Elle est connue et inconnue de tous cette rue qui passe entre le Sacré-coeur et le square Louise Michel...
Connue parce que tout visiteur de Montmartre l'a empruntée, inconnue parce qu'aucun habitant ne l'a pour adresse!
Elle faisait partie de le rue Lamarck dont elle était le début sur 125 mètres avant de recevoir en 1930 le nom du cardinal Dubois.
Louis Ernest Dubois (1856-1929) est un de ces hommes d'église qui essayait de mettre en pratique sa foi. Il pensait que là où était la beauté, là était Dieu et il consacra une partie de son temps à écrire des ouvrages d'Art et d'Archéologie.
Il ressentait une forte compassion pour l'humanité souffrante et comme chez Louise Michel, cette compassion s'étendait à toute la création. Il ne supportait pas les souffrances infligées aux animaux et ne comprenait pas qu'on puisse jouir du spectacle de la corrida :
"Il n'est pas douteux que les catholiques doivent s'abstenir d'assister à ces spectacles essentiellement cruels."
Il se montra ennemi farouche de l'Action Française (mouvement nationaliste, royaliste, antisémite, anti Francs Maçons, anti protestants et xénophobe de surcroît).
Si la rue montmartroise porte son nom c'est qu'il assista à la consécration de la basilique en 1919, peu avant d'être nommé archevêque de Paris (ce qui lui vaudra d'être inhumé dans la crypte de Notre-Dame et d'avoir son gisant contre la clôture du chœur).
La rue qui porte son nom commence à la hauteur de la rue Utrillo qui vient la croiser avec ses escaliers qui mènent à la basilique...
A l'angle entre l'ancienne rue Muller (Utrillo) et la rue Lamarck un restaurant attirait la clientèle en vantant sa vue, une des plus belles sur Paris. C'était "la Savoyarde" du nom de la cloche installée dans le campanile.
Il a été peint par Utrillo qui aimait poser son chevalet devant la terrasse et qui connaissait bien "le roi des photographes de la Butte", François Gabriel qui habitait un peu plus bas dans la rue Muller aujourd'hui rue Utrillo.
Le restaurant a disparu transformé en appartement. Ne restent que quelques photos, quelques menus et la toile (pas la meilleure) d'Utrillo.
Un coup d'oeil en passant sur cette rue Utrillo qui comme l'échelle de Jacob va de la terre au ciel! Une des plus montmartroise des rues de la Butte (ce qui lui vaut de servir de décor à de nombreux films...dont l'inusable Amélie Poulain!)
La rue du Cardinal commence donc à cet endroit, après la rue Utrillo.
La légende de la carte serait aujourd'hui : Escaliers Utrillo, rue du Cardinal Dubois...
Une des entrées du square Louise Michel donne sur la rue. Ce square que la rue va longer jusqu'au funiculaire offre des échappées sur Paris que l'on peut découvrir avec son océan de toits et ses monuments remarquables.
Ce grand jardin a été commencé en 1877 alors que la basilique n'existait pas encore. Le terrain instable et menacé d'effondrement à cause des carrières de gypse surexploitées fut réaménagé par Alphand en 1889, à la mode romantique avec ponts rustiques, rocailles, grottes...
Paul Abadie, fidèle au projet inachevé d'Alphand prit sa relève avant que Formigé en 1900 ne termine l'aménagement du square de presque 24 000 m2.
La guerre interrompit cette transformation et ce n'est qu'en 1927 que le square fut inauguré, prenant le nom de Willette, peintre de Montmartre, créateur du Pierrot...
Exit Willette en 2004 quand le Conseil de Paris le chassa du lieu pour cause d'antisémitisme notoire (il s'était présenté aux élections législatives de 1889 sur le seul programme de chasser les Juifs!)
Apparut Louise Michel, tout à fait à sa place en ce lieu qu'elle aima, non loin de l'école où elle enseigna, plus près encore des terribles événements de la Commune.
Rappelons que nous sommes à l'emplacement du "champ des Polonais" où étaient gardés les fameux canons que les Montmartrois défendirent pour empêcher les Versaillais de s'en emparer.
Le square mérite une visite que nous ferons plus tard. Il abrite quelques trésors comme la fontaine de Gasq, les oeuvres de Derré (la fontaine dite des Innocents, la grotte des amoureux).
On y trouve quelques arbres remarquables parmi lesquels un marronnnier de 120 ans, un ptérocaryer du Caucase plus vieux encore et bien d'autres qui font de ce lieu un arboretum! Ma préférence va au ginkgo qui ensoleille l'automne....
Nous parcourons une cinquantaine de mètres et arrivons devant les escaliers qui au nord mènent à l'esplanade du Sacré-coeur et au sud offrent une vue époustouflante sur Paris.
Les escaliers sont comme des gradins qui donnent sur une scène ayant le ciel pour décor. C'est un endroit idéal pour les jeunes artistes...
...Ou pour des films publicitaires qui y sont tournés, comme ce jour-là pour les bas DIM!
La rue continue ensuite jusqu'à la station du funiculaire et la rue Foyatier.
Le funiculaire qui à l'origine était prévu pour un plus long trajet et devait être ponctué par six stations monte sur 108 mètres évitant aux pélerins les 220 marches abruptes de la rue Foyatier.
Il a été ouvert en 1900. Il était alors hydraulique.
Rénové en 1935, il se modernise et devient électrique et c'est en 1991 qu'il prend l'allure qu'il a aujourd'hui, brave funiculaire à vitres panoramiques, un peu poussif et le plus souvent chargé de touristes dans une boite de sardines!
Les stations actuelles ont été dessinées par l'architecte François Deslaugiers, celui-là même qui dessina le TGV atlantique! Le lièvre et la tortue!
Il transporte plus de 3 millions de passagers chaque année (exception faite des tristes périodes de confinement). Il apparaît dans plusieurs films, parmi lesquels "Ripoux contre ripoux" de Claude Zidi, "Les randonneurs" de Philippe Harel, "Une affaire d'état" d'Eric Valette ou "Bob le flambeur de Melville"....
Il s'est fait tirer le portrait par le peintre Jean Marchand (musée d'Art moderne). Il n'a pas dédaigné de jouer les vedettes dans "L'énigme du funiculaire" de Boileau Narcejac...Bref il n'est pas sans avoir sa petite notoriété!
Jean Marchand. Le funiculaire
Je ne résiste pas au plaisir d'ajouter un autre tableau de ce peintre cubiste que j'aime bien. Il s'agit des escaliers de Montmartre. Lesquels? A vous de jouer!
(Pierre qui est un vrai Montmartrois m'a donné la réponse que je m'empresse de joindre à l'article. Il s'agit de la rue du Mont Cenis avant destruction de la maison de Berlioz...)
Rue Foyatier s'arrête notre balade dans une rue au sommet de la Butte où nul n'habite mais où on rencontre des amoureux du monde entier!