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Montmartre secret

Montmartre secret

Pour les Amoureux de Montmartre sans oublier les voyages lointains, l'île d'Oléron, les chats de tous les jours. Pour les amis inconnus et les poètes.

Bouscarat. Hotel du Tertre. La Bohème.
Sur la droite l'Hôtel du Tertre. (Utrillo)

Sur la droite l'Hôtel du Tertre. (Utrillo)

Nous sommes au cœur de Montmartre, à l'entrée de la place du Tertre devenue mythique, au premier numéro, avec cet Hôtel qui abrita quelques poètes, artistes, peintres les plus emblématiques de la Butte

Bouscarat. Hotel du Tertre. La Bohème.

L'Hôtel a été détruit comme tant de vieilles maisons du village et aujourd'hui s'élève à sa place un petit immeuble dont l'architecture n'est pas nulle mais s'intègre mal avec les immeubles voisins qui, eux, par chance, ont été sauvegardés.

Bouscarat. Hotel du Tertre. La Bohème.

Nous pouvons grâce aux cartes postales et aux photos revoir l'Hôtel, tel qu'il fut dans les grandes années montmartroises.

Bouscarat. Hotel du Tertre. La Bohème.

Ce petit immeuble modeste date de 1835 et il abrita des commerces qui convenaient aux villageois.

Si j'en crois André Roussard et ses "Montmartrois", il y aurait eu dans les dernières années du XIXème siècle, au rez de chaussée, une épicerie-bazar, appartenant au père Poncier. 

Des documents (photos, cartes postales) semblent attester que ce père Poncier était en fait un restaurateur dont le nom apparaît sur la façade et dont le restaurant "le Rendez-vous des cochers" a précédé Bouscarat.

Ce document montre également qu'il y eut une librairie- papeterie-mercerie qui jouxtait le restaurant. 

    Sur une photo plus tardive, on peut voir que le "Rendez-vous des cochers" a pris la place de la librairie et jouxte désormais l'hôtel du Tertre et le restaurant Bouscarat.

Bon ce débat sur les emplacements exacts des établissements n'intéressera peut-être que les Montmartrolâtres dont je suis!

     Sur cette autre photo, nous voyons que "le rendez-vous des cochers" a disparu pour laisser place "Au Sommet de la Capitale".

L'Hôtel du Tertre, lui, est bien là. Notons l'apparition d'une vespasienne à quelques mètres de l'église.

Bouscarat. Hotel du Tertre. La Bohème.

      C'est en 1897 qu'Henri Bouscarat rachète l'immeuble du début de la rue.

        Il est fils de paysans de l'Aubrac, "monté" à Paris, comme tant d'autres pour devenir bougnat. Il voit tout de suite quels atouts possède ce petit immeuble, situé idéalement au centre du village et non loin du chantier de la Basilique qui emploie des centaines d'ouvriers et il y ouvre un restaurant et un hôtel.

Utrillo

Utrillo

     Le restaurant "chez Bouscarat" avec ses tables sorties sur la chaussée dès le début du printemps, attire les affamés pas trop fortunés et les jolies filles disposées moyennant quelques sous à poser pour les peintres qui ont choisi Montmartre pour y travailler dans des ateliers au loyer modeste.

Bouscarat. Hotel du Tertre. La Bohème.

L'Hôtel devient un des épicentres de la vie artistique montmartroise. Les peintres du Bateau-Lavoir s'y retrouvent. Parmi eux les Espagnols autour de Picasso bien sûr mais plutôt que de citer tous ceux qui ont apprécié l'endroit et les demoiselles disponibles qui s'y affichaient, retenons plutôt le nom de ceux qui ont été les plus assidus clients de l'hôtel.

Bouscarat. Hotel du Tertre. La Bohème.

Gaston Couté tout d'abord, le poète anarchiste au grand cœur qui vécut dans une chambre du premier étage quand il ne dormait pas dans la rue. Cet homme sensible et doux est le seul qui a l'honneur d'une plaque sur la façade de briques du bâtiment actuel.

Nous lui avons consacré un article et la meilleure façon de le saluer, c'est encore de citer quelques uns de ses vers écrits alors qu'il entendait sous ses fenêtres, le clocher de Saint-Pierre sonner le glas pour ceux qui avaient de quoi se payer un bel enterrement : 

Quand s'éteignent comme des cierges,
Les grands-pères et les grand'mères
Et que gisent, emmi les serges
Des linceuls, leurs corps éphémères.
Digue digue dig, digue digue don !
Chante aux trépassés le grand carillon
Digue digue dig, digue digue don !
Pour qu'on vous enterre
Casquez, casquez donc !

 

 

Le poète de la fraternité et de la révolte eut pour principale adresse cet hôtel où il écrivit certains de ses poèmes les plus connus, ceux que chanta notamment Monique Morelli, la grande voix du Montmartre de la poésie et de la révolte.

