On se rappelle l'évènement que représenta à la biennale de 2017 les deux mains jaillies du canal pour soutenir un palais vénitien et le garder de l'écroulement promis (la ville s'enfonce un peu plus chaque année).
Métaphore impressionnante de la lente destruction de la ville glorieuse et fragile, victime de l'appât du gain qui la livre aux croisiéristes, aux monstrueux navires qui la traversent en polluant, en envoyant contre les fondations des ondes de mort tandis qu'alignés avec caméras et smartphones, les touristes participent conscients ou non à ce viol.
L'œuvre était de Lorenzo Quinn (ancien acteur et fils d'Anthony Quinn) qui cette année, alors que tous les signaux sont au rouge, a préféré nous délivrer un message d'espoir.
Le vaporetto poussif qui nous conduit de l'aéroport au centre de Venise passe au large de l'Arsenal.. et nous permet d'apercevoir sur un bassin entre les murs de briques des mains se rejoignant au-dessus de l'eau. Une "vision" assez forte et onirique pour nous donner l'envie le lendemain d'y aller voir de plus près...
Après avoir traversé la biennale nous arrivons, arsenal nord, à un endroit où une navette nous permet de franchir le canal...
… et d'arriver devant les "ponts" de Lorenzo Quinn. "Building Bridges". "Construire des Ponts"...
Ces bras et ces mains sont blancs comme le marbre de Venise, comme les statues. Nulle indication de race ou de sexe, elles sont les mains de l'humanité qui vit sur une seule et même planète.
Chaque "pont" s'élève à une hauteur de 15 mètres sur une largeur de 20 mètres. Les mains se rejoignent au-dessus de l'eau, d'un quai à l'autre… on aimerait dire d'un pays à l'autre, d'un continent à l'autre, au-dessus des murs et des frontières.
Le premier pont est celui de l'amitié. Paume contre paume, il s'agit d'une adhésion de l'un à l'autre, sans brutalité mais avec un grand respect, une grande sensibilité.
Le deuxième pont est celui de la foi. Non pas la foi aveugle dans une divinité monothéiste mais la confiance totale de l'enfant qui se laisse guider par ses parents. Une main plus petite saisit un doigt de la main plus grande comme font les tout petits quand pour marcher ils on besoin de se tenir à l'autre pour ne pas tomber.
Le troisième pont symbolise l'aide. Appeler au secours et trouver une main pour vous sauver… Le pont prend un sens particulier dans cette Italie où tant de migrants ont tenté de venir au risque de leur vie et où les mains secourables les ont parfois sauvés.
Le quatrième pont c'est l'amour. Les doigts s'entrecroisent pour former un lien solide. Ils évoquent les corps qui s'unissent, le miracle de ne faire plus qu'un.
Le cinquième pont c'est l'espoir. Les doigts s'entrelacent et forment comme "la cathédrale" de Rodin une voûte qui s'élève dans le ciel. Une fois encore il ne s'agit pas de "l'espérance" en un au-delà idéal, mais de "l'espoir" en un ici-bas meilleur et plus juste.
Le dernier pont est celui de la sagesse. Une main de vieille femme (la belle-mère du sculpteur a servi de modèle) et une main plus jeune symbolisent la transmission de la connaissance et de la tolérance. La connexion se fait "du bout des doigts" c'est à dire en douceur.
On se prend à rêver devant ces ponts, dans la ville qui en compte tant, d'un avenir d'échanges et de paix :
Un jour viendra, couleur d'orange
Un jour d'épaules nues
Où les gens s'aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche!