.
La suite, comme chacun sait est : Pour ce que rire est le propre de l'homme.
Elle est l'œuvre d'un sculpteur que l'on redécouvre aujourd'hui : Emile Derré (1867-1938).
Anarchiste, pacifiste, il sculpte l'amour et la joie de vivre. Nous le retrouverons plus haut, après avoir atteint la grande fontaine des Tritons de Gasq .
Nous allons sur la droite et empruntons la deuxième allée en escalier sur la gauche.
Nous découvrons le pont rustique qui donne sur une falaise qui abrite un couple d'amoureux enlacés, de Derré. Jadis une cascade l'abritait derrière un rideau léger mais aujourd'hui elle est tarie et le ruisseau qui cascadait jusqu'à la grotte, en bas du jardin, reste désespérément à sec.
Derré qui avait fait scandale en sculptant un monument aux morts de 14-18 représentant un soldat français et un soldat allemand enlacés, connut à l'approche de la deuxième guerre un tel dégoût et un tel désespoir qu'il se suicida
Réconciliation (Derré) Sculpture disparue aujourd'hui
Nous remontons et grimpons jusqu'au parvis du Sacré-Coeur, là où pendant la Commune étaient entreposés les fameux canons de Montmartre. Nous regardons l'imposante basilique dont les parties sculptées sont dignes d'intérêt, mais nous ne nous attardons pas. L'esprit de Montmartre n'est pas au rendez-vous dans cette église, aussi imposante et orientale qu'elle pût être.
Le square Nadar sous la neige (7 février 2018)
Par la gauche, rue Azaïs, nous passons devant le square Nadar et la statue du Chevalier de la Barre. Nous nous arrêtons un instant et enlevons notre béret, ou casquette, ou bonnet, devant ce jeune homme, le chapeau vissé sur le crâne, fièrement tourné vers la basilique.
Ce n'est pas un Montmartrois, mais un gars du Nord, de Valenciennes qui au XVIIIème ne croyait ni en Dieu ni en diable et qui aimait chanter des refrains libertins. Il n'ôta pas son chapeau devant la procession du Saint Sacrement. Il fut arrêté, torturé, on lui arracha la langue, on lui coupa la main et on le brûla.
Il devint pour Voltaire et les libres penseurs, le martyr de l'obscurantisme religieux. Voilà pourquoi, quand se construisit la basilique, les Montmartrois qui avaient gardé le souvenir de la Commune, obtinrent que sa statue fût placée devant la basilique érigée pour rendre grâce à Dieu d'avoir protégé Paris pendant ces mois de guerre et de révolte. Le Sacré-Cœur a pour adresse 35 rue du Chevalier de la Barre!
L'esprit de Montmartre est au rendez-vous!
(Pour information, notons que la statue d'origine, placée face au Sacré-Coeur, a été fondue sous Vichy et que celle que nous voyons aujourd'hui (œuvre d'Emmanuel Ball) a été inaugurée en 2001.)
Nous apercevons contre le square la fontaine Wallace, petit monument parisien s'il en est. La plupart de ces fontaines ont été financées par un philanthrope anglais, Richard Wallace, habitant Paris et ayant été horrifié, pendant la Commune et le siège, de la misère du peuple privé d'eau. Les quatre cariatides dessinées par Lebourg, représentent les 4 saisons.
Nous montons vers la place Jean Marais devant la vieille église.
Nous jetons un coup d'œil sur la place du Tertre, ancien centre du vieux village, aujourd'hui envahie par des peintres qui vous tirent le portrait pour une centaine d'euros. Puis nous entrons dans l'église, la plus vieille de Paris après Saint-Germain.
Elle a été construite au XIIème siècle, Louis le Gros étant roi de France et sa femme Adélaïde de Savoie étant reine! Son tombeau était placé dans le chœur et la pierre tombale réemployée a été récupérée et dressée à côté de la sacristie.
Nous ne nous attardons pas dans cette belle église dont nous admirons les vitraux de Max Ingrand...
La marche sur les eaux (étonnante composition avec les pieds vus par dessous...
... les colonnes des temples romains de part et d'autre du buffet d'orgue et dans le chœur, le seul chapiteau sculpté rescapé des différents avatars subis par l'édifice.
Ce rescapé représente la luxure! Un homme à tête de renard chevauche à l'envers un cheval dont il tient la queue.
Rue Saint Rustique
Nous sortons de l'église et prenons sur la droite la rue du Mont-Cenis. Nous passons devant la rue Saint Rustique, une des artères du vieux village qui est restée telle qu'elle était du temps des moulins et des vignes.
