Le 29 décembre, Nicole et moi décidons d'aller traîner nos pas dans le petit cimetière, au bas de la butte, cet enclos qui porte le nom du patron des
vignerons et qui jouxte presque la dernière vigne de Montmartre. Nous sommes accueillis par un ange juvénile et boudeur. Accueillis n'est pas vraiment le mot. Il nous ignore, enfermé qu'il est
dans la pierre et la méditation.
La petite maison de Platon
et Papoue. Ils sont tous deux derrière la vitre et nous regardent. Ils nous rappellent qu'entre les morts et nous il n'y a que cette vitre, parfois embuée ou poussiéreuse mais bien présente. Ils
devaient s'aimer ces deux là, morts à quelques mois de distance. Nous n'avons peut-être qu'un seul grand amour dans notre vie, amour auquel on ne peut survivre.
Deux femmes légères sur les branchages nus. Celle qui s'élève semble inviter l'autre à partir avec elle. Sa main caresse son épaule et
invite les bras ouverts à se refermer autour de ses jambes pour s'abandonner à l'assomption...
L'ange qui veille
sur la tombe d'Utrillo et de Lucie. Derrière le mur, la rue des Saules et le cabaret du lapin agile, les vignes et la maison rose, autant de lieux peints par celui que recouvre aujourd'hui le
sinistre marbre.
La main de l'ange, pour tenir un
pinceau, pour porter à ses lèvres une coupe de champagne, pour caresser le visage des êtres aimés, pour se fermer soudain et cogner contre la mort.
Sur une tombe, ce rappel de la vie la
plus exaltée. Ces corps faits pour être chauds et s'enlacer. Cette main posée sous un sein tendu... Mais ces corps menacés, ces souvenirs de papier
brûlant que le bronze ne saurait garder qu'en les figeant, comme des fragments d'obus après l'explosion.
La tombe la plus banale et
la plus pesante pour celui qui nous a donné un univers et des images comme des oiseaux ou des nuages. On n'enterre pas les nuages. Les Enfants du Paradis, le plus beau film jamais tourné, pour
moi... Qu'ils continuent de donner à leur créateur la jeunesse et la passion, et s'il existe un paradis, qu'ils soulèvent cette pierre stupide et l'entraîne là haut, là où vont ceux qui n'ont pas
de quoi se payer l'orchestre...
Il est représenté ici avec chapeau
et moustache, le bonhomme. Il sourit, satisfait et nous regarde. Il semble ignorer la jolie femme qui tourne vers lui la tête et dont le bras semble indiquer le chemin. Le lierre rampe sur la
pierre, plus vivant malgré l'hiver que le bourgeois chapeauté.
Ce n'est qu'un morceau de rocher,
quelques pierres disjointes et un fouillis de plantes et de lierre. C'est là qu'habite Steinlein, le plus doué dessinateur de chats. Personne comme lui n'a su saisir la beauté de ces créatures
uniques. Cet endroit semble fait pour eux, il y a des cachettes, des arbres, des buissons et un mur par où prendre la poudre d'escampette.
Bon d'accord ce n'est qu'une pierre bien noire et lisse
et sans grâce. Mais vous pouvez y lire : Papa Borde, Maman Borde, Fils Borde... N'est-ce pas émouvant ce désir de rester ensemble, trinité gravée dans le marbre. Il devait y avoir beaucoup
d'amour et de complicité chez ces trois là. Leur tombe devrait être multicolore avec des nains de jardin, beaucoup de fleurs des champs et des oiseaux qui s'égosilleraient toute l'année.
Il y a encore beaucoup de personnes
sympathiques dans ce cimetière... Eugène Boudin le mal nommé dont les ciels et les plages ne cessent de vibrer, clairs, dans nos regards...Marcel Aymé qui voudrait bien que son passe-muraille
l'aide à sortir de son trou... L'étonnant Ségir dont la tombe, selon son désir, émet des ondes qui guérissent les cardiaques...Harry Baur, acteur inoubliable.... mais celui qui nous attendait à
la sortie du cimetière, il était bien vivant, bien nourri, c'était l'habitant des lieux, l'âme ombre et lumière qui à force de se poser sur les tombes a recueilli un peu de chaleur et de vie de
chacun.
Lien :
Cimetière Montmartre.
Classement alphabétique. Calvaire et Saint-Vincent.
Promenade cimetière de Montmartre (1) Juifs et chats(1ere partie)