La Mascarade Nuptiale de José Conrado Roza (1788) est la toile la plus surprenante et la plus étrange du Musée du Nouveau Monde. Elle est aussi la plus révélatrice d'une société aux moeurs arrogantes et racistes.
Du peintre on ne sait pas grand chose, sinon qu'il était fils de peintre et recevait des commandes des souverains portugais et plus particulièrement de Marie 1ère qui fut reine de 1877 à 1816.
La reine était connue pour sa grande piété (ce qui nous interpelle sur ses petits arrangements avec la doctrine chrétienne!) à tel point qu'elle fut surnommée "la pieuse".
Elle eut le cerveau quelque peu détraqué à l'approche de la soixantaine. Elle fut paraît-il très choquée par les événements de France, cette Révolution qui coupait les têtes royales et abolissait l'esclavage.
Au Brésil, possession portugaise où elle se réfugia après l'annexion de son pays en 1807 par le libérateur de l'humanité Napoléon Bonaparte, elle fut surnommée "la Folle". C'est dire qu'à sa manière, elle perdit elle aussi la tête!
Elle mourut en 1816 et son corps fut rapatrié à Lisbonne dans un imposant tombeau érigé dans la basilique d'Estrela qu'elle avait fait construire.
En 1788, elle passa commande à son peintre favori s'une toile mettant en scène ses esclaves préférés, des nains chargés de la divertir. Elle ne faisait que suivre la mode initiée notamment par la cour espagnole et Philippe IV. Velasquez a représenté quelques uns des nains de cette cour.
Le titre de la toile fait penser à une parodie de mariage, une mise en scène ridiculisant les petits personnages sommés de poser avec sérieux.
Mais ce titre "Mascarade nuptiale" lui a été attribué bien des années après son exécution. La thèse qui prévaut aujourd'hui sans convaincre, plaide pour la représentation d'un vrai mariage.
Quoi qu'il en soit l'oeuvre revêt une poésie étrange et douce, faite de mystère et de silence. On pense à l'atmosphère qui plus tard habitera certaines oeuvres du Douanier Rousseau avec ses personnages qui flottent dans l'air.
La petite mariée est Dona Roza, la naine favorite de la reine qui la couvre de cadeaux et ne se déplace qu'avec elle.
Les détails sur l'âge et l'origine des nains sont écrits sur leurs vêtements.
Dona Roza est âgée de 18 ans, originaire d'Angola. Son esprit enjoué, sa bonne humeur et sa spontanéité plaisent à la reine qui l'habille de vêtements somptueux comme elle le ferait de sa poupée préférée.
L'heureux marié est Don Pedro, originaire du Luanda. Son âge est incertain, entre 30 et 40 ans...
Au-dessus des deux mariés qui sont debout sur une calèche, au sommet de la composition pyramidale de la toile, se tient Martino de Mello e Castro venu de Bahia. Il est âgé de 14 ans.
Il est coiffé d'une mitre d'évêque. Les défenseurs de la thèse du vrai mariage auront du mal à expliquer cet accoutrement. Si vrai mariage il y avait eu, un vrai responsable religieux aurait officié.
Ce déguisement est forcément dérisoire. La scène ressemble plus à un carnaval qu'à une cérémonie religieuse à laquelle la reine et la cour auraient assisté!
Devant les mariés, on voit à droite, prêt à jouer de la flûte pour accompagner la noce, Sebastiao, originaire du Mozambique, âgé de 31 ans.
A sa droite un garçon de 12 ans, le seul à n'être pas nain. Il est là comme "curiosité" susceptible de surprendre la cour et ajouter au prestige de la collection royale.
Il s'appelle Sicario et il est originaire de Cotingiba au nord-est du Brésil. Sa dépigmentation partielle est un albinisme incomplet qui lui confère sa valeur de pièce rare. Imaginons l'existence de cet enfant, exhibé comme un phénomène de foire par la très pieuse reine du Portugal.
A la droite de Sicario on trouve encore Dom José âgé de 30 ans, originaire du Brésil et Dona Anna, âgée de 17 ans, originaires du Mozambique.
Le dernier nain représenté est Marcelino, 26 ans, de Mariua en Amazonie. Il est habillé pour satisfaire la curiosité des courtisans de sa tenue d'Indien. Il brandit un arc bandé dont la flèche est dirigée vers une colombe perchée sur une branche.
Là encore les tenants de la thèse du mariage sérieux auront du mal à justifier cette pesante allégorie. La blanche colombe symbolise la virginité de la jeune Noire Dona Roza, la flèche le membre viril de son nouvel époux!
Au-dessus la toile peinte pour Marie 1ère. Au-dessous la toile peinte par sa soeur cadette Bénedicte.
Il existe une première version de cette œuvre, répertoriée sous le nom de "Les nains de la reine Marie de Portugal"
On peut remarquer quelques légère différences comme le phylactère que tient la colombe dans le bec et qui porte le nom de la commanditaire : Bénédicte, sœur de la reine. Il y est précisé que ce tableau contient "les vrais portraits des personnes pour lesquelles toutes les mesures furent exactement prises."
Que le tableau porte un titre ou un autre ne change rien à notre appréhension de l'œuvre qui attire et repousse...
Elle attire parce qu'elle est belle et poétique, à la fois naïve et maitrisée...
Elle repousse parce qu'elle fait de nous, malgré nous, des voyeurs, curieux des particularités d'êtres humains qui furent traités comme des objets au même titre que les animaux exotiques qui composaient la collection de la reine.
Il existe étude passionnante et complète de cette oeuvre sans laquelle je n'aurais pas pu écrire cet article et dont l'érudition est remarquable (même si je ne partage pas du tout l'interprétation du mariage authentique).
La brochure "Mascarade Nuptiale" est en vente au Musée du Nouveau Monde. Elle a été rédigée par Violetta Giraldos et Evelyne Fazilleau.