Pendant les mois de la biennale, les rencontres les plus surprenantes se font le plus souvent non pas à l'intérieur des murs mais dans la ville même, au hasard des rues et des canaux.
Ainsi dans la petite chapelle de l'ancien hospice Orseolo, la chiesa di San Gallo, non loin de la place Saint-Marc, pouvons-nous rencontrer comme dans une gare d'étranges voyageurs...
Ils sont en mouvement ou ils attendent un train, un ami...
Leurs corps est en partance, déjà ailleurs, déjà dans d'autres histoires, d'autres rencontres.
Leur visage est touché par la lumière dorée tandis que leur corps s'allège, laisse place à l'air, au ciel, à la transparence.
Le passe muraille de Marcel Aymé traversait les murs, eux ils traversent l'atmosphère et, perdant une partie d'eux-mêmes, ils accueillent le regard de l'autre qui les recompose… Ils ont besoin pour se reconstituer de cette complicité.
Ils sont eux-mêmes et ils sont vous. Vous êtes vous mêmes et vous êtes lui ou elle.
Ils sont aussi la menace de disparition, de désintégration. Comment ne pas penser aux bombes qui font des carnages dans les gares? La haine qui désintègre les corps ?
C'est la sourde inquiétude qu'évoquent aussi en nous ces corps incomplets.
Ils sont l'œuvre de Bruno Catalano, sculpteur français né en 1960, qui travaille à Marseille et avait lâché ses voyageurs en bord de mer en 2013 quand Marseille fut capitale européenne de la culture.
Son Van Gogh avait alors impressionné les passants. Quel portrait plus juste peut-on imaginer de ce peintre tourmenté qui avait tant de mal à rester corps et âme à la même place et qui jetait ses forces dans ses toiles, comme si une partie de lui même migrait et laissait le paysage, champs, ciel, cyprès apparaître à travers lui.
Dans la même exposition, d'autres voyageurs regroupés ne présentent pas la même "transparence".
Ils sont en argile. Leur fragilité est là, dans cette matière vulnérable. Comme on dit que l'homme fut pétri avec un peu de terre… et comme on dit qu'il retournera à la terre.
Ces voyageurs dans cette chapelle où les bagages sont entassés au pied des autels, s'ils faisaient quelques pas laisseraient apparaître dans le vide qui les compose la lagune, les monuments, les couleurs de Venise… Ils seraient Venise tout en restant des voyageurs c'est à dire des passants éphémères et menacés.
Arsenal nord d'autres statues font écho à ces voyageurs. Ce sont les visages qui semblent sortis des mers d'Igor Mitoraj…
et l'on pense aux sculptures sauvées de l'oubli par les archéologues, celles qui nous arrivent après des siècles de sommeil et dont notre, imagination doit recréer les membres disparus.
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