Affiche de Lucien Métivet (1896)
Elle est une des figures les plus étonnantes et les plus originales de la Butte où malgré le succès qu'elle rencontra dans les plus grands cabarets, elle continua de chanter dans les rues pour rester au contact des gens simples et pour donner ce qu'elle récoltait aux pauvres et aux malades. Elle est unique parmi les artistes montmartrois, on pourrait la qualifier de sainte laïque!
Enfin! On aurait pu si ses engagements politiques n'avaient été, hélas, pour le moins contestables : la Ligue des Patriotes où elle soutint Boulanger (elle fut d'ailleurs emprisonnée pour avoir crié "Vive Boulanger au passage de Carnot) et les Croix de Feu où elle obtint le grade de sergent!
Eugénie Buffet (Steinlen)
Elle est née à Tlemcen, en Algérie en 1866
Elle évoque son enfance dans un livre de souvenirs : "Ma vie, mes amours, mes aventures".
Couverture illustrée par Steinlen pour les mémoires d'Eugénie Buffet (recueillis par Maurice Hamel)
Après avoir été violée par son cousin, elle est contrainte par sa mère d'aller à Oran, où elle est employée comme femme de ménage.
Sa patronne l'envoie régulièrement porter des patisseries à un homme qui vit seul, plongé dans l'étude du Coran et de la Bible, Charles de Foucauld.
Eugénie n'oublia jamais cette rencontre.
Charles de Foucauld
"Ah les bons regards de Charles de Foucauld ! Regards d'amour sincère, de tendresse vraie. Comme ils me soutinrent aux heures de défaillance."
Lorsqu'elle a 20 ans, Eugénie quitte l'Algérie. Après être passée par Marseille, elle arrive à Paris où elle prend pour chanter et se faire connaître, la dégaine et la toilette des "pierreuses", nom que l'on donnait alors aux femmes qui racolaient dans les rues.
Picasso : la pierreuse.
Elle est très vite remarquée et invitée à chanter dans les cabarets, notamment à la Cigale sur le boulevard de Rochechouart.
Elle habite alors non loin de là, 3 avenue Frochot, au rez de chaussée, et vit une liaison qui durera 18 ans avec Léopold Stévens.
Entrée de l'avenue Frochot
Léopold Stévens: affiche pour Eugénie Buffet "la chanteuse populaire".
Elle connait un grand succès et très vite, Botrel et Bruant composent pour elle.
Son plus grand succès, son "drapeau", c'est "la sérénade du pavé", sérénade reprise en choeur par les montmartrois qui s'arrêtent sur le boulevard ou sur les petites place pour l'écouter...
L'enregistement de cette chanson, à la fin de cet article, a été fait dans les dernières années de la vie de la chanteuse. Il ne donne qu'une idée partielle de son talent, de la force et de l'expressivité de sa voix.
Jean Richepin
Elle plaît aux poètes et aux compositeurs montmartrois pour qui elle est le type même de la chanteuse des rues. Richepin écrit à son sujet :
"Pour ma gloire de poète, je ne souhaiterais qu'une chose, c'est d'écrire beaucoup de chansons naïves et profondes dont elle pût répandre la belle aumône, sans en dire l'auteur, dans cette affreuse et étrange forêt parisienne où les bêtes de proie et les bêtes immondes ont besoin de pleurer parfois, en écoutant pleurer leur âme avec celle du rossignol".
Piaf-Eugénie Buffet dans "French Cancan"
Jean Renoir choisira pour incarner Eugénie Buffet dans son film "French Cancan", celle qui lui ressemble le plus et qui comme elle se fit connaître en chantant dans les rues : Edith Piaf.
Cabaret de la Nouvelle Athènes, place Pigalle.
Mais elle n'a pas l'étoffe d'une femme d'affaires... Elle ne sait pas en fondant, au 75 boulevard de Clichy, le Cabaret de la Purée, que ce nom sera prémonitoire! Toutes ses économies et celles de Stévens y sont englouties!
Eugénie chante alors au cabaret de la Nouvelle Athènes, place Pigalle. Mais les soucis ont eu raison de son couple. Elle quitte Stévens et va habiter seule rue Fontaine.
Elle tente de se refaire une santé financière aux dépens de sa santé physique en s'embarquant dans d'épuisantes tournées en Amérique, aux Antilles...
Lorsqu'éclate la guerre, elle se consacre corps et âme aux blessés. Elle chante pour les poilus et donne tout l'argent qu'elle récolte aux malheureux et aux veuves.
En 1915, les Poilus la nomment caporale! Elle écrit dans ses mémoires :
" L'un d'entre eux détacha le galon rouge de sa veste et vint l'accrocher sur ma manche. Ce jour-là j'ai failli mourir de bonheur".
C'est ainsi qu'Eugénie Buffet devient la Caporale Nini!
Après la guerre, elle continue de chanter pour les pauvres, pour les grévistes dont elle soutient le combat. Elle s'épuise, sa santé se dégrade et lorsqu'elle a besoin d'être soignée, à une époque où la Sécurité Sociale n'existe pas, une véritable mobilisation des artistes (Gaby morlay, Maurice Chevalier...) et du public permet de récolter des fonds au cours d'un gala mémorable organisé "pour donner un peu de pain à la cigale qui toute sa vie, n'avait songé qu'à empêcher les malheureux de mourir de faim".
Eugénie Buffet, quelques mois avant sa mort.
Elle y apparaît sous un tonnerre d'applaudissements et chante "Ma chanson" :
J'ai chanté comme une cigale
Soeur pauvre des déshérités,
Laissant aux fourmis la fringale
De l'argent et des vanités.
j'ai chanté de toute mon âme
A l'âge de Mimi Pinson
J'avais donné mon coeur de femme
A la chanson
Photo-montage de Navema. "Eugénie Buffet in Mexico". (flickr)
Eugénie Buffet meurt en 1934. Elle est enterrée loin de la Butte, dans le cimetière de Montrouge, 51ème division. Sur sa stèle, deux mots sont gravés après son nom : Cigale nationale...
Cimetière de Montrouge.
...Si elle a rendu l'âme, elle n'a pas rendu sa voix que nous pouvons toujours entendre aujourd'hui :
La sérénade du pavé:
Ma chanson :
Lou75 13/02/2011 08:51
Aline26 13/02/2011 08:39
Colin 13/02/2011 08:34
charlie 13/02/2011 08:29