Rue Cortot
Nous tournons, à droite, dans la rue Cortot, une des plus intéressantes de Montmartre. Au n° 6 une petite maison a de 1890 à 1898, abrité Erik Satie qui y a composé quelques chefs d'œuvre comme les Gymnopédies. Il habitait au deuxième étage un minuscule appartement avant d'occuper, les deux dernières années, une pièce plus petite encore (9 mètres2) qu'il appelait son "placard".
Il habitait encore rue Cortot quand il tomba amoureux fou en 1898 de Suzanne Valadon.
Après la première nuit passée avec elle, il se mit à genoux et proposa de l'épouser. Valadon refusa et après une liaison intermittente de 5 mois, le quitta définitivement, non sans avoir peint le portrait le plus connu de son "amant".
Satie s'enferma dans la souffrance et l'humiliation. Il composa un OVNI musical, intitulé "Vexations", une pièce qui doit être jouée 840 fois. Inutile de dire qu'elle a été peu donnée! John Cage est un des rares à l'avoir jouée, pendant 20 heures...
Musée de montmartre
Voisin de la maison de Satie, nous trouvons le Musée de Montmartre. Nous n'y entrerons pas puisque nous avons limité notre circuit à deux heures. Mais si vous avez le temps de revenir sur la Butte, je vous le conseille. Vous y verrez l'atelier de Suzanne Valadon et le petit appartement où elle vécut avec Utrillo et Utter (reconstitués sur les lieux mêmes)
Musée de Montmartre, l'atelier de Renoir.
Vous y découvrirez le bâtiment où Renoir peignit le fameux bal au Moulin de la Galette.
Le musée est composé de l'hôtel Demarne du XVIIIème siècle ...
...et de la maison du Bel Air (où vécut Rosimond, acteur de Molière) ....
...des collections permanentes et des expositions font revivre le Montmartre de la grande époque.
Dans les jardins, Renoir peignit la fameuse balançoire, Van Gogh le père Tanguy (marchand de couleurs qui habitait la loge du rez de chaussée)... etc...
C'est un des hauts lieux de Montmartre.
A l'étage la fenêtre aux forts barreaux était la chambre d'Utrillo qui ne pouvait sauter dans la rue pour aller au bistro.
Descendons la rue Cortot...A l'angle avec la rue des saules une grande maison bourgeoise a remplacé la maison villageoise où vécut Aristide Bruant, le poète emblématique de la Butte. Ses chansons ne cessent de résonner dans les rues...
"Son p'tit fichu sur les épaule
Elle rentrait par la rue des Saules
Rue saint Vincent...."
Germaine (Picasso)
Nous voilà, à l'angle entre la rue de l'Abreuvoir et de la rue des Saules devant la célèbre maison rose immortalisée par Utrillo, restaurant bon marché où venaient les peintres fauchés, tenu par Laure Germaine qui fut un des modèles de Picasso pendant sa période bleue et dont il fut amoureux.
En face de la maison rose, dans les jardins préservés, on aperçoit la Folie Sandrin. Ce petit château élevé, comme c'était alors à la mode, dans la nature et sous les arbres, portait le nom de "folie" parce qu'elle était dans les feuilles (une feuillée).
Le hasard voulut que cette "folie" fut rachetée par un aliéniste, le docteur Prost, puis par le docteur Blanche afin de recevoir des poètes, écrivains, artistes qui auraient risqué d'être internés dans des hôpitaux psychiatriques et privés de toute liberté. Ils avaient pour théorie que pour soigner ceux qui souffraient de troubles mentaux, il fallait leur donner un cadre chaleureux, naturel et surtout ne pas les priver de liberté.
Le plus célèbre des hôtes de la folie est certainement Gérard de Nerval qui y séjourna en 1841 et la décrira comme une "maison fashionable et aristocratique". Il aima Montmartre où il revint pour y séjourner quelques mois au Château des Brouillards.
Descendons sur une centaine de mètres la rue des Saules pour voir un carré de vignes qui rend hommage à celles qui couvraient la Butte jusqu'à la Chapelle et qui appartenaient aux Abbesses. Elles donnaient un vin blanc de bonne réputation "la goutte d'or" dont un quartier voisin perpétue le souvenir! Elles ne sont pas d'origine, plantées plein nord mais elles donnent l'occasion chaque année à des festivités, vendanges, défilés, bals qui redonnent à Montmartre un peu de sa vitalité bon enfant.