Pierre Hodé

Pierre Hodé

     

 

Parmi les autres locataires d'une chambre de l'Hôtel, nous trouvons Jules Depaquit, un des plus éminents Montmartrois! Dessinateur et caricaturiste de talent ("le Rire" "Le Canard Enchaîné"), il fut maire de la Commune libre de Montmartre. On lui doit la fête des vendanges, les vachalcades et un programme politique idéal interdisant, sous peine de mort, de mourir sur le territoire de la Commune ou supprimant l'eau des fontaines qui devront "éjaculer" du vin, rouge, rosé ou blanc selon le goût des habitants.... 

 

 

Il a vécu quelques années dans une chambre voisine de celle de Mac Orlan ou de Satie. Quand ses revenus se sont améliorés, il a loué une autre chambre dans la maison qui appartenait à Aristide Bruant, rue Saint-Vincent.

Il meurt en 1924 et ne verra donc pas la destruction de l'Hôtel du Tertre. La plus belle épitaphe prononcée lors de son enterrement est prononcée par Mac Orlan : "Son activité se bornait à régler la circulation entre la place du Tertre et la lune".

Mac Orlan est l'un des habitants de l'hôtel qui en garda le plus de souvenirs et qui écrivit le plus sur ce lieu unique, cette terrasse où l'on pouvait voir tant d'artistes sans le sou devenus par la suite illustres. 

                                                                   Foujita                          

Mais l'esprit libertaire et potache de Montmartre trouve une de ses plus savoureuses réalisations dans cet Hôtel avec le baron Pigeard auquel j'ai consacré un article alors qu'il mériterait un roman!

 

Bouscarat. Hotel du Tertre. La Bohème.

      Cet homme, baron comme je suis évêque, commettait quelques croûtes qui furent exposées à la foire aux croûtes de la place Constantin Pecqueur mais il préférait confectionner des maquettes de voiliers qui trouvaient plus facilement acquéreurs. Il eut l'idée de créer avec deux acolytes, Anselin et Fournier, la célébrissime UMBM, l'Union Maritime de la Butte Montmartre.

 

N'y étaient admis que  ceux qui avaient un rapport avec la mer. Modigliani venu de Toscane, Max Jacob du Finistère, en firent partie et assistèrent aux réunions, dans la salle du restaurant Bouscarat.

                                                             Max Jacob

Un hareng saur dans une cage était posé sur la table et présidait les séances, à côté du crâne de Christophe Colomb à 25 ans que l'on avait le droit de toucher moyennant quelques sous ou une tournée d'absinthe.

   

 Les membres de l'Union s'engageaient à apprendre la natation aux poulbots couchés à plat ventre sur un tabouret et répétant les gestes de la brasse qui leur étaient montrés. Les réunions de l'USBM connurent un franc succès et elles encouragèrent Bouscarat à re-nommer son premier étage : Hôtel de la Marine! 

 

Bouscarat. Hotel du Tertre. La Bohème.

     La suite de l'histoire est moins joyeuse. Tout commence avec le flair et l'appétit d'un chauffeur de taxi, Léonard Beynat qui achète la modeste boutique d'un cordonnier qui jouxte l'hôtel. Il y installe ce qu'on appellerait aujourd'hui un bar à vins mais sous une forme plus rustique puisqu'on y tire directement la dive boisson au tonneau.

Bouscarat. Hotel du Tertre. La Bohème.

    Le succès est tel que Beynat peut, racheter l'hôtel du Tertre et ouvrir le cabaret "La Bohème". 

On peut voir également, jouxtant le cabaret, "le Moulin Joyeux", restaurant qui plus tard, en 1968, sera avalé par la Bohème lorsqu'il sera racheté par les successeurs de Beynat, longtemps après la démolition de l'Hôtel du Tertre.

Léonard Beynat après bien des démarches, obtint en effet l'autorisation de le détruire malgré les manifestations pacifiques organisées par les riverains, découragés de voir détruire une à une les maisons qui avaient résisté à la spéculation.

C'est ainsi que les pelleteuses vinrent abattre le vieil hôtel, en 1938, pour le remplacer par l'immeuble actuel, trop haut, sans harmonie avec les maisons environnantes.

 

 

Le nom de l'hôtel disparut au profit de "La Bohème".

Faut-il y voir un hommage à ce que fut ce lieu?  

Ou bien, comme Aznavour chanter que "ça ne veut plus rien dire du tout"?

Bouscarat. Hotel du Tertre. La Bohème.

Quand au hasard des jours
Je m'en vais faire un tour
À mon ancienne adresse
Je ne reconnais plus,
Ni les murs, ni les rues qui ont vu ma jeunesse
En haut d'un escalier
Je cherche l'atelier
Dont plus rien ne subsiste
Dans son nouveau décor, Montmartre semble triste et les Lilas sont morts

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