N'oublions pas que Montmartre avant la construction du mur des Fermiers Généraux s'étendait sur une partie du IXème arrondissement actuel et que ce quartier en faisait partie.
Quelle animation en 1906! C'est la seule carte postale à ma connaissance de cette rue.
La rue de l'agent Bailly est une des plus étroites et des plus courtes de Paris. Il y eut tout d'abord à cet endroit l'impasse de l'école. En 1877 elle fut prolongée et porta le nom, dans sa partie qui commençait rue Rodier, d'impasse Rodier puis passage Rodier.
En 1899 l'impasse Rodier fut prolongée jusqu'à la rue Milton et devint une rue, laissant l'impasse de l'école vivre sa vie et se protéger derrière une grille digicodée interdite aux curieux.
C'est en 1904 que fut donné à cette modeste artère le nom de l'agent Bailly dont peu de gens à vrai dire sauraient dire qui il fut.
Charles Gaston Bailly (1871-1901) était gardien de la paix de la brigade fluviale. Le 2 novembre 1901, Il tenta de secourir une femme, Emilie Vallée, 38 ans, concierge. On ne sait si elle s'était jetée dans la Seine volontairement ou si elle y était tombée. Ce que l'on sait, c'est que l'agent Bailly n'hésita pas une seule seconde et se jeta dans le fleuve pour la secourir.
C'était au niveau du pont Marie entre l'île Saint-Louis et les quais où de nombreuses barges étaient amarrées. L'homme rejoignit la femme qu'il saisit mais le courant était si fort ce jour-là qu'il les entraîna vers le fond, sous les barges. Le fait divers eut un grand retentissement et l'héroïsme du jeune gardien de la paix impressionna les parisiens. Il fut donc décidé de donner son nom à une rue de la capitale et ce fut cette modeste rue du IXème arrondissement qui fut choisie.
Les 1 et 2, petits immeubles modestes en début de rue.
Le 3
Le 3 :Un harmonieux porche de pierre ferme la cour Saint-Hilaire. Un endroit secret de Paris, accessible aux seuls habitants.
Il ouvre sur une cour pavée ombragée par des arbres, aujourd'hui très recherchée mais qui fut en son temps une cité ouvrière. Les immeubles appartinrent à la famille des Bérard, gros négociants en vins. Dans la première moitié du XIXème siècle, c'était le commerce le plus lucratif, le gros rouge étant l'opium du peuple!
L'ensemble fut construit en 1830 afin d'abriter les ouvriers qui construisaient le quartier à la mode de la Nouvelle Athènes. Quelques ateliers ainsi que des boxes pour les chevaux occupaient le rez de chaussée.
Un clocheton et une horloge ont traversé le temps. Le mécanisme n'a été électrifié qu'en 2001. La cloche est historique puisqu'elle fut fondue par Osmond Dubois, le fondeur de Charles X.
Georges de Feure
Un tel endroit ne pouvait manquer de plaire aux artistes. Certains dont le nom a été avalé par le temps y ont créé sans jamais trouver la renommée, d'autres, ou plutôt UN autre qui a sa place aujourd'hui dans les musées comme représentant majeur de l'art symboliste y a eu son atelier.
Il s'agit de Georges de Feure. Il est avec Mucha un des peintres de la femme, femme-fleur, femme-poison, femme-poésie...
Admirateur de Baudelaire il est comme lui attiré et effrayé par la beauté féminine.
Il a été choisi, pour décorer la façade du pavillon Art Nouveau de l'exposition universelle de 1900.
Il a créé de nombreuses affiches qui sont parmi les plus belles de son temps.
Enfin certaines de ses toiles démontrent s'il en était besoin qu'il fut un vrai peintre, influencé par les courants les plus forts de la fin de siècle, dans la mouvance d'un Toulouse Lautrec.
Le 4 est précédé d'un corps de bâtiment sur rue d'un étage. Des "maisons" y remplacent un ancien bistro. Je me rappelle avoir visité l'endroit quand je cherchais à me loger dans le quartier. Beaucoup de charme et même une cave voûtée de pierres... mais évidemment la lumière y est chiche et les barreaux du rez-de-chaussée ne sont pas franchement gais!
Le 5 protégé par une grille est l'impasse de l'école (qui doit son nom, ô surprise à la présence d'une école dans sa continuité). Elle fut ouverte en 1829 et prit, en 1877 le nom d'impasse Rodier avant de récupérer son nom originel en 1904.
Tout un côté est occupé par l'imposant immeuble (construit en 1905) qui fait quelques efforts décoratifs et possède dans sa cour un édicule charmant.
L'impasse réserve une surprise, avec le 5bis.
En poussant la porte, on découvre une autre courette avec d'anciens ateliers. On y jouit d'un calme absolu dans ce quartier vibrant.
Nous quittons cette impasse pour retrouver la rue de l'agent Bailly.
Le 8
Nous n'avons plus qu'un numéro à découvrir avant la rue Milton...
C'est le 8 bien connu des amateurs d'art qui font le détour pour le découvrir. Il y avait là une vieille menuiserie qui après le départ de son menuisier fut occupée pendant 40 ans par un peintre étonnant et messager de vie, Yvon Taillandier.
Né à Paris en 1926, il mourut en Avignon en 2010 après avoir créé son univers, son pays, le Taillandier-Land où nous sommes invités à entrer sans visa!
Son monde est foisonnant. Les habitants y sont en mouvement, unis les uns aux autres par des tubes en mouvement. Ils pilotent des machines amusantes et vivantes qui participent à leur voyage intérieur. Rien de dur, de cassant, de mécanique mais une fête des voisins autour de totems sympathiques.
Yvon Taillandier a décoré son atelier, donnant à son quartier l'ouverture sur son univers.
Les fresques ont été restaurées et aucun taggeur jusqu'à présent ne les a recouvertes. C'est sur cette fête de l'imaginaire et de la vie que nous quittons cette rue qui porte le nom d'un homme qui n'hésita pas à donner sa vie pour tenter d'en sauver une autre, avec ce peintre qui n'hésita pas à donner son temps et son talent pour permettre à la ville de sortir de sa monotonie et de sa déprime hivernale.
Les habitants du quartier connaissent bien cette fresque de 15 mètres de long qui court sur tout le rez de chaussée de l'immeuble du 8 rue de l'agent Bailly.
Ils n'y prêtent plus attention, elle fait partie de leur paysage.
C'est le plus beau compliment qu'on puisse faire à l'art dans la ville. Il est là, essentiel, comme le ciel ou les arbres. S'il disparaissait, alors soudain on serait moins heureux, on respirerait moins bien.