Plus bas, à l'angle avec la rue Saint Vincent, le Lapin Agile est toujours là, tel qu'il apparaît sur les toiles des peintres et les vieilles cartes postales.
Ce fut un des hauts lieux de la vie de bohême montmartroise. Ancien cabaret des Assassins, les Montmartrois à l'esprit narquois lui donnent le nom de Lapin à Gill, puis Lapin agile, quand André Gill peint pour sa façade un joyeux lapin sautant d'une casserole.
En 1902, Bruant le rachète et en fait un lieu de rencontres et d'humour, entre chansonniers, poètes et peintres. Picasso, Modigliani, Utrillo le fréquentent. L'âne Lolo fait partie de sa légende.
On lui trempa la queue dans des pots de peinture, on approcha de son postérieur une toile et on vit naître "le coucher de soleil sur l'Adriatique" qui fut exposé avec succès au salon des Indépendants sous le nom de Boronali (anagramme d'Aliboron).
Nous remontons la rue des Saules et prenons la rue de l'Abreuvoir devant la maison rose. Le buste de Dalida sur la placette qui porte son nom nous rappelle que la "Diva" avait choisi Montmartre pour vivre et pour mourir.
Des fans n'hésitent pas à caresser la poitrine de bronze qui sous l'effet de cette douceur brille comme de l'or. Les Montmartrois vous diront que cet hommage à la chanteuse porte bonheur en amour. Ce qui est un peu téméraire quand on connaît la solitude et les tragédies de la vie de Dalida!
L'allée des Brouillards, un matin d'hiver.
Donnant sur la placette, l'allée des Brouillards a un air provincial avec ses petites maisons qui ont été construites sur les cabanes du Maquis.
Il y avait au XVIIème siècle à leur emplacement le parc du Château des Brouillards que nous pouvons admirer de l'autre côté de l'allée.
Ce château est une folie du XVIIème siècle dont le nom vient des brumes qui s'élevaient de la fontaine du But, située en contrebas et qui servait d'abreuvoir aux animaux.
En 1850 le parc fut sacrifié et plusieurs dépendances détruites. A la fin du siècle une partie de l'ancien château était louée et c'est là que Renoir vint habiter avec sa petite famille après avoir vécu rue Cortot. Son fils Jean, le futur cinéaste de génie y voit le jour.
Gabrielle et Jean
Pour s'occuper de lui, Aline Renoir fait venir de sa province, Gabrielle qui servira de modèle au peintre et que l'on voit sur ce tableau peint au Château des Brouillards.
Continuons rue Girardon jusqu'à la place Marcel Aymé où le passe-muraille sculpté par Jean Marais à la ressemblance de l'écrivain, évoque la nouvelle où un personnage falot comme son nom, Dutilleul, découvre son pouvoir de traverser les murs. Ce qui lui permettra de s'enrichir par le vol, de s'évader des prisons et de rendre visite à sa maîtresse rue du Mont-Cenis. C'est là que voulant s'en aller et passant par le mur, il reste prisonnier, son pouvoir l'ayant abandonné!
Selon le temps dont vous disposez, je vous propose une petite extension sur l'avenue Junot que vous descendez sur une centaine de mètres...
Maison de Poulbot
Pour saluer Poulbot, le plus montmartrois des montmartrois. La maison qu'il fit construire au 13, grâce à son succès est là, énorme, opulente. Elle s'est élevée sur les cabanes du Maquis où il avait passé tant de jours à dessiner et à rencontrer les enfants joyeux et misérables. Toute sa vie il s'est occupé d'eux et il ne faut pas l'oublier devant cette grosse maison où il a fait poser des mosaïques de quelques gosses qu'il avait dessinés.
Mitoyenne de sa maison, on trouve celle de Tristan Tzara, un des instigateur du mouvement Dada, ami de Breton et d'Aragon. Son architecte est célèbre, il s'agit d'Adolf Loos qui en pleine époque Art Nouveau, prône le dépouillement et l'utilisation la plus pratique de l'espace. Un de ses ouvrages porte un titre assez clair : "Ornement et Crime"! Il influence Le Corbusier et toute cette école dépouillée et brutale qui a trop marqué hélas l'architecture de la deuxième moitié du XXème siècle.
