Je gravis les trois cents marches pour trouver refuge un instant dans ma vieille église. Dans le choeur, à
droite, le tableau de José Ribéra : La descente de Croix jette une tache blafarde sur les murs de pierre. C'est un tableau ténébreux qui nous fait entrer dans la nuit de la mort.
Le lourd cadavre pèse de tout son poids inerte et les bras décloués semblent se replier comme les ailes d'un oiseau de mer mazouté. Il évoque le corps blafard des cours de dissection ou les
animaux depecés pendus au crochet des abattoirs. La femme sur laquelle il s'appuie un instant avant de s'écrouler apparaît sur l'encre du ciel, comme un masque blanc qui exprime sans
espoir la douleur et l'interrogation. Les yeux sans vie du supplicié sont tournés vers lui comme vers un astre mort.
En face de Ribéra, de l'autre côté du choeur, s'élève vers les voûtes l'immense toile de Parrocel
: Jésus au mont des Oliviers. Elle est divisée en trois parties et comme emportée par la diagonale des deux personnages du centre de l'oeuvre.
En bas les apôtres endormis. Ils ont la lourdeur en eux du sommeil qui vous entraîne malgré vous et vous colle à
la terre. Ils savent que leur ami est seul et qu'il prie dans l'angoisse et la terreur de la torture promise et de la mise à mort; ils étaient certains de l'accompagner dans cette dernière nuit
et les voilà affaissés sur eux-mêmes, collés au rocher comme au ventre maternel. Ils sont seuls dans leur nuit comme est seul celui qui attend sa mort. "Quiconque meurt, meurt à
douleur"
Au centre du tableau, l'ange de l'agonie. Il vient dans le gris et le bleu qui dissipent les ombres. Il montre le chemin de l'apaisement. Il ne ment pas, il ne dit pas que le passage sera facile mais il tend la main comme dans les air un trapéziste veut saisir celui qu'il désire entraîner vers les hauteurs.
Le Christ, les bras encore tournés vers le sol et vers ses compagnons endormis, se tourne lentement vers lui et
se détache de cette terre qu'il aime et dont il connaît chaque senteur et chaque vibration. Le ciel d'orage succède à la nuit.
En haut du tableau apparaît l'or du monde promis, la clarté de la demeure céleste. La croix et les instruments du
supplice sont portés par des angelots qui semblent jouer. Etrange apothéose que cette bande de bébés grassouillets qui manient la couronne d'épines, la lance, le fouet, l'éponge imbibée de
vinaigre comme des garnements s'amuseraient avec un insecte capturé, un animal piégé... Ils sont censés représenter l'innocence et me donnent l'envie furieuse de leur botter les
fesses.
Sous la Descente de Croix de Ribéra, une grande toile met en scène Le Christ aux
outrages. Elle est due à un anonyme qui ne perd rien à le rester. Il y a là-dedans beaucoup de théâtre et de gesticulation. Le Christ lui-même se demande ce qu'il fait dans ce tableau. Il
semble attendre comme un modèle attend la fin de la pose pour toucher son salaire.
Dans la petite chapelle de gauche, sur le mur de droite au-dessus des pierres tombales des abbesses, une toile du Guerchin illustre Le reniement de Saint Pierre. Pierre se chauffe les mains à un braséro. Son corps se dirige vers la chaleur, vers la vie mais sa tête est déjà tournée vers cette femme qui l'invective : "Toi aussi tu étais avec le Nazaréen Jésus". Elle insistera trois fois et trois fois, il niera : "Je ne connais pas cet homme dont vous parlez".
Etrange visage que celui de cette servante. Pas de haine, pas de violence mais un étonnement douloureux devant la
lâcheté et l'abandon. Derrière elle le soldat qui a compris a déjà posé la main sur l'épaule de Pierre. Il est curieux et rassurant que cet homme qui a renié par trois fois au mépris de
l'amour ait joué un tel rôle par la suite au point d'être le premier d'une longue lignée de papes. Ne nous étonnons plus des errances et des manquements de la hiérarchie écclésiastique et ne
souhaitons pas à tous les prélats, les prêtres, les responsables qui ont trahi le Christ de finir comme Pierre sur une croix renversée, la tête en bas.
Et pour terminer la visite, jetons un oeil rapide aux deux grands tableaux, dans le transept
sud. Ils représentent Geneviève patronne de Paris et bergère à ses heures. Ils sont dans le plus pur style saint sulpicien et d'une sucrerie un peu écoeurante. Pourtant, je les considère avec
tendresse. Le nom de Geneviève a été porté par une amie qui est morte il y a moins d'un an. C'était une femme remarquable, douce et humble, toujours préoccupée des autres au point de ne
pas s'inquiéter de sa propre santé et de laisser en elle progresser un sale cancer qui l'emporta.
Geneviève,que la vie te soit douce comme une caresse.
Lien : Les vitraux de Saint Pierre de Montmartre (Max Ingrand)