Yvon Taillandier (né à Paris en 1926, mort en Avignon en 2018) choisit cette ancienne menuiserie pour atelier en 1970. Pendant 40 ans elle le resta!
Dès son arrivée dans cette étroite rue il peignit tous les volets de la façade puis l'ensemble jusqu'à l'encadrement de la porte d'entrée de l'immeuble.
On dit que les taggeurs qui n'hésitent pas à utiliser toute surface disponible quelle qu'elle soit, respectèrent ce monde foisonnant et joyeux créé par leur aîné.
Au fond c'était très diplomatique car nous sommes en présence d'une ambassade, celle du Taillandier-Land!
Et quelle ambassade! Celle de la vie dans sa diversité, son foisonnement, sa gaité, sa folie, son incongruité, son érotisme, ses machines, ses tubes, ses manèges, ses rêves.
Parce que ces images de "figuration libératrice" ne cherchent pas à vous en mettre plein la vue, elles cherchent seulement à capter votre regard pour l'intégrer à son mouvement. Elle cherche à faire de vous l'un des acteurs de cet univers où nous sommes tous reliés les uns aux autres. Où nos jambes, nos têtes se multiplient et se métamorphosent, où nos bouches, nos ventres abritent de petits êtres prêts à participer au jeu.
Les machines font partie de ce monde et cessent d'être métalliques et bruyantes, elles sont de matière charnelle et n'interrompent pas la grande unité, la grande communication.
Il y a quelque chose de vertigineux en même temps que rassurant dans cet univers où tout est mouvement.
Le vertige c'est la rencontre et la multiplication des taillandiers, c'est le labyrinthe, la jungle où ils naviguent. Ce qui est rassurant c'est qu'il y a des frontières qui empêchent l'éclatement, la dissolution, l'éparpillement dans l'espace de tout ce peuple qui se tient.
Une ambassade représente un pays.
Un pays donne à ses habitants des frontières qui loin d'enfermer, protègent. Elles permettent au rêve de se déchaîner en douceur, au chaud à l'abri des murs familiers.
Bon! je délire! Mais c'est parce que je réponds à l'invitation d'Yvon Taillandier! Il vous invite vous aussi, avec votre monde qui rejoindra le sien, accueilli, respecté, enfantin et joueur.
Vous aurez des pieds en surnombre...
des têtes démultipliées...
des aéronefs complices
des animaux familiers comme des maisons.
"Mes tableaux se veulent des chants joyeux, voire des hymnes à la joie"
Ier janvier 2021! On se presse sur la Butte pour regarder se coucher le premier soleil de l'année! (rue Azaïs)
2 janvier. Papa Kangourou. Place du Tertre.
3 janvier. Rue d'Orchampt, les plus étroits trottoirs de Paris!
4 janvier. Quoi qu'all' fait?
5 janvier. Saint-Pierre par soir pluvieux
6 janvier. Epiphanie.
7 janvier. A l'heure du couvre-feu. La Butte couve sous les braises.
8 janvier. La statue qui danse.
9 janvier. Au diable la distanciation sociale!
10 janvier. rue du Calvaire... Comme un tableau.
11 janvier. Les pigeons difficiles!
12 janvier. Pas de masque pour Superman.
13 janvier. Soir mouillé rue Paul Albert.
14 janvier. Magie nocturne quand Montmartre se fait cinéma. Passage Cottin.
15 janvier. Rue Saint-Rustique.
16 janvier. La neige passagère
17 janvier. Porte du rêve, rue La Bruyère.
18 janvier. L'atelier d'Yvon Taillandier, rue de l'Agent Bailly.
19 janvier. La dame aux pigeons. Square Louise Michel.
20 janvier. Le réverbère. Rue Saint-Eleuthère.
21 janvier. La lune est en avance. Rue Utrillo.
22 janvier. La poupée se dégonfle rue Feutrier.
23 janvier. Des mutants?
24 janvier. Fêter un mariage en rose et bleu!
25 janvier. Les nuages pour voyage.
26 janvier. Le blues du matin bleu.
Le 27 janvier. Paul Albert nettoyé au karcher.
28 janvier. Bivouac place des abbesses.
29 janvier. Les artistes réduits à la mendicité. Une ville sans musiciens est condamnée à mourir de froid. (Place des Abbesses)
30 janvier. Lévitation devant le Sacré-Coeur.
31 janvier. C'est qui Dalida?
Et voilà! Janvier finit sa course et le virus continue la sienne. Le 4ème cavalier de l'Apocalypse parade sur un vitrail de l'église Saint-Jean. C'est le cavalier des épidémies et de la mort. Sur les 4 vitraux prévus, deux seulement ont été réalisés, ceux du 4ème et du 2ème cavalier. Celui de la guerre et celui des épidémies!
Demain commence février et s'il y avait un cavalier ce serait celui du mimosa puisque partout les petits soleils fleurissent.... Alors bienvenue au cavalier du mimosa!
Voisin de l'Auberge du Clou vandalisée légalement en 2021 pour laisser place au Seasons Martyrs, il y eut un autre cabaret flamboyant de Montmartre : l'Âne rouge.
Là ou était l'âne rouge, vous trouverez le "paprika"!
Il a depuis fort longtemps cessé de braire et au 28 avenue Trudaine il a laissé place au "Paprika" du nom d'une épice de couleur rouge elle aussi, mais il est hors de question de ne pas le "ressusciter" le temps d'un article, tant il fait partie de l'histoire de notre quartier.
Cartouche (illustration de Tessier et Sarrou).
Remontons au second Empire, en 1870, avec le père Laplace que certains appellent "le père de Montmartre". En effet, marchand de tableaux avisé, il eut l'idée d'organiser des rencontres d'artistes, poètes et peintres autour d'un verre, dans sa boutique. Devant le succès, il la transforma en café, "La Grande Pinte", hommage à un célèbre débit de boissons (créé en 1724) situé à la barrière d'Antin, là où trône aujourd'hui l'église de la Trinité et qui eut pour fidèle client le brigand Cartouche qui appréciait le puits de l'établissement donnant accès à des souterrains précieux en cas d'alerte.
La Grande Pinte de Laplace peut être considérée comme un des premiers cabarets montmartrois où s'exprimaient et étanchaient leur soif poètes et chanteurs!
C'est en 1889 que commence l'histoire de notre cabaret quand la Grande Pinte est rachetée par Gabriel Salis pour devenir l'Âne Rouge.
Le Chat Noir de Rodolphe Salis, d'abord sur le bd de Rochechouart (ensuite rue de Laval, aujourd'hui Victor Massé)
Le nom de Salis est familier aux oreilles des Montmartrois ! Salis! Le Chat Noir! Le cœur même du Montmartre des artistes et de la Bohême! Mais attention, un Salis peut en cacher un autre! Le Chat Noir appartient à Rodolphe Salis tandis que l'Âne rouge est la propriété de Gabriel Salis, son frère cadet.
Enseigne de Willette pour le Chat Noir, rue de Laval (aujourd'hui Victor Massé)
Les deux frères ne s'entendent pas, ou alors comme chien et chat (à cause d'une rivalité féminine)! C'est pour concurrencer Rodolphe que Gabriel ouvre son cabaret à proximité du Chat Noir.
Le nom aurait été trouvé par Willette pour se moquer du mauvais caractère un tantinet buté de Rodolphe et de sa crinière rousse.
Caricatures de Willette :
- Il fut un temps où je portais la farine au moulin...
_ Mais j'en avais plein le dos de Pierrot et de sa farine...
- Et il est mort depuis...
- Là ousqu'est mon mouchoir?
- Mes amis tout ça est à vous... pour de l'argent! Buvez et multipliez!
- C'est pour la réparation de la Butte qui s'écroule sous le poids de ma gloire
- De l'audace, de l'audasse et encore de l'audasssse et toujours de l'audasssssse! (Willette)
Gabriel Salis surnommé le léopard ou encore le don Quichotte de Montmartre, moins autoritaire que son frère entraîne avec lui une partie des habitués du Chat Noir, à commencer par Willette qui accroche dans la grande salle son tableau peint après la Commune "la fédérée de la place du Tertre".
Tableau inspiré par un poème de Richepin qui sera plus ou moins copié par Bruant :
"Le drapeau rouge autour du corps
Lui allait mieux qu'un linceul d'or
Elle est tombée la gueule ouverte
A Mont-merte".
Parmi les artistes qui participent au "décor" en accrochant quelques unes de leurs œuvres, nous trouvons Steinlen, celui-là même qui a créé pour Salis l'affiche devenue icône de Montmartre.
Nous trouvons encore Georges De Feure peintre symboliste qui avait son atelier à proximité, rue de l'agent Bailly et qui mérite d'être redécouvert.
Georges de Feure (femme dans la neige)
L'Âne rouge connaît un grand succès avec la venue de la bande des Hydropathes de Goudeau et avec quelques personnalités marquantes de la bohême montmartroise. Il suffit de citer Verlaine, Charles Cros, Xavier Privas, Marcel Legay, Gaston Couté, Paul Delmet, Willette, Steinlen, Bottini.... Toutes ces figures montmartroises habituées de l'Âne rouge n'en fréquentent pas moins d'autres cabarets, d'autres lieux mythiques aujourd'hui qui se réclament de leur célébrité.
Gabriel Salis dans son cabaret (caricature de Lepetit)
Gabriel Salis contribue à l'ambiance joyeuse et impertinente. Il se réjouit de voir s'anémier le Chat Noir de son frère tandis que son Âne est en pleine forme.
Rodolphe Salis tente de retrouver le succès en organisant des tournées dans toute la France et en innovant avec le théâtre d'ombres dont certaines silhouettes sont conservées au musée de Montmartre. La dernière séance eut lieu en 1896, après quoi Rodolphe pris d'une folie destructrice s'acharna contre le mobilier et la décoration de son établissement, hâtant sa mort définitive.
Il meurt l'année suivante, en 1897. Gabriel Salis eut-il du remords, retrouva -t'il l'affection perdue pour son frère? Toujours est-il qu'il vendit son Âne rouge peu de temps après, en 1898.
Son acquéreur fut André Lesage, dit Andhré Joyeux, compagnon de la première heure et chansonnier apprécié qui n'eut pas le temps de faire ses preuves à la tête de son cabaret car, atteint d'un cancer à l'estomac, il se suicida en septembre 1899.
Il ne reste que quelques années de vie à notre Âne rouge qui est racheté en 1900 par Mauricette Renard puis en 1903 par Léon de Bercy, chansonnier, parolier, membre du Club des Hydropathes et ami de Bruant avec qui il écrit un dictionnaire de l'argot, mais mauvais gestionnaire qui abandonne le pauvre Âne en 1905.
C'est la fin du cabaret mais pas de son nom. Un certain monsieur Choulot ouvre un restaurant qui garde pour sa publicité l'enseigne devenue célèbre.
Quelques années plus tard le nom disparaît à son tour. Les fourneaux du restaurant s'éteignent et c'est une boulangerie qui s'installe à sa place. Fin de l'Âne Rouge!
Le Paprika qui aujourd'hui occupe son emplacement n'a pas détruit la céramique originelle au-dessus de la porte avec notre âne rouge gourmand, tenu en laisse par une femme nue virevoltante! Ultime relique du célèbre cabaret!
Le cimetière Saint-Vincent est celui du vieux village...
Il en a gardé les proportions modestes et l'aspect tranquille.
Et pourtant!
Il raconte bien des histoires.
Il abrite des Montmartrois qui aimèrent leur village et participèrent à sa célébrité.
Cette première visite en annonce de nombreuses autres.
Elle nous mènera devant les tombes les plus célèbres, celles qui font partie du circuit minimal obligatoire!
Le lapin Agile vu du cimetière
Le cimetière fut créé sur un terrain en friche par Jacques Bazin (1762-1833) qui fut maire de Montmartre de 1829 à 1831. Il fut inauguré en 1831 par son adjoint qui lui succéda, Jean-Louis Véron.
Jacques Bazin mourut peu après, en 1833 et y fut enterré. Il n'est pas nommé parmi les personnalités du cimetière alors que sans lui ce lieu n'existerait pas! Sa tombe qui a perdu, depuis presque deux siècles, toute inscription, peut se voir division 12, 1ère ligne...
Il serait temps qu'une plaque rappelle que sans lui il n'y aurait à cet endroit que des immeubles semblables à ceux de la rue Caulaincourt!
Le cimetière était entouré de murs qui subsistent aujourd'hui mais l'entrée était alors située 40 rue Neuve Saint-Denis, à l'emplacement de la rue Saint-Vincent actuelle et non comme aujourd'hui rue Lucien Gaulard à proximité de la place Constantin Pecqueur ...
Une visite rapide nous mènera devant les tombes des "célébrités" locales
Nous aurons le temps (une éternité) de nous recueillir plus tard devant des personnalités moins connues mais qui ont joué un rôle dans l'histoire montmartroise.
Avenue transversale, le vieux calvaire
Voici par ordre alphabétique les "stars" auxquelles nous rendrons visite dans ce premier article :
Marce Aymé (10ème division)
Harry Baur (9ème)
Eugène Boudin (12ème)
Marcel Carné et Roland Lesaffre (4ème division)
Jules Chéret (5ème)
Dorgelès (13ème)
Dumesnil (8ème division)
Arthur Honnegger (8ème division)
Claude Pinoteau (3ème division)
Steinlen (14ème division)
Utrillo (4ème division)
Je rajoute en cette Toussaint 2020 Michou figure emblématique du Montmartre des cabarets (division 12)
Tombe de Marcel Aymé (10ème division)
Marcel Aymé (1902-1967)
Inutile de présenter cet écrivain à part, indépendant, libre de style et d'esprit!
Enfant on a pris plaisir aux Contes du Chat perché, plus tard on a souri avec sa Jument verte et malgré les critiques qui le considéraient comme un petit écrivain douteux, on s'est réjoui de son indépendance et de sa truculence.
N'oublions pas son combat contre la peine de mort (la Tête des autres, mise en scène par Barsaq au théâtre de l'Atelier, de l'autre côté de la Butte)
Place Marcel aymé. Le Passe-Muraille (Jean Marais)
Le "terrien" attaché à sa Franche-Comté a choisi de vivre à Montmartre.
Il a d'abord habité 9 ter rue Paul Féval, à quelques mètres du cimetière, puis 26 rue Norvins. La rue a changé de nom au niveau du 26 et s'appelle désormais place Marcel Aymé. Une sculpture de Jean Marais représentant l'auteur en passe-muraille veille sur le lieu...
Il se peut que la nuit Marcel Aymé passe à travers le marbre noir de sa tombe pour se balader dans le quartier qu'il aimait!
Tombe de Marcel Carné et Roland Lesaffre. (4ème division)
comment l'imaginer étendu sous ce marbre triste, lui le magicien de la lumière.
Avec Prévert il a réalisé quelques uns des plus beaux films du cinéma français : Drôle de drame, Le Quai des brumes, Hôtel du nord, Le jour se lève... et surtout le chef d'oeuvre absolu et indémodable : Les Enfants du paradis!
Les Enfants du paradis! Arletty et J.L. Barrault.
Sous le même marbre est enterré Roland Lesaffre (1927-2009) second rôle dans les films de Carné mais premier dans son coeur!
Au point d'être le légataire universel du cinéaste... et de passer la nuit infinie avec lui!
Roland Lesaffre (L'Air de Paris de Marcel Carné)
Tombe de Harry Baur (9ème division)
Sous un marbre noir sinistre, repose un acteur dont on imagine mal quelle fut la gloire dans la première moitié du XXème siècle.
Harry Baur (1880-1943) a investi de sa nature sensible et puissante des héros légendaires et populaires comme Jean Valjean ou Vidocq.
Il a tourné dans de nombreux films de metteurs en scène de son époque, Dréville ou Tourneur. Il a incarné Beethoven chez Abel Gance et Volpone (avec Jouvet) chez Tourneur.
La fin de sa vie fut tragique puisque, après avoir tourné (sans état d'âme) en 1942 à Berlin, il fut accusé par la presse française malodorante d'être Juif.
Il s'en défendit mais ne put éviter d'être arrêté et déporté avec sa femme. Après quatre mois d'enquête, les Nazis, convaincus qu'il n'avait pas commis le crime de naître juif, le libérèrent.
Mais l'épreuve avait atteint l'acteur en profondeur et il mourut 4 mois plus tard.
Tombe d'Eugène Boudin (12ème division)
Qu'elle est triste la tombe d'Eugène Boudin (1824-1898)!
Lui, l'homme du grand large, des ciels immenses, des météores.... il est enterré sous une pierre grise, à un endroit que caresse rarement le soleil!
Ce précurseur (involontaire et modeste) de l'Impressionnisme, cet amoureux de la mer (il fut mousse) et des plages immenses, lorsqu'il sentit la mort approcher, demanda qu'on l'emmenât à Deauville pour mourir face à la mer.
C'était par un jour lumineux du mois d'août, le 8. Il y avait des voiles blanches sur la mer et des amoureux sur la plage.
L'Impératrice Eugénie sur la plage à Trouville (Eugène Boudin)
Admiré de Baudelaire, de Zola, inspirateur de Monet... il fait partie de la grande histoire de l'art français.
Quel mystère que ce sombre carré où dort sous la terre celui qui a ouvert tant de fenêtres sur l'espace et le rêve!
Eugène Boudin
Dans la 5ème division un monument plus opulent avec des médaillons de bronze qui pleurent sur la pierre signale la tombe de Jules Chéret.
Jules Chéret (1836-1932) est un peintre connu pour son talent d'affichiste.
Il est un des premiers à avoir transformé un art mineur en art à part entière et il n'est pas étonnant que Toulouse Lautrec l'ait admiré et ait été influencé par lui.
Si on peut voir à Paris ses décors peints pour l'Hôtel de Ville ou pour le théâtre du musée Grévin, ce sont ses affiches qui constituent le meilleur de sa production.
Elles donnent l'image la plus éclatante de le Belle Epoque.
Elles sont "en mouvement" comme celles de Lautrec sans pour autant chercher à aller au-delà de la surface trompeuse des visages.
Lautrec est mouvement et mélancolie.
Chéret est mouvemen et insouciance.
Revenons à la littérature avec Roland Dorgelès (1885-1973) 5ème division.
Si un écrivain est à sa place au coeur de Montmartre, c'est bien lui!
On connaît les blagues qu'il aimait faire avec ses amis de la bohême et notamment la présentation au Salon des Indépendants d'une toile de Boronali peinte par l'âne Lolo, alias Aliboron, dont la queue avait été trempée dans des seaux de peinture! C'était juste de l'autre côté du mur du cimetière, au Lapin Agile!>
Il est ami des plus illustres Montmartrois : Carco, Mac Orlan, Utrillo, Max Jacob....
Il a eu plusieurs adresses sur la Butte ou dans le IXème arrondissement : rue Lepic, rue La Bruyère, rue Victor Massé ou rue Camille Tahan, près du cimetière Montmartre.
On lui doit des pages vives et nostalgiques sur notre quartier : "Au beau Temps de la Butte"
"Cet après-midi-là j'étais monté sur la Butte, promenade dont je ne me lasse pas. Parfois, c'est la joie qui m'entraîne, comme si je devais retrouver ma jeunesse là-haut; certains jours, en revanche, ce sont les regrets qui me poussent et je vais à Montmartre comme on se rend au cimetière."
"Les Croix de Bois" sont le plus connu de ses romans, oeuvre composite, kaléidoscope de destins où les hommes tiennent debout grâce à la camaraderie et sont spectateurs de l'horreur, symbolisée par ces croix hâtivement plantées sur les cadavres.
La tombe la plus spectaculaire se signale par un groupe de bronze remarquable en bordure de l'allée d'entrée du cimetière pompeusement appelée "Avenue Caulaincourt".
L'oeuvre du sculpteur Emile Bailly représente un ange qui invite avec tendresse une femme à se laisser prendre par la main et guider vers la lumière. Elle évoque un mouvement de danse.
Elle est à sa place sur la tombe d'un homme, René Dumesnil (1879-1967) qui consacra une partie de sa vie à étudier des oeuvres et des musiciens qu'il aimait.
Il fut aussi un grand spécialiste de Flaubert auquel il consacra plusieurs ouvrages.
Malgré la qualité de son travail, René Dumesnil serait sans doute ignoré de la plupart des visiteurs si le groupe de bronze qui danse sur sa tombe n'attirait leur attention.
Tombe de marbre rose d'Arthur Honegger (8ème division)
On n'enterre pas la musique sous le marbre, fût-il rose!
Arthur Honegger (1892-1955) est joué aujourd'hui dans le monde entier. Sa tombe simple et claire est souvent fleurie par des admirateurs.
L'homme est séduisant, généreux, humaniste. Bien que Suisse, il a adopté Paris, alors que des Parisiens fortunés choisissaient déjà le pays des banques sans morale!
Pendant l'occupation, il choisit de rester à Paris et de résister avec ses moyens, ceux de la musique.
Jeanne d'Arc au bûcher. Ingrid Bergman écrit : " Dans les bras de Honegger, la main sur le coeur de Claudel, où pourrais-je me trouver mieux?"
Parmi ses oeuvres les plus populaires, citons le Roi David (1921), Pacific 231 (1923), Jeanne d'Arc au Bûcher (1938) sur le poème de Claudel.
A Montmartre, il a aimé rencontrer Cocteau, Satie, Picasso...
Le petit cimetière Saint-Vincent se console avec lui de n'avoir pas été choisi par Berlioz qui habitait pourtant à moins de 100 mètres. L'inspiratrice de la Symphonie Fantastique, Harriet Smithson y fut quelque temps inhumée avant que Berlioz ne transférât le corps de celle qui avait été sa femme et la mère de son fils au nouveau cimetière de Montmartre.
Tombe de Pinoteau (3ème division)
Dans la 3ème division, repose depuis huit ans et demi un cinéaste populaire, Claude Pinoteau (1925-2012).
Peut-être aurait-il été plus à sa place au cimetière de Neuilly, ville où il vécut et mourut. Il est vrai qu'il y a peu de cinéastes à Saint-Vincent, à part le génial Carné et Méliès!
(Attention, il ne s'agit pas de Georges Méliès le magicien mais de son frère Gaston, lui même cinéaste aux Etats-Unis!)
La Gifle.Adjani, Girardot. (1974)
Ses films les plus célèbres restent "La Gifle" et "La Boum". g>
Pas sûr que dans un siècle on en parle encore!
L'ordre alphabétique garde pour la fin deux artistes emblématiques de Montmartre: Steinlen et Utrillo.
La tombe de Steinlen (1859-1923) dans un angle du cimetière est constituée de pierres à peine taillées, posées les unes sur les autres et disloquées par les racines d'un arbuste.
Elle convient à celui qui resta marginal et lutta toute sa vie pour les déshérités, les victimes d'un ordre social inique. Il habitait non loin de là, sur ce qui fut le Maquis et devint la rue Caulaincourt. Son Cat's Cottage était accueillant aux crève-la-faim et aux chats. Des dizaines de chats efflanqués y trouvèrent refuge et inspirèrent à leur bienfaiteur des croquis et des dessins qui restent inégalés.
Personne mieux que Steinlen n'a dessiné les chats! Il n'est pas étonnant qu'au premier rayon de soleil, ils viennent se coucher sur sa tombe!
A tout Seigneur tout honneur... une des plus belles tombes est celle d'Utrillo.
Inutile de présenter notre Montmartrois!
Rappelons qu'il est né rue du Poteau au bas de la Butte et qu'il a vécu longtemps au coeur du vieux village. Il a peint des dizaines de toiles représentant les rues et les places de notre quartier. Selon les périodes, ses oeuvres sont plus ou moins naïves, plus ou moins mélancoliques. Parfois les immeubles forment un décor de théâtre, sans acteurs, d'autres fois de petits personnages passent et disparaissent.
Utrillo n'est pas décoratif, il n'est pas pittoresque et quand il s'inspire des clichés, il donne à voir une ville où la tristesse suinte sur les murs malgré les couleurs. Son oeuvre est comme suspendue entre l'enfance et la mort.
Son monument funéraire est adossé au mur qui le sépare de la rue des Saules et du Lapin Agile qu'il a souvent fréquenté et peint.
Rue Saint Vincent, le Lapin Agile et les murs du cimetière.
Et voilà en ce novembre 2020, le plus jeune des hôtes célèbres du cimetière. Il s'agit de Michou que tous les Montmartrois connaissaient appréciaient et aimaient.
Ce picard venu à 20 ans à Paris où il pouvait vivre plus aisément son homosexualité dirigera un cabaret de drag-queens talentueuses aptes à se métamorphoser en Bardot, Dalida, Vartan...
Il a imposé sa personnalité avec sa veste bleue, ses lunettes démesurées et sa chevelure hyper oxydée.
Son originalité ne dissimulait pas un cœur plus gros que lui et beaucoup sur la Butte peuvent témoigner de l'attention qu'il portait aux personnes âgées ou isolées. les invitations qu'il leur adressait pour venir partager champagne et repas dans son cabaret faisaient partie de ces moments de gaité et de partage qui mettent du soleil dans la grisaille.
Il est mort le 26 janvier 2020, un mois et demi avant le grand confinement.
8 mars, rue Feutrier...Pourquoi ces parisiens stationnent-ils malgré le froid dans la rue Feutrier, devant le 21?
Que vois-je? Pourquoi ces agents de police barrent-ils la rue? Mais est-ce possible? Le maire du 18ème sort d'une voiture noire, ventre en avant....
Il prend place derrière un lutrin transparent et il parle... avec à ses côtés de belles personnes ornées d'une écharpe tricolore.
Il parle de... de... mais oui, il parle de Rosa Luxembourg. Dès le début de son discours, il met les choses au point, au cas où l'on aurait risqué de le soupçonner de dérive
extrémiste (!) : "On peut ne pas être d'accord avec toutes ses idées, mais..."
On appréciera... L'adjointe de Delanoé sera plus directe en rappelant l'assassinat de celle qu'on honore aujourd'hui. Forfait perpétré sous le commandement de Noske, un des responsables de la SPD
(parti socialiste allemand) qui réprima l'insurrection spartakiste de Berlin (la Semaine Sanglante) et donna l'ordre d'exécuter Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg : "Il faut que quelqu'un fasse
le chien sanglant: je n'ai pas peur de mes responsabilités".
On écoute avec attention. Après tout, ces histoires sont si éloignées... Quoique...
Joël, le chanteur-poète qui habite l'immeuble même où vécut Rosa Luxembourg, semble nous rappeler derrière ses grilles que la dame aujourd'hui honorée passa de nombreuses années derrière les
barreaux.
Le maire dévoile enfin la plaque...
Et maintenant, nul ne pourra ignorer que dans notre Montmartre, cette femme exceptionnelle a passé quelques semaines et qu'elle y a croisé quelques Communards de retour du
bagne.
....
Annexe : Monument de Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht à Berlin :
Le square avec ses allées tortueuses, ses bosquets, ses rochers et ses grottes n'est pas seulement un lieu de détente pour les familles et un terrain de jeux pour les enfants, c'est aussi un endroit idéal pour les trafics divers comme pour les règlements de compte!
L'Humanité (janvier 1938) relate la découverte d'un jeune italien fasciste, assassiné dans les fourrés :
"Hier matin vers 7h.30, un gardien a découvert dans les taillis le cadavre d'un jeune homme. Le commissaire du quartier et son secrétaire se rendirent immédiatement sur place et constatèrent que le corps portait la trace d'une balle de revolver tirée à la base du sein gauche...
... Dans les poches ils trouvèrent des papiers au nom d'Astolfo Butti, 19 ans, et une carte établissant que la victime appartenait au groupe des jeunes fascistes italiens vivant à Paris et dont le siège est à Rome...
On apprend à la lecture des communiqués de presse de l'époque que les gardiens n'étaient pas seulement armés d'un sifflet mais qu'ils possédaient aussi une arme!
"Hier soir vers 11 heures, alors que des travailleurs se trouvaient au square Saint-Pierre, un gardien leur intima l'ordre de sortir. Alors que les ouvriers ne s'étaient livrés à aucun geste, le garde avait sorti brusquement son revolver et tiré sur la foule. Deux promeneurs auraient été blessés dont l'un, Simonnet Roger, 18 ans, serait dans un état grave à l'hôpital Lariboisière.
On ignore le motif du geste homicide du gardien." (L'Humanité. Août 1935)
Parfois, c'est le gardien qui sert de cible!
"M. Eugène Moteil, gardien du square Saint-Pierre, a essuyé hier soir deux coups de revolver, au moment où il fermait les grilles du square. M. Moteil n'a pas été atteint." (Le Figaro. Avril 1904)
Nous voilà rassurés!
Les jardins attirent également de curieux personnages, parfois névrosés! Comme cette femme à l'allure anodine qui guettait les fillettes "les éloignait de leur mère, les embrassait puis leur arrachait leurs boucles d'oreilles et leur coupait les nattes."
Après de nombreuses plaintes, elle fut arrêtée. Il s'agissait de Jenny Bourafour, âgée de soixante-six ans chez qui on retrouva "de nombreuses boucles d'oreilles en or et quantité de nattes de cheveux." (Gil-Bas. Septembre 1900)
La plupart des faits divers ont pour instrument non pas une paire de ciseaux mais un revolver... ou plus rarement un rasoir!
"Le 29 septembre dernier, un ouvrier italien nommé Dominique Izzi, âgé de 28 ans, avait tiré quatre coups de revover sur Mme Laubat, hôtelière, 23 rue des Abbesses, qui lui avait ordonné de cesser de la poursuivre de ses assiduités.
Izzi avait disparu. Des agents de la Sûreté l'ont arrêté, hier matin, au moment où il traversait le square Saint-Pierre.
Il fallut entamer une véritable lutte avec le misérable qui tentait de faire usage d'un rasoir, pour le mettre hors d'état de nuire. Izzi est au dépôt. (L'Humanité. Novembre 1904)
Un pistolet remplace le "revolver" dans cette histoire plus triste...
"Des gardiens de la paix ont trouvé étendu sur le sol, vers une heure du matin, le cadavre d'un jeune homme d'une vingtaine d'années environ. Près de lui, dans la boue, ils découvrirent un pistolet automatique de fort calibre.
L'enquête ne tarda pas à établir qu'on se trouvait en présence d'un suicide. Le désespéré est un élève de l'Ecole des Hautes Etudes Commerciales, M. A. dont les parents habitent Montmartre. Pendant que ses parents étaient allés au théâtre, le jeune homme était parti pour mettre son projet à exécution, leur laissant une lettre dans laquelle il leur faisait part de sa funeste détermination.
On croit qu'elle est le résultat d'un surmenage intellectuel. (Le Petit Parisien. Octobre 1922)
Croisement Muller (aujourd'hui Utrillo) et Saint-Marie (aujourd'hui Paul Albert.
Et pour terminer en feu d'artifice comme il s'en donne dans le square le soir des vendanges...
"Une violente explosion qui mettait en émoi les habitants de la butte Montmartre, s'est produite hier soir, vers sept heures et demie dans une vespasienne située à l'intersection des rues Muller et Sainte-Marie, contre la clôture du square Saint-Pierre.
Les grilles du square ont été immédiatement fermées et des agents ont été placés pour en surveiller les abords et empêcher également que l'on approche de l'endroit où s'est produite l'explosion." (Gil-Blas. Octobre 1910)
Tant pis pour ceux qui étaient saisis d'une envie pressante!
Aujourd'hui avec l'afflux des touristes, le square Saint-Pierre devenu Louise Michel est le théâtre de vols, de trafics et d'arnaques en tout genre. Ils ne font pas l'objet d'articles de presse tant ils sont banals!
Quand même je ne résiste pas au plaisir de mentionner un article du Point :
L'uniforme n'impressionne plus. C'est le constat établi par des riverains du square Louise-Michel. Samedi après-midi, vers 16 heures, le préfet de police Bernard Boucault, accompagné de Jacques Meric, ancien conseiller police de Manuel Valls et actuel patron de la sécurité publique de l'agglomération parisienne, débarquent à proximité du Sacré-Coeur.
Au bas de la butte Montmartre, les habitants et les touristes sont régulièrement importunés -certains agressés verbalement ou physiquement - par des joueurs de bonneteau ou par des "tresseurs". Ces derniers nouent des bracelets autour du poignet des promeneurs, lesquels, une fois ferrés, doivent les "acheter". Lorsqu'ils refusent, la situation peut dégénérer.
C'est dans ce contexte que le préfet effectue sa sortie. Le trio - Boucault, son chauffeur et Meric - descend de son véhicule afin de mettre fin au manège des tresseurs. Mais les contrebandiers ont du répondant. Le préfet de police reçoit alors une gifle, Jacques Meric un coup de pied et le chauffeur un coup de poing. S'il est impuissant à mettre hors d'état de nuire ce commerce illicite, le préfet Boucault peut désormais poursuivre ses agresseurs pour violences volontaires sur personne dépositaire de l'autorité publique.
Le Point (septembre 2014)
Par chance, les agresseurs n'avaient pas de "revolver"!
Les informations proviennent du petit livre édité par les éditions Baleine, rue Muller : "C'est arrivé près d'ici" (faits divers, drames et accidents à travers le presse de l'époque entre 1880 et 1940).
Le palais de Mysore... Une imposante bâtisse qui ressemble à une gare ou à des grands magasins fin de siècle.
Une architecture composite (1897-1912) de style indo-british, assez pompeuse et ostentatoire due à un architecte anglais, colonisation oblige, du nom
d'Irwin Henry. Un festival architectural qui mêle influences indiennes, musulmanes, gothiques... Un monstre qui à force de monstruosité finit par être original et créer son propre
style..
L'intérieur qu'il est interdit de photographier (!) est plus intéressant avec ses décors qui font
penser à des toiles de Gustave Moreau, un mélange hétéroclite d'orient et d'occident...
...comme cette salle remarquable, la salle du mariage, qui évoque à la fois un opéra et le grand hall des Galeries Lafayette.
J'ai volé la photo à Antoine et Anna qui l'avaient eux-mêmes volée avant d'être volés par les agents de l'ordre (!) qui ne leur ont rendu leur appareil numérique
qu'après les avoir rackettés !
Les habitants de Bengalore viennent en foule devant la façade, avec grands parents et enfants, le dimanche soir à la tombée de la nuit...
... C'est que soudain le palais s'illumine... Un pointillé de lumières en souligne chaque détail architectural et le propulse dans la nuit comme un château
de rêve, un château de Contes de fées...
Et on ne saurait expliquer pourquoi on reconnaît soudain dans ce mastodonte illuminé, le charme et la poésie de l'Inde des Maharadjahs.
Est-ce parce qu'au dessus de l'arche centrale trône la déesse Gajalakshmi qui entourée de ses éléphants assure richesse, chance, prospérité à ceux qui la
vénèrent? Une bonne fée comme celle des contes, comme celle qui donne la lumière aux presque 100 000 ampoules accrochées sur la façade et qu'on a longtemps appelée "la fée
électricité".
Les murs extérieurs, la porte sud par où passent les éléphants lors des grandes fêtes, sont illuminés eux-aussi...
... et l'on reste devant cette ville irréelle surgie de l'ombre, comme des enfants devant l'arbre de Noël...
Et même les insectes qui vibrent dans l'air tropical se mettent à briller comme autant de fées Clochette...
Lieu magique, l'atelier-appartement de Valadon, bien que reconstitué, semble avoir traversé le temps et s'ouvrir tel qu'il était quand Suzanne, son fils et son mari y vivaient.
valadon, Utter et Utrillo autour du poêle...dans l'atelier
Le poêle fidèle au poste...
C'est que les humains laissent des traces de leur passage. Leur parfum, leurs rêves, leurs gestes, leurs angoisses ou leurs joies ont la vie dure et continuent d'imprégner l'atmosphère...
Chacun de nous a fait cette expérience d'être saisi d'émotion devant un paysage ou un lieu sans comprendre pourquoi.
Combien d'années Suzanne Valadon a t-elle vécu ici?
En cet endroit de Montmartre qu'elle aimait et qu'elle peignit maintes fois dans la clarté du printemps...
Erik Satie (Suzanne Valadon)
Satie
Sa liaison de trois mois avec Erik Satie, fou amoureux d'elle lui permit de rencontrer un ami du compositeur, Paul Moussis, un agent de change qu'elle épousa en 1896...
Le couple choisit de vivre rue Cortot sans s'encombrer du garçon que Suzanne avait mis au monde en 1883 (elle avait 18 ans).
Ce fils (Maurice Utrillo) fera quelques séjours chez sa mère mais sera élevé par sa grand-mère Madeleine.
Auto portrait allégorie du siècle (Emile Bernard)
En 1905, Suzanne et son mari changent d'adresse. Quelques années plus tard, ils divorcent (1911) et après quelques mois passés impasse de Guelma (aujourd'hui villa de Guelma) Suzanne revient vivre rue Cortot où l'atelier et le petit appartement sont libres, Emile Bernard qui les occupait, ayant déménagé.
André Utter, Suzanne Valadon (détail) (Suzanne Valadon)
Elle n'est pas seule. Elle est tombée amoureuse d'André Utter, plus jeune qu'elle d'une vingtaine d'années et qui est l'ami de son fils.
Utrillo, Valadon le chat Raminou et André Utter dans l'atelier
Valadon, utrillo, Utter....
De 1912 à 1926, elle vit ses années heureuses et tourmentées à la fois avec celui qu'elle épouse en 1914 et son fils qui habite avec eux rue Cortot.
L'appartement et l'atelier que nous voyons aujourd'hui sont tels que nous les montrent les photos prises quand "le trio diabolique" y vivait.
Les pièces d'habitation étroites et assombries par un papier peint à fleurs contrastent avec la luminosité de l'atelier. Une petite chambre a été reconstituée sur la rue. c'est celle qu'occupait Utrillo.
La fenêtre a gardé les barreaux qui empêchaient le peintre de jeter dans la rue de trop gros objets et lui évitait la tentation, lors de ses crises, de se jeter lui-même!
Sur le lit un nounours rappelle l'enfance difficile d'Utrillo qui avait souffert de l'absence d'une mère qu'il vénérait.
Une toile sur le mur date de sa "période blanche" la plus créatrice et sans doute la plus belle...
En 1926 Suzanne Valadon se sépare d'Utter et quitte la rue Cortot pour habiter avenue Junot dans la maison achetée par son fils.
Elle a encore douze années à vivre pendant lesquelles elle passera souvent devant son ancien atelier et pensera avec nostalgie aux années passées...
Quelques cadres avec des photos sur les murs ou la cheminée de l'appartement donnent l'illusion qu'il est toujours habité.
Ce sont des photos de Suzanne dans sa jeunesse, de la mère et de son fils...
Photos du passé, images qui ne veulent pas mourir...
Les souvenirs sont les battements de cœur du présent...
Et Dieu sait qu'il bat fort le cœur de Montmartre!
Le Passage des Abbesses s'appelle en 1830 Passage de l'Arcade, du nom de la rue qui est dans son prolongement : la rue de l'Arcade (aujourd'hui rue Androuet).
C'est un chemin de terre malcommode qui après le rattachement du village à Paris est loti de petits immeubles de rapport sans charme.
Le Passage bien que situé au cœur d'un quartier bobo n'a pas perdu son aspect un peu cradingue!
A Paris, toute voie à l'écart devient vite un lieu de décharges sauvages!
Déjà en 1874, on y trouvait de louches activités!
"Une descente de police a été faite dans la nuit d'hier dans un tripôt, passage des Abbesses, à Montmartre. Les enjeux ont été saisis et on a arrêté onze individus connus pour des grecs de profession"
Le Petit Journal (08/09/1874)
Mystère : qui sont donc ces "Grecs de profession"?
Le 2
Le 2 Passage des Abbesses.
"Mme veuve Barde, cinquante-six ans, ouvreuse dans un music-hall de Montmartre, et demeurant 2 passage des Abbesses, meurt subitement de congestion rue de Calais."
Le Matin 15/09/1913
Quand Dubois s'enflamme!
"Un incendie a pris des proportions considérables à partir d'un chalet de bois contenant des planches appartenant à Mr Dubois, fabricant de moulures.
Le feu s'est communiqué rue Ravignan. Pendant plus d'une heure, les pompiers n'ont pu disposer que d'une pompe à bras. Une femme paralytique a pu être sauvée. Tous les autres locataires ont pu heureusement évacuer leur domicile. Les dégâts sont considérables.
Le XIXème siècle (03/07/1886)
Un chalet de bois, des planches, des moulures chez Mr Dubois! On se croirait chez Courteline!
Le 4 Passage des Abbesses.
Paradis artificiels!
"Au cours d'une crise aiguë, une américaine, Miss Alice Taylor a dévoilé le nom de son odieux fournisseur. Il s'agit de Jean Susini, un Corse de 28 ans, repris de justice, habitant 4 Passage des Abbesses."
Le Populaire (09/03/1938)
Au 4 habitait également Paul Richard, 22 ans, "qui vendait aux passants des articles de parfumerie volés dans plusieurs grands magasins. Une perquisition a fait découvrir un stock important de sacs à main et diverses marchandises."
Le Matin (02/07/1936)
Au fond les acheteurs étaient moins grugés que ceux qui font aujourd'hui confiance aux vendeurs du boulevard Rochechouart, spécialisés dans les contrefaçons.
Toujours au 4, une triste fin!
"La misère a poussé un ancien employé de commerce, nommé Jean Alizon, âgé de 49 ans, à s'asphyxier à l'aide d'un réchaud de charbon dans le taudis où il vivait misérablement au n°4 du passage des Abbesses."
Le Radical (22/09/1901)
Encore au 4 ,l'immeuble le plus cité de la rue!
"Depuis quelque temps des colis disparaissaient des voitures de chemin de fer chargées de faire la distribution dans le quartier. Une surveillance spéciale fut exercée et, hier soir, des agents surprenaient un sieur Gaston Habillon, journalier, 4 Passage des Abbesses, au moment où il s'emparait de deux colis.
Conduit chez M. Cornette, commissaire de police, Habillon a avoué qu'en un mois il avait volé plus de cent paquets. Il a refusé de faire connaître le nom et l'adresse du marchand qui recélait les objets volés."
Le Petit Parisien (13/02/1932)
Gageons qu'Habillon était habillé pour l'hiver!
Le 6 Passage des Abbesses.
Où l'on apprend qu'être communiste était un délit!
"Des agents cyclistes ont arrêté Aurélie Andurant, cinquante-trois ans, fille de salle, qui distribuait aux passants une feuille communiste.
Pour le même délit, l'ajusteur François Vellard, domicilié 6 Passage des Abbesses, a été arrêté près de la mairie."
Le Matin (30/04/1899)
Encore au 6!
"L'individu blessé grièvement par l'explosion d'un siphon, chez un marchand de vins de la rue des Abbesses, est mort des suites de ses blessures quelques heures après son transport à l'hôpital.
C'est un sieur Honoré, scieur de pierres, demeurant 6 Passage des Abbesses."
Le Gaulois (05/09/1985)
La drogue toujours la drogue! Une spécialité du Passage!
"Une bande de voleurs et de trafiquants chez qui on a saisi pour près de 500 000 francs de drogue et de produits pharmaceutiques vient d'être arrêtée à Montmartre par les collaborateurs du commissaire Legay de la brigade mondaine.
L'inspecteur principal Metra arrêta le garçon de café Robert Van de Flaes, 21 ans, 6 Passage des Abbesses, alors qu'il était porteur d'un kilo de drogue.
Avec la drogue trouvée sur Van de Flaes, les saisies effectuées portent sur 2 kilos 225 de morphine et de cocaïne et sur une dizaine de kilos de produits pharmaceutiques divers, parmi lesquels une importante quantité de chloroforme. Le tout représente une valeur d'environ un demi-million de francs et une quantité suffisante pour intoxiquer largement Montmartre."
Paris-Soir (11/05/1941)
Question : Aujourd'hui cette quantité serait-elle capable d'intoxiquer "largement" toute la Butte?
"Hier dans l'après-midi, Jean Boisserat, âgé de cinquante-sept ans, demeurant 10 Passage des Abbesses, est mort subitement sur la voie publique à la suite d'une hémorragie. M. Cornette, commissaire de police, a fait transporter le corps au domicile du défunt."
La Lanterne (11/08/1896)
Le pigeon et le canapé, passage des Abbesses, le 15 décembre 2015!
le dernier immeuble donne en façade rue des Trois frères (59) et en partie sur le Passage. Il fut le témoin d'un acte de désespoir et de solitude comme il en advient parfois dans nos cités, à l'abri de nos regards....
"M. Bru, marchand de vins-restaurateur, établi 59 rue des Trois-Frères, à l'angle du Passage des Abbesses, s'est donné la mort, la nuit dernière, vers deux heures du matin, en se tirant trois coups de revolver dans le cœur.
On attribue cet acte de désespoir aux souffrances endurées par M. Bru, qui était atteint depuis longtemps d'une grave et cruelle maladie."
L'Humanité (12/12/1904)
La maison Collignon où officie Djamel Debouze dans le film "Amélie Poulain".
M. Bru habitait face à l'épicerie Collignon, rendue célèbre par Amélie Poulain. Si Amélie avait existé alors, peut-être aurait-elle aidé M. Bru comme elle avait la passion de le faire avec les blessés de la vie!
Sur les marches en haut de l'escalier... La devise de l'Abbaye de Thélème (et de ses abbesses!)
Aimez-vous!
Face au Passage la rue Androuet et ses œuvres éphémères. Ici un Christ noir en hommage à Basquiat...