En descendant sur une trentaine de mètres l'avenue Junot, nous tomberons sous le charme très british de la Villa Léandre. Elle ne date que de 1926 et elle n'a pas grand chose à nous dire sinon qu'au 8 bis fut arrêtée la célèbre espionne, la Chatte! Quelques acteurs y vécurent. Piccoli y acheta une maison pour Greco qui ne voulut jamais quitter Saint-Germain des prés.
Moulin de la Galette n°1 angle rue Girardon
Retour au début de l'avenue devant le cinéma 13 de Lelouch. Nous voyons le Moulin de la Galette avec son jumeau un peu plus bas rue Lepic.
Ce sont les seuls rescapés des dizaines de moulins qui faisaient tourner leurs ailes sur la Butte.
Moulin de la Galette n°2 rue Lepic
Celui qui a porté le premier ce nom est celui qui est à l'angle de la rue Girardon et qui à l'origine était situé plus haut et s'appelait le Radet. Il date de 1717 et a été racheté par le meunier Debray qui plus tard acquit le deuxième moulin, plus bas, qui s'appelait le Blute-Fin et qui datait de 1622.
Moulin de la Galette rue Lepic, ancien Blute-fin.
Le bal se déplaça vers ce deuxième moulin qui possédait une terrasse sur tout Paris. Debray en fit un lieu de fêtes où peintres et rupins aimaient se délasser. Parmi les peintres qui aimèrent et peignirent ce moulin, on peut citer Renoir, Van Gogh, Signac, Picasso....
Moulin de la Galette par Van Gogh.
Notre balade est bientôt terminée. Il nous reste à prendre la rue d'Orchampt, face au 1er moulin et passer entre les trottoirs les plus étroits de Paris!
Nous jetons un œil sur l'imposante maison de Dalida, là où elle vécut plus de vingt ans et choisit de se donner la mort en mai 1987.
Maison de Dalida rue d'Orchampt.
Nous suivons la rue jusqu'à la rue Girardon et prenons à droite, place Emile Goudeau. C'est la place, célèbre entre toutes, ancienne place Ravignan où l'on trouve le Bateau-Lavoir.
Ateliers (ancien Bateau-Lavoir) côté rue d'Orchampt
Place Emile Goudeau. Le Bateau-Lavoir
Une partie des bâtiments fragiles sont partis en fumée mais la façade modeste reste la même. L'ancienne fabrique de pianos avait été aménagée en ateliers peu couteux appréciés des peintres fauchés.
Ils furent nombreux à y vivre et y peindre mais le plus célèbre est Picasso qui arrive à Montmartre alors qu'il n'a que 19 ans.
L'homme à femme plutôt macho sera aidé par Fernande Olivier qu'il peint à de nombreuses reprises.
C'est au Bateau-Lavoir qu'il finit sa période bleue, peint l'essentiel de sa période rose et surtout qu'il réalise ce qui sera le manifeste du cubisme : "Les Demoiselles d'Avignon".
Nous descendons la rue Ravignan et prenons à gauche la rue des Abbesses, la rue la plus vivante et la plus commerçante de Montmartre, pour arriver sur la place des Abbesses, devant l'église Saint-Jean.
Eglise remarquable qui choqua par sa modernité et que les Montmartrois surnommèrent Saint-Jean des briques. Elle a été construite par Anatole de Baudot, architecte audacieux qui éleva ce premier bâtiment en ciment armé.
Le décor de grés émaillé reste dans l'esprit Art Nouveau orientaliste.
Ce contraste et cet accord entre structure révolutionnaire et décor 1900 est une grande réussite.
Sur la place, nous entrons dans le square Jehan-Rictus pour découvrir le mur des "Je t'aime", devenu une curiosité incontournable.
La phrase magique y est écrite en 311 langues ou dialectes, tandis que les éclats rouges d'un cœur attendent d'être enfin réunis dans cette Babel qu'est le monde!
C'est devant ce mur de l'Amour, opposé à tous les murs de haine et de frontière que nous terminons notre balade dans Montmartre.
Une balade qui s'est voulue légère, sans la prétention de tout dire!
Si elle vous a donné envie de revenir pour connaître d'autres rues secrètes, d'autres légendes, pour visiter le musée, pour descendre jusqu'au Moulin Rouge et pour entendre au détour d'une placette ou dans un escalier, résonner les vieilles complaintes de la Butte, alors le guide d'une demi-journée que j'aurais été, se réjouira et vous dira "A Bientôt!"
.... Et n'oubliez pas... Le vrai Montmartre, c'est l'esprit de poésie et de jeu, c'est le goût de l'anarchie et du plaisir... Alors....