Le roman de Léon Frapié, publié en 1904 et couronné du Prix Goncourt (à l'époque où seuls de grands livres recevaient cette récompense) ne pouvait qu'inspirer Poulbot.
Huysmans, président du jury écrit que ce roman "pue le paupérisme de Paris et la crasse des gosses. c'est nerveux, pris sur le vif."
Léon frapié qui avait déjà écrit "L'Institutrice" immerge son héroïne, Rose, jeune fille déclassée, contrainte d'accepter un emploi de femme de ménage dans une maternelle de Ménilmontant, dans un monde qu'elle ignorait, celui de la misère, des familles sans ressources, de l'alcoolisme et de la brutalité. Peu à peu, sa pitié pour les petites victimes, se transforme en élan maternel.
Elle confie ses peines et ses révoltes à son journal dont certaines pages très dures sont des critiques sociales, brûlantes comme des brandons.
Les enfants miséreux reçoivent l'enseignement républicain certes, mais décalé par rapport à ce qu'ils vivent. On leur apprend à être soignés alors qu'ils n'ont ni vestes ni chaussures. On leur rappelle le devoir d'aimer et respecter leurs parents alors que pris par le vin ou par l'absinthe, leurs géniteurs se défoulent sur eux à coups de ceinturon.
Poulbot qui a vécu dans le maquis de Montmartre et dont les parents étaient instituteurs à Saint-Denis, connaît ce milieu.
Il a observé ces enfants, joueurs malgré leur condition, insouciants quelques rares instants... comme les chats efflanqués des rues qui jouent parfois dans une flaque de soleil...
Ses dessins pour le livre de Frapié font partie du meilleur de son oeuvre, comme ceux qu'il a consacrés à un autre gosse malheureux, le petit Poil de Carotte.
Ses dessins se passent de commentaires. Ils ont la force et la fragilité de l'enfance. Ils dénoncent la misère et l'injustice. Ils sont tragiques et amoureux.
Le journal de Rose
"J'obtins l'emploi de femme de service à l'école maternelle de la rue des Plâtriers, XXe arrondissement."
"Je n'étais pas seule de service, j'avais une collègue, particulièrement chargée de la cantine et du bureau de la directrice, mais tenue aussi de me seconder: madame Paulin..."
"Madame Galant (...) frappa dans ses mains et commanda, s'adressant surtout au groupe des "moyens" ses élèves : chantons!"
Rose ne parvient pas à différencier le sexe des élèves. Madame Paulin lui montre comment faire, en retournant le gosse...
"...Des fillettes se tenaient par le bras, à quatre, et marchaient, très occupèes de leur bavardage (...)."
"Les enfants qui déjeunent à l'école défilent dans le préau, et prennent leur panier, entre le lavabo et le calorifère."
"A quatre heures, avec madame Galant, j'ai conduit, jusqu'au coin de la rue, le rang des élèves qui s'en vont seuls"
"... J'ai surpris une gamine, qui sournoisement, l'oeil sur moi, fouillait dans ma cachette."
"On trouve toujours sur le trottoir, devant la porte, un groupe de femmes en cheveux, en tablier, camisole et fichu de laine, un panier ou un nourrisson au bras, jeunes mais fânées..."
"La grosse madame Galant debout, loin de moi, contre la porte de la cour, crie beaucoup et confisque des bons points, des billes, des soldats en papier, des bouchons; voilà donc pourquoi ses poches de tablier se gonflent telles des mamelles supplémentaires."
"-C'est Machin qui lui a flanqué un coup de pied dans "l'livarot".
"Un maçon et sa femme attendent leur progéniture sous la pluie. Ils ne possèdent qu'un chapeau de famille, un vieux feutre marron taché de plâtre; c'est la femme qui l'a sur la tête, mais voici la gamine attendue: à son tour d'en jouir."
"Deux garçons à plat ventre sur le trottoir, soufflaient dans le ruisseau sur un bateau fait d'un bouchon et d'une allumette."
"Il vint à moi, son tablier retroussé, les deux mains dans les poches de pantalon et tranquillement, avec philosophie, le regard voyageur, il me dit : - Elle m'a foutu à la porte."
"Au chemin de fer! ordonna-t-il et il s'élança imitant le sifflet de la locomotive et suivi de sa cohorte grossissante."
"...Ils tombaient le derrière par terre."
"Louise Cloutet, la Souris... Il faut la voir arriver avec son panier, son carton et son frère, un bambin de trois ans, de l'espèce naine aussi, qu'elle appelle son "poussin"."
"Virginie Popelin, à la deuxième rangée, juste derrière la Souris, c'est la vicieuse née, incorrigible et hypocrite jusqu'au merveilleux."
"Une fois, elle s'était rencontrée dans le coin du lavabo avec Bonvalot. - Boutonne-moi mon tablier."
"Madame, voyez! encore ce monstre d'Adam à cheval sur cette porte de cabinet!"
"Les mères viennent l'une après l'autre et, me trouvant seule, s'accoudent à la balustrade."
"Quelques enfants restant, épars sur un banc..."
"-Elle est bonne ta maman ... Pourquoi l'as-tu battue? - Pour faire comme papa."
"Au cinquième étage. La porte s'ouvre de cinquante centimètres. J'aperçois une femme sur une chaise qui coud et deux enfants tout habillés, sur un lit."
"Une vieille dame habitait à la campagne avec son chat nommé Mistigris."
"Le courant d'enfants est arrêté par un incident ordinaire de la rue : rixe entre hommes ou femmes, excentricité d'ivrogne, amours de chiens."
"j'en compte çà et là une quantité, filles, garçons, grands, petits, moyens, qui, sans erreur possible, ont le visage modelé par les coups. En a-t-il fallu des brutalités depuis leur naissance!"
Ce qui est évident dans les dessins de Poulbot, c'est l'absence de mièvrerie, le refus de représenter les gosses comme des angelots. Ils ont des trognes, des visages de petits adultes. Ils sont à l'opposé de ce que l'on appelle aujourd'hui les "petits poulbots"mièvres et stéréotypés.
Voilà ce qu'on trouve aujourd'hui sous le nom de "poulbots"! La laideur et le vulgarité. Et ça marche!
Il y a dans les dessins de Poulbot une grande compassion qui lui permet de faire émerger de ces corps malheureux et maltraités, une énergie, une volonté ou une tristesse de petits animaux attachés malgré tout à leurs maîtres, à leurs parents souvent déficients.
Les adultes eux-mêmes sont dessinés sans concession mais sans méchanceté. Poulbot avec ses dessins, montre une société avec ses tares et ses tragédies quotidiennes, comme Zola avec sa prose. Tous deux sont humanistes et généreux, proches de ceux qu'ils ne caricaturent pas mais auxquels ils accordent sans romantisme toute leur attention et leur fraternité.
suite.... La Maternelle de Léon Frapié. Dessins (2)
................................................................................................................................................................
Liens Poulbot:
Poulbot. Maturité. Succès. Les Gosses. (2)
Poulbot. Engagement social. Petits Poulbots. (3)
Poulbot. Dessins. Esquisses.
Début. Avant 1910.
Poulbot. Poil de carotte. Illustrations. (1)
Poulbot. Poil de Carotte. Illustrations. (2).
Tous les articles :
Liste et liens: Peintres et personnages de Montmartre. Classement alphabetique.
.............................................................................................................