Le vieil homme et sa chatte
Il la tient contre lui La serre sur sa poitrine
Elle est chaude et calme et abandonnée
Elle dort enfin Elle dort C’est ça Elle dort
Elle ne se réveillera pas la nuit avec une plainte qui fait trembler le rayon de la lune
Entre les rideaux rouges
Elle dort contre lui Il ferme les yeux Il sourit
Il craignait ce moment Il l’attendait depuis le jour où il était tombé sur le carrelage
Il était resté là conscient et immobile avec contre son visage la petite tête inquiète
Le museau contre sa joue Le ronron dans les oreilles
Elle ronronnait Elle était là Elle ronronnait
Elle disait Réveille-toi Je suis là Je suis près de toi Ne pars pas
Il était parti mais pas pour de bon Parti pour l’hôpital
Trois semaines à l’hôpital Quand il était revenu elle était derrière la porte
Une voisine l’avait nourrie
Une voisine gentille qui n’aimait pas les chats et ne savait pas qu’ils ont besoin de paroles
Dans n’importe quelle langue mais des paroles des vraies qui disent les choses simples
Ne t’inquiète pas Il va revenir Il pense à toi Tu es belle
Il avait changé Il marchait avec une canne Il dormait souvent
Il n’utilisait plus qu’une main C’était la main des caresses
Les sons qui sortaient de sa bouche étaient différents
Elle les comprenait Elle n'en perdait pas une miette
Tous les deux s’aimaient à vivre Ils regardaient la même télé Lui dans le fauteuil
Elle sur ses genoux Elle ronronnait comme un ventilateur
Ils mangeaient à la même heure
Lui sur sa chaise Elle sur la table
Quel âge avait-elle Quinze ans peut-être
Dans les refuges on connaît mal le passé des chats qu'on ramasse
A moitié morts sur le trottoir
Son âge à lui il le savait Depuis ses soixante ans il feignait de l’ignorer
85 ans c’est un âge considérable pour un jeune homme qui avait essayé
Comme un poète romantique de se tuer à 24 ans
Maintenant il désirait vivre
Aller quelques centimètre Quelques secondes plus loin qu’elle
Pour être là le jour venu
Pas question de mourir avant elle
Pas question de laisser des hommes avec des gants de cuir la saisir
Elle la précieuse au poil soyeux aux narines roses
Aux yeux dorés bordés de mascara
Il la caressait avec une délicatesse de brume
A peine il effleurait la boule sur son cou
La boule qui grossissait
Une mandarine C’était une mandarine
Impossible d’opérer a dit le véto Il n’y a rien à faire
Il regardait grossir la boule Serpenter les fines craquelures sur la peau
Il était terrifié Il était rassuré
Il vivrait plus longtemps qu’elle Il serait là le jour venu
La nuit il se levait quand sa plainte faisait trembler le rayon de la lune
Entre les rideaux rouges
Il la prenait contre lui Il chantait
C’est comme ça qu’elle est partie Poliment
Elle est partie avant lui Avec délicatesse
Il sourit en se couchant sur le carrelage
Il est heureux Il a chaud
Il la serre fort contre lui
Personne ne pourra l'arracher
Il ferme les yeux Il dit merci à la vie
C’est comme ça
Et c’est bien
